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Yves Caseau, directeur SI et digital du groupe Michelin : « Être capable de bouger rapidement crée de la valeur. »

Yves Caseau, directeur SI et digital du groupe Michelin : « Être capable de bouger rapidement crée de la valeur. »
Yves Caseau, CDIO du groupe Michelin : « le premier data lake groupe dans le cloud a libéré l’usage des données. »
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°201 !
Adopter la bonne stratégie pour les métiers

Adopter la bonne stratégie pour les métiers

Etre un stratège, c'est choisir. Etre un bon stratège, c'est donc faire les bons choix au bon moment. Et, le cas échéant, il faut savoir changer de choix si la situation évolue. Lorsque les métiers réclament une IT agile, c'est cela : une IT qui s'adapte à leurs besoins, même lorsque leurs...

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Entré chez Michelin comme directeur des systèmes d'information groupe en 2017, Yves Caseau a également pris la direction des activités digitales du groupe depuis février 2021. Dans cet entretien, il évoque notamment le récent rapprochement des activités IT et digitales du groupe, la mise en oeuvre des technologies digitales dans les usines, la place de l'IA et des données dans la stratégie de Michelin ou encore la mise en place des approches agiles dans une entreprise de culture industrielle.

PublicitéLe groupe Michelin est mondialement connu pour la fabrication de pneus, c'est aussi un groupe avec une histoire. Pouvez-vous nous le présenter et nous dire ce qui vous a marqué en entrant dans le groupe ?

Le groupe Michelin est né en 1889. Dès les années 20, il proposait un service d'itinéraire dactylographié, puis des bornes. Sa vision axée sur les usages et l'écosystème est très ancienne. Aujourd'hui le groupe est le leader mondial en valeur sur le marché des pneumatiques, et il est également en tête pour ses dépenses R&D dans son industrie, avec une culture scientifique et d'innovation. Le groupe a en particulier des expertises en chimie, physique et calcul des matériaux. Sa stratégie à 2030 comporte un volet sur les pneumatiques, mais aussi une ouverture vers les services, « beyond tire » et l'expérience de voyage, avec les guides verts ou l'application ViaMichelin. Enfin, il met son savoir-faire dans la chimie et les matériaux au service d'autres secteurs.

Sur les pneumatiques, l'ambition de Florent Menegaux est d'arriver à un pneu complètement durable, c'est-à-dire un pneu où la partie qui s'use soit biosourcée, naturelle et inerte pour l'environnement, et la partie solide recyclée. Pour cela, le groupe travaille sur la chimie verte, les processus industriels, l'économie circulaire et le recyclage. Il s'agit d'inventer les procédés et matériaux de demain. Michelin dépense davantage en R&D que la plupart des industriels de son secteur, c'est un élément clef pour soutenir l'innovation dans les produits et les processus de fabrication. Dans un pneu, il y a environ 200 composés différents avant la cuisson. C'est une structure très sophistiquée, un peu comme un gâteau, avec une recette, un savoir-faire qui est aussi dans les ingrédients. Le groupe dépense également davantage en IT que les autres groupes industriels.

Vous venez de le souligner, l'IT et le digital occupent une place importante dans la stratégie du groupe. Pouvez-vous nous retracer les grandes étapes de la transformation digitale de Michelin ?

Le logiciel dévore le monde et il dévore Michelin. Les ordinateurs sortent de la DSI. Dans la R&D, il y a beaucoup d'informaticiens, au marketing aussi ou dans le manufacturing. Michelin a engagé une stratégie de transformation digitale depuis sept ou huit ans, qui a donné naissance à une direction des activités digitales, avec un chief digital officer qui était Éric Chaniot. Il s'agissait de tirer parti du digital pour inventer de nouveaux produits et services, pour optimiser les processus et pour favoriser la relation client et l'engagement, notamment à travers le programme Engage, mené avec Salesforce, et la refonte des sites Web et des applications. Cette transformation a aussi débouché sur une digital workplace destinée à tous les employés du groupe, que la pandémie a fourni l'occasion de tester.

PublicitéAu cours des cinq dernières années, la transformation a aussi consisté à organiser cette informatique, ce digital pour que ce soit une base pour toutes les activités de Michelin qui développent des projets. Il s'agissait d'éviter deux écueils : d'un côté, une situation où tout le monde fait ce qu'il veut ; de l'autre, une grosse structure trop lourde, qui pénalise l'évolution du groupe. Le rapprochement entre l'IT et le digital est récent. Nous avons d'abord choisi de séparer le digital de l'IT afin d'explorer de nouvelles technologies, d'avoir des cycles très agiles sans aucun poids du legacy. Au début, les projets digitaux étaient de petits projets, très rapides, puis ils sont devenus de plus en plus riches, avec des adhérences au système d'information de plus en plus fortes. Avec la maturité, il y avait plus à gagner à réunir ce qui avait été fait sur le digital avec l'IT. La différence se réduit : dans l'IT, nous faisons du cloud, du DevOps, tandis qu'à l'inverse les équipes digitales deviennent de plus en plus grosses, avec des exigences de qualité de services, continuité d'activité, cybersécurité... On attend désormais d'elles la même qualité d'exploitation qu'à la DSI.


Yves Caseau, CDIO de Michelin : "Le logiciel dévore le monde, et il dévore Michelin."

Comment s'organise aujourd'hui la fonction IT et digitale au sein du groupe ?

La DCTI - direction corporate de la transformation digitale et des systèmes d'information - est organisée autour de trois grands univers : l'expérience client, l'intelligence artificielle (IA) et les données. Chacun de ces domaines recouvre des ensembles de compétences et de savoir-faire, qui se déclinent dans des solutions hébergées sur des infrastructures cloud, des datacenters, des environnements mobiles...

Au total, la DCTI comprend environ 4000 personnes, dont près de la moitié en interne et l'autre en externe. C'est une structure distribuée mondialement, avec un pôle important à Clermont-Ferrand. Elle compte six grandes directions : une direction de l'expérience digitale ; un centre d'excellence IA basé à Pune, avec un chief IA officer ; une direction data avec un chief data officer ; une direction systèmes et solutions et une CTO, Pauline Flament. Nous avons enfin des fonctions transverses, dont un architecte d'entreprise, un chief of staff et un directeur financier, ainsi que trois DSI de zones.

Notre informatique est à la fois globale et locale. Nous avons des master apps, des master plateforms avec des variations locales par zones, et des applications locales par pays ou ligne de business. Nous essayons d'avoir un équilibre. En effet, la convergence des applications est un atout pour réduire les coûts, mais elle a tendance à alourdir les processus d'évolution. Sur certaines fonctions, comme la capture des commandes, il est intéressant d'avoir une différentiation au niveau local. Autre exemple, pour se connecter à Alipay, il vaut mieux faire le connecteur en Chine qu'en Europe.

La transformation digitale est avant tout une transformation des métiers : le rôle de la DCTI est de les aider à tirer le meilleur parti des technologies, pas de penser à leur place. Pour mettre à profit le flux continu d'innovation venant de l'extérieur, il faut une organisation exponentielle, telle que décrite par Salim Ismail. Par exemple, il y a de plus en plus de gens qui font de l'IA et du machine learning, notamment à la R&D. L'IA permet d'assister les chercheurs pour améliorer la recette, faire du data-driven engineering. Un des rôles de la structure IA est d'organiser un réseau, autour d'un centre d'excellence en Inde. Sa mission est d'offrir le meilleur environnement de travail à tous ceux qui font de l'IA ainsi qu'un support, par exemple sur la vision par ordinateur. Nous avons aussi des pôles métier. Nous organisons la circulation des savoir-faire, pour avoir le meilleur des deux mondes.

Comment s'est déroulé le rapprochement entre IT et digital ?

Le rapprochement remonte à 18 mois. Quand on rapproche, on crée forcément des craintes. Avec Éric Chaniot, nous avons décidé de mettre les deux organisations côte à côte. L'expérience digitale et l'IA venaient de la branche digitale, les solutions et la CTO de la DSI. Dès le départ, nous avons voulu que la data soit partagée : le chief data officer était en double reporting dès le début. Il en était de même de l'architecture d'entreprise : tout ce qui concerne la data, les API, ce sont des sujets globaux.

Aujourd'hui, cela fait environ un an que la nouvelle organisation est en place, et cela se passe très bien. Mais il n'en a pas toujours été ainsi. Les principales craintes étaient comportementales et émotionnelles. Pour faciliter la transition, nous avons laissé la feuille de route et les projets en cours se poursuivre, 2021 a été une grosse année. Les fils se sont tissés à travers les projets transverses. Le rapprochement a favorisé des circuits d'arbitrage plus courts, davantage de rencontres... Les équipes ont touché les bénéfices du doigt au fur et à mesure. Elles avaient besoin de travailler ensemble. Nous avons fait des enquêtes de satisfaction côté IT et digital, et également côté métier. Pour les métiers, c'est plus simple d'avoir une seule organisation.

Réunir la DCTI visait aussi à créer une fierté de ce qu'on fait dans le digital et une culture d'excellence. Nous avons mené de vrais efforts pour faire savoir ce que nous faisons. Le fabricant de pneus de demain devient aussi une software company.

Michelin a effectué de nombreuses acquisitions dans le secteur technologique, notamment des éditeurs de télématique et gestion de flotte comme Nextraq ou Masternaut. Quelle place ont ces entreprises dans l'organisation IT et digitale ?

Un des grands enjeux de l'IT/digital est d'être de plus en plus souple, en fédération. Chez Masternaut (NDLR Société acquise en 2019 par le groupe Michelin), ils possèdent de très bonnes compétences, nous n'avons pas cherché à les standardiser en imposant nos pratiques. Nous ne cherchons pas à rationaliser tout de suite, nous menons une stratégie de connectique, de fédération pour trouver des synergies, en combinant nos services et nos données dans le respect du RGPD. Chacun a son domaine réservé, mais nous avons des choses en commun sur les parcours, la connexion, etc. Pour prendre une analogie, c'est un peu comme le système solaire, l'équilibre consiste à bâtir le système tout en laissant l'autonomie nécessaire à chaque planète.

Et par rapport aux grands éditeurs du marché, comment travaillez-vous avec eux ?

Nous avons plusieurs grands partenaires éditeurs, comme Salesforce, Microsoft ou Oracle. Nous avons une stratégie pour choisir ces partenaires et travailler le mieux possible avec eux. Nous utilisons beaucoup de solutions SaaS, dont nous apprécions la capacité à s'adapter. Notre enjeu stratégique dans ces relations, c'est l'élasticité partagée avec nos fournisseurs, aussi bien quand l'activité est à la hausse que quand elle est à la baisse.


Yves Caseau, CDIO de Michelin : "il n'y a pas d'industrie digitale sans cybersécurité."

En tant que groupe industriel, Michelin possède beaucoup de technologies opérationnelles (OT). Comment celles-ci s'articulent-elles avec l'IT ?

L'informatique industrielle aujourd'hui est à la fois rattachée au manufacturing et à l'IT. Traditionnellement, IT et OT étaient séparées, mais quand on va vers le digital manufacturing, il y a une montée en compétences sur l'informatique du côté industriel, avec des salles machines de plus en plus importantes dans les usines, une part croissante de fonctions exposées et une hausse des enjeux de résilience et de cybersécurité. Quand nous avons visité le campus de recherche Arena2036 en Allemagne, on nous a dit « la première chose à maîtriser dans l'usine du futur, ce sont les firewalls ». Il n'y a pas d'industrie digitale sans cybersécurité.

Il faut aussi briser les silos, et cela passe par le réseau, l'edge computing, les nouvelles technologies comme Docker, Kubernetes, Kafka... Nous avons aujourd'hui des clusters Kafka dans toutes les usines, c'est l'une des réalisations dont je suis fier en tant que DSI. L'OT de son côté se spécialise sur les interfaces hommes-machines, le métier des opérateurs qui restent indispensables, les automates. Nous avons une approche en couche, où l'IT est au milieu, avec une App Store partagée entre IT et OT sur le digital manufacturing.

Justement, où en est Michelin par rapport à la digitalisation des usines et l'industrie 4.0 ?

Le digital manufacturing est un de nos gros projets à l'heure actuelle. Nous avons travaillé pour connecter toutes les machines, extraire leurs données et offrir une meilleure vision et perception aux opérateurs. Nous mettons en oeuvre des modèles pour mieux voir, mieux comprendre, mieux nous adapter. Nous déployons de la maintenance prédictive, nous voulons faire du pilotage dynamique, aller vers les jumeaux numériques. Nous faisons un état de l'art des champions dans le digital manufacturing. Nous avons 70 usines dans le monde, dont 10 qui sont leaders sur ces sujets. Des usines se portent candidates, chacune décide des sujets qu'elle souhaite explorer dans un catalogue de Proof of Concept et d'opportunités. Elles développent des pilotes qui sont ensuite déployés graduellement.

Nous croyons aussi beaucoup dans le citizen developement. Les usines ont leur data lake, avec des environnements de type PowerBI et Power Apps. Cela fonctionne un peu comme des boîtes de legos, avec lesquelles elles construisent des applications adaptées à leurs enjeux, de nouvelles capacités : par exemple, pour trouver de nouveaux protocoles de réglages afin de changer rapidement les dimensions des pneus. Même si les usines sont très automatisées, la fabrication d'un pneu est un processus très sophistiqué, et la flexibilité est une vraie problématique dans les usines.

L'IA et le ML apportent également des réponses, pour automatiser par exemple le contrôle qualité, accélérer les changements de modèles... Les outils d'IA que nous utilisons sont un assemblage d'open source, de services cloud et d'algorithmes propriétaires, qui contiennent un savoir-faire sensible. Nos ambitions sont en hausse, nous voyons l'IA comme un absorbeur de complexité, sur l'ensemble formé par humains et robots. Dans un monde de crises, c'est le sens que prend le futur. L'usine excellente est fondée sur l'humain, mais nous faisons en sorte de donner à celui-ci le meilleur de la technologie.

Est-ce qu'il y a d'autres enjeux pour lesquels vous explorez les possibilités de l'IA ?

L'IA est importante aussi pour gérer la connaissance, car nous évoluons dans un monde de brevets et d'articles scientifiques. Nous participons à un projet dans le consortium Axeler'IA pour représenter la connaissance afin d'aller plus vite. Nous cherchons aussi à extraire de la connaissance à partir des tests, qui représentent de gros volumes de données. IA et ML offrent une capacité à tirer plus de connaissance et à faire moins de tests, accélérant ainsi la R&D.

Au niveau global, quelle place ont aujourd'hui les données au sein du groupe ?

Michelin est une data-driven company depuis 100 ans, mais avant, c'était en mode un peu siloté. Florent Menegaux a demandé de pouvoir prendre des décisions sur des dimensions transverses. Cela nécessite une vision et des référentiels globaux. Le groupe Michelin est trop grand pour pouvoir faire une seule boîte avec toutes les données. Nous avons plutôt cherché à bâtir une sémantique partagée, un peu comme une fleur de marguerite, dont le coeur est un modèle pivot et les pétales des versions enrichies en fonction de chaque métier.

Le premier data lake corporate a été mis en place il y a trois ans, sur un environnement Azure/Databricks. Avant, les données étaient dans les datacenters. Cela a libéré l'usage. Il y a eu un saut culturel, avec la création du poste de chief data officer. Le rôle de celui-ci est de s'assurer d'une stratégie data commune, de modèles communs, dans un contexte où les machines ne parlent pas le même langage. Nous avons aussi de plus en plus d'approches data mesh, avec des flux et non plus simplement du stockage de données.


Yves Caseau, CDIO de Michelin : "L'IT est aussi un outil qui permet de réduire l'impact global des entreprises."

Vous avez parlé du pneu durable. Qu'en est-il de l'IT durable, est-ce que l'IT contribue aux objectifs RSE du groupe et comment ?

L'IT durable fait partie des ambitions de Michelin. Pour nous, cette IT durable a deux volets : d'abord, chaque fois que nous utilisons une plateforme, il y a un impact, qu'il faut connaître et optimiser. Mais l'IT est aussi un outil qui permet de réduire l'impact global du groupe, de faire mieux pour viser un bilan global positif. Par exemple, des plus grosses capacités de calcul, comme une ferme de 1000 GPU, permettent d'innover pour trouver des matériaux plus efficaces.

Pour avoir un pneu durable, il faut aussi une traçabilité complète du cycle. Une partie des composants vient du caoutchouc naturel, d'autres du pétrole... Nous avons besoin de plateformes digitales certifiées pour tracer tous ces matériaux. L'économie circulaire s'appuie sur la confiance, et la confiance à grande échelle, c'est du digital, avec des technologies comme la blockchain, hyperledger. Il faut pouvoir prouver la démarche au consommateur. Il y a beaucoup de plateformes à inventer pour l'économie circulaire, le recyclage des pneus.

Quels sont vos autres grands sujets en tant que DSI ?

En tant que DSI, j'ai plusieurs sujets. Mon premier est de réfléchir à comment faire évoluer le système d'information pour accompagner la stratégie de Michelin, dans laquelle interviennent beaucoup d'acquisitions, d'investissements... D'où ce modèle de fédération, dans lequel les APIs et la modularité jouent un rôle clef. Il s'agit de favoriser l'intégration rapide de nouvelles sociétés, mais aussi de pouvoir en laisser partir.

Mon deuxième sujet est de réduire la dette technique, de s'assurer que les actifs sont en permanence à jour, d'un point de vue cyber notamment, mais aussi qu'ils restent de taille raisonnable, pour pouvoir évoluer vite. Être capable de bouger crée de la valeur, comme nous l'avons vu lors des trois dernières années. Il y a eu beaucoup d'opportunités durant la crise du Covid. Nous avons vu que les efforts de digitalisation ont porté leurs fruits dans le secteur du manufacturing. Nous avons déployé le programme Engage, nous n'avons pas fini d'en tirer la valeur, toujours dans le contexte d'une relation digitale avec nos clients. Beaucoup de demandes passent par des API, nous devons être à la hauteur des OEM/constructeurs comme des distributeurs. La transformation digitale consiste à rendre l'intégration plus facile, c'est un enjeu de culture.

Qui dit transformation digitale dit aussi besoins accrus en compétences technologiques. Comment abordez-vous cette dimension RH ?

Comme tout le monde, nous vivons la pénurie des talents. Nous avons rééquilibré notre ambition entre ce que nous faisons en interne et ce que nous faisons avec nos partenaires. Dans un monde de services, de transformation digitale des procédés, nous avons besoin de plus d'internalisation. La culture logicielle Michelin appartient à Michelin, nous devons recruter, former, attirer et garder des talents. En trois ans, sur la partie système d'information notre effectif a augmenté de 500 collaborateurs ; en six ans, en comptant le SI et le digital, nous devons être aux alentours de 1000 personnes recrutées.


Yves Caseau, CDIO de Michelin : "avoir le feedback des utilisateurs est une bonne pratique essentiel de l'agilité."

Dans la culture digitale, l'agilité occupe une place clef. Comment s'est passé l'arrivée de cette culture chez Michelin ?

Chez Michelin, il existe un faisceau de forces différentes. Nous croyons à la responsabilisation, à la culture d'excellence. Mes prédécesseurs avaient démarré une approche Lean agile, où l'on fait confiance à celui qui fait, avec une culture d'amélioration continue. En revanche, c'est aussi une entreprise industrielle, avec des feuilles de route longues, habituée à des cycles en V. L'arrivée des méthodes agiles dans un tel monde n'est pas simple. Sur ce point, les collaborateurs extérieurs nous aident à faire évoluer notre culture. Avec le digital, les méthodes agiles progressent, car il est très difficile de faire un système parfait à partir d'un cahier des charges dès qu'il y a un facteur humain en jeu, dès qu'il y a de l'apprentissage, des réactions.

Nous sommes très intégrés avec les métiers. Il y a des équipes IT dans la R&D et dans les usines. Nous avons un grand programme de refonte des processus autour d'un système ERP mis en place il y a dix ans, dans le cadre duquel nous nous débarrassons peu à peu du legacy mainframe. Sur ce programme, nous avons un plateau et des projets métier/IT. Sur les méthodes agiles, on rencontre des limites si c'est l'IT qui l'amène au métier. Ce qui change l'entreprise, c'est quand les fonctions métiers touchent du doigt à quel point elles créent plus de valeur avec une approche agile.

Sur l'agilité, une bonne pratique me semble essentielle : parler aux utilisateurs, mesurer leurs usages et avoir une boucle de feed-back avec eux. C'est une exigence qui va produire de la valeur. Faire ça avec un cycle en V est très dur, avec un « faux agile » aussi. En pratique, c'est une sorte de test ACID pour savoir si on fait de l'agile ou si on fait semblant.

Au début de l'entretien, vous avez mentionné la digital workplace et l'expérience des employés. Où en êtes-vous sur ce sujet ?

Sur l'expérience des employés, nous avons fait de gros investissements en 2017/2018 pour nous défaire de la dette technique autour de la DWP. Fin 2019 ce projet a été terminé. Quand la pandémie est arrivée, cela s'est révélé une bonne idée, qui a créé de la confiance dans l'IT, une dynamique de progrès. Quand trois ans plus tard j'ai présenté mon budget pour continuer à innover dans la collaboration et la DWP, celui-ci a été accepté même si nous n'avions pas tout de suite des cas d'usages et un ROI clairs. Nous avons l'ambition de donner les bons outils aux collaborateurs Michelin. La collaboration à distance fonctionne bien quand la vision est claire sur des objectifs précis, c'est plus difficile sur de la co-création pour inventer de nouvelles solutions.

Pour finir, qu'est-ce qui vous plaît et vous motive dans votre métier de directeur IT et digital, et comment voyez-vous ce rôle ?

Pour moi, CDIO est un métier de passion et d'enseignement. Mon rôle est d'aider Michelin à être exponentiel. Il faut donner envie, c'est l'un des aspects attractifs de la fonction. La partie importante est la pédagogie, pour faire apprendre les temps longs, les durées de vie des systèmes, éduquer sur la dette technique, la notion de portefeuille éducatif, d'âge moyen, la bonne gestion patrimoniale du système d'information. Tout cela n'est pas la responsabilité du DSI tout seul, c'est un patrimoine collectif, mais il a un rôle de référent sur ces sujets.

Une chose importante dans ce métier est la notion de cycle long. Quand on est DSI, on bénéficie de toutes les bonnes actions de ses prédécesseurs, et nos successeurs bénéficient des nôtres. Il ne faut pas être trop pressé. Dans mes trois postes de dirigeant IT (NDLR Yves Caseau a précédemment été directeur du digital chez Axa et DSI chez Bouygues Telecom), j'ai toujours été reconnaissant à mes prédécesseurs.

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