Xavier Etienne (DGA de la Française des Jeux) : « l'innovation produit passe souvent par une plate-forme numérique »


Quand l'innovation et les services coeur de métier passent par le numérique
La transformation numérique, vous l'aimez, vous la vivez. Tous les jours. Trop souvent, pourtant, on voit le numérique en surface, en périphérie du coeur de métier, une sorte de cerise sur le gâteau. Or le numérique est bien souvent au coeur du métier, son fondement. Et la délivrance des services...
DécouvrirXavier Etienne, Directeur général adjoint Technologies & International de la Française des Jeux, explique la stratégie de l'opérateur de jeux dans ces deux secteurs. Récemment privatisée, cette entreprise doit continuer à relever de nombreux défis, de la mutation technologique à la connaissance client en passant par la transformation humaine.
PublicitéCIO : En tant que DGA Technologies & International de la Française des Jeux, quel est votre rôle dans l'organisation de votre entreprise ?
Xavier Etienne : Mon rôle est double : d'une part, piloter les directions en charge de la technologie et des systèmes d'Information ; d'autre part, faire croitre le développement international du Groupe.
Au sein de mon organisation, les technologies sont portées par la Direction Systèmes d'Information en charge de l'évolution du SI et des projets, la Direction Technique en charge de son opération et de l'ingénierie technique, et le Département Sécurité des systèmes d'information. Notre filiale FDJ Gaming Solutions, dont j'ai également la charge, porte le développement des plateformes coeur de métier et la commercialisation de services B2B à l'international, dans une logique de synergie d'investissement technologique entre le secteur domestique et l'international.
CIO : Comment pouvez-vous décrire votre informatique interne ?
Xavier Etienne : Pour tout ce qui relève de l'informatique de support, du PC aux outils classiques (bureautique...), nous procédons plutôt par achat de services. Pour le « back-office » des métiers supports (DAF, DRH...), nous utilisons des progiciels paramétrés pour nos besoins, essentiellement Oracle e-Business Suite.
Pour l'informatique coeur de métier (jeux de loterie, paris sportifs, gestion des comptes clients et détaillants, équipements du point de vente...), nous misons à l'inverse sur du développement propre en interne. Il peut arriver que nous trouvions sur le marché une plateforme qui nous convienne mais nous ne l'adoptons qu'à condition d'obtenir les garanties nécessaires, soit en sécurisant une équipe chez l'éditeur, soit en opérant un transfert de technologie pour garder toute la capacité à faire évoluer l'outil selon les impératifs de nos activités.
Notre stratégie est de mener une transformation digitale axée sur le client. C'est donc sur cet axe que nous portons nos efforts.
CIO : Avec des jeux tels que EuroMillions, vous êtes amenés nécessairement à collaborer avec vos partenaires. Comment cela se passe-t-il ?
Xavier Etienne : Dans un jeu comme EuroMillions, chaque entreprise de loterie est autonome dans la prise de jeu. Il y a ensuite une centralisation des flux financiers, puis une répartition opérée à nouveau par chaque loterie.
Plus globalement, le monde des loteries est régulé par pays et souvent dans le cadre d'un monopole. Les autres acteurs du secteur sont donc plus des pairs que des concurrents. Nous pouvons alors collaborer sur des jeux, comme c'est le cas pour EuroMillions.
En France, les paris sportifs, le poker et les paris hippiques en ligne sont en situation concurrentielle mais la loterie et les paris sportifs en point de vente sont des monopoles de la Française des Jeux.
Nous sommes présents et échangeons au sein d'associations professionnelles internationales telles que European Lotteries et la World Lottery Association, que ce soit au niveau des bonnes pratiques, des référentiels ou des normes. Par exemple, nous avons développé une verticalisation de la norme ISO 27001 pour disposer d'un référentiel de sécurité des systèmes d'information avec les éléments spécifiques à notre secteur.
Nous travaillons également depuis quelques années à une mise en commun des jeux sur une plateforme, avec un modèle économique de répartition entre apporteurs de jeux et distributeurs dont FDJ est à l'origine. Nous avons ainsi créé « Lottery Entertainment Innovation Alliance (LEIA) », une entreprise commune avec nos homologues du Danemark, de Norvège et de Finlande. C'est une autre manière de collaborer.
Chacun peut partager ses innovations et générer des revenus à l'international via les différents opérateurs nationaux partenaires.
L'innovation passe souvent par une plate-forme numérique qu'il faut construire puis tester et faire évoluer en fonction des retours avant de monter en puissance.
C'est cette démarche que nous avons engagée avec les loteries nordiques.
PublicitéCIO : Comment évitez-vous les dérives par des joueurs compulsifs ?
Xavier Etienne : Notre modèle de jeux est extensif : nous essayons d'avoir un maximum de clients, pas que chacun joue plus. Cela nous a permis de connaître une croissance continue depuis plus de vingt ans.
De là notre positionnement sur le jeu responsable, qui fait partie intégrante de notre modèle de développement et est une de nos préoccupations centrales. FDJ met notamment en oeuvre de nombreux outils de prévention des comportements de jeu excessif et de protection des mineurs.
CIO : Revenons maintenant sur les fondations techniques. Quelle est votre architecture de système d'information ?
Xavier Etienne : Nous avons nos propres datacenters, dans le sud de la France, sur deux sites distants qui hébergent notre système informatique central (systèmes de front office, plateformes de jeux et de paris sportifs, gestion des clients, des distributeurs, et systèmes de back office). Toutes nos infrastructures techniques sont redondantes pour assurer un très haut niveau de continuité de service. Notre SI opère sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre ; une minute peut représenter jusqu'à 130 000 euros de mises lors des pics de charge les plus importants.
Côté réseau de distribution, nous gérons 100 000 équipements dans 30 000 points de vente, connectés en temps réel à cette informatique centrale: terminaux de vérification de gains, terminaux de prise de jeu, afficheurs promotionnels... Nous avons deux millions de clients en ligne, vingt-cinq millions via le réseau de distribution.
Donc, là encore, un terminal qui tombe en panne, c'est du chiffre d'affaires en moins. Nous avons donc un processus très rigoureux de maintenance terrain. Nous avons ainsi deux centres d'appels, l'un pour les clients, l'autre pour les détaillants, pour répondre à toutes les demandes en cas d'incident.
CIO : Votre réseau de points de vente étant encore plus dense que celui de La Poste, comment gérez-vous la question des télécoms pour garantir une connexion temps réel même en zone rurale ?
Xavier Etienne : Le réseau est un actif stratégique pour nous, avec une obligation d'optimiser le niveau de service. Nous le pilotons avec soin et anticipation. Nous combinons du filaire et du sans fil. Mais les détails sont confidentiels.
CIO : Vos multiples points de vente doivent encore être alimentés en tickets papier en fonction des ventes. Comment procédez-vous ?
Xavier Etienne : Nous disposons d'un entrepôt pour stocker les tickets à gratter. Nous en émettons environ deux milliards par an. La répartition entre les 30 000 points de vente dépend bien sûr d'informations issues de la gestion commerciale pour définir les besoins en réassort.
La logistique est totalement automatisée, y compris le colisage, ce qui est unique au monde sur le secteur. Le ticket en lui-même ne vaut rien tant qu'il n'a pas été activé en point de vente.
CIO : Autant, en ligne, vous avez des clients identifiés, autant les clients d'un détaillant sont anonymes. Comment connaissez-vous vos clients ?
Xavier Etienne : C'est un des enjeux du plan stratégique mené à bien depuis cinq ans et du nouveau plan FDJ 2025.
La transformation digitale des offres et des services est au coeur de notre stratégie. A terme, l'objectif est d'avoir un parcours de vente multicanal pour nos jeux de loterie. Historiquement, la Française des Jeux est un opérateur de jeux anonymes de loterie via un réseau physique, que nous faisons évoluer avec Internet et la digitalisation vers plus de connaissance du client.
Avant 2015, le digital était un appendice du SI historique conçu pour gérer des jeux anonymes en points de vente. La transformation que nous avons engagée depuis cinq ans vise à ce que le SI soit capable de traiter le client quel que soit le canal d'acquisition, en mode multicanal. Nous réalisons une transformation numérique du coeur de notre réacteur, qui, il faut le rappeler, gère 17 milliards d'euros de flux financiers, avec des pics à 1000 transactions par seconde. Notre but est d'aboutir à un SI jeux agnostique au canal d'acquisition - au lieu d'avoir un SI jeux en ligne et un SI jeux en point de vente -, l'ensemble fondé sur une connaissance à 360° autant des clients que des distributeurs.
Pour y parvenir, nous avons besoin d'une vision stratégique, pas d'un plan rigide. Nous fixons donc une cible à cinq ans et nous définissons les grandes étapes de transformation. Trois à quatre fois par an, un comité de gouvernance, au niveau de la direction générale, est dédié au pilotage de la stratégie technologique du Groupe. Il en contrôle la mise en oeuvre mais actualise aussi les plans en fonction des évolutions du contexte. Nous mettons ainsi en oeuvre une feuille de route des évolutions du SI qui tient compte des priorités, des budgets et de la vision stratégique long terme. Nous devons en effet à la fois transformer les fondations et assurer la livraison de nouvelles capacités. Nous pilotons ainsi une transformation en profondeur du SI sans période blanche pour nos activités commerciales.
Avec le plan FDJ 2020, nous sommes arrivés au milieu du gué grâce à 500 millions d'euros d'investissements. Le plan FDJ 2025 prévoit 600 millions supplémentaires, notamment pour achever cette transformation d'envergure.
Il y a une montée en puissance de la connaissance client, bien entendu en ligne, mais également en point de vente, pour toujours développer les offres les plus adaptées aux souhaits des clients. Cela implique la mise en oeuvre progressive de dispositifs pour connaître le client.
Sur les jeux anonymes, pour l'instant, on peut, par exemple, émettre des bons à-valoir promotionnels selon les comportements des clients. Par exemple si j'achète une ou plusieurs grilles d'EuroMillions, je vais bénéficier d'une réduction pour jouer au Loto.
Par ailleurs, nous offrons déjà la possibilité aux joueurs de digitaliser le pari sportif et la loterie en point de vente. Par exemple, l'application FDJ pour la loterie ou ParionsSport Point de Vente pour le paris sportif permettent de préparer son jeu sur mobile, de générer un code barre, qui permettra au joueur de valider sa prise de jeu en point de vente. Sur les paris sportifs, plus de 60 % des mises sont ainsi digitalisées. Et même si l'application mobile permet du pari presque anonyme, c'est déjà un outil de connaissance client.
CIO : Au-delà des projets déjà évoqués, quels sont les grands défis que vous aurez à relever dans les années à venir ?
Xavier Etienne : Le premier, c'est bien sûr réussir la transformation technologique à l'horizon 2025 avec trois axes : digitalisation, connaissance client et innovation.
Notre deuxième défi, c'est de réussir notre développement à l'international en s'appuyant sur notre maîtrise technologique. Nous voulons mutualiser le marché domestique et les marchés internationaux dans le cadre d'une logique de plateforme.
Le digital, l'innovation, l'international : c'est ce qu'il faut pour séduire et retenir les meilleurs talents.
Notre troisième défi, c'est précisément la transformation humaine, en lien avec toutes les grandes transformations évoquées. Au sein du pôle Technologie & International et de notre filiale FDJ Gaming Solutions, nous avons 900 collaborateurs. Il faut faire évoluer nos organisations, nos méthodes, nos technologies... Et pour cela il faut expliquer, donner du sens et accompagner par un programme de formation approprié. Cette transformation humaine, bien sûr, amène à changer la relation entre l'IT et les autres métiers en l'inscrivant plus dans une logique de partenariat que dans une logique uniquement clients-fournisseurs.
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
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