VMware : les entreprises combattent pour faire respecter leurs contrats
En France, Thales a enfoncé un premier coin dans la stratégie de Broadcom basée sur la dénonciation unilatérale des contrats existants. Outre-Atlantique, ATT entend bien en faire de même. Mais la question de fonds - les conditions des nouveaux contrats de souscription VMware - reste entière. A moins que l'UE ne vienne contrarier les plans de l'éditeur.
PublicitéUne victoire, une demi-victoire ? En tout cas, le jugement rendu en référé le 19 juillet dernier enfonce un premier coin dans la stratégie en forme de rouleau-compresseur de Broadcom, suite à son rachat de VMware. En réponse à une assignation en référé déposée par Thales le 25 avril, le tribunal de commerce de Paris a ordonné à VMware de poursuivre, jusqu'à leur terme, l'exécution de trois contrats de licence (ELA en jargon) - prolongations de maintenance y compris -, « sous astreinte de 50 000 euros par jour de retard et par infraction constatée à compter du lendemain de la décision ». La décision de Thales de se tourner vers le juge des référés résulte du refus de VMware d'honorer une commande passée le 11 décembre dernier pour un montant de près de 6 M€, sur la base des conditions prévues à son contrat.
Par ailleurs, le juge demande à VMware de poursuivre son contrat de partenariat avec le groupe d'électronique spécialisé dans l'aérospatial, la défense et la sécurité, des relations nouées en janvier 2022 qui sont au coeur de l'activité cloud de Thales. Sans toutefois se prononcer sur la légitimité de la logique de bundle que VMware veut imposer à ses clients et sur ses conséquences financières.
Respect des contrats existants
En somme, Broadcom-VMware voit le juge des référés lui imposer de respecter les contrats existants, obligation à laquelle l'éditeur avait tentée de se soustraire via la brusque modification de ses conditions contractuelles le 12 décembre 2023. En revanche, le tribunal se déclare, logiquement, incompétent pour « statuer sur la licéité et encore moins sur l'opportunité de l'évolution des pratiques commerciales de VMware ». Sur ce terrain, Thales prévoit d'ailleurs d'introduire une action devant la Commission européenne pour dénoncer les pratiques jugées abusives de l'éditeur américain.
« Le juge considère que rien dans les contrats ne prévoit la résiliation anticipée des contrats, commente François-Pierre Lani, avocat associé au cabinet Derriennic. Il en découle que les crédits HPP (Hybrid Purchasing Program, des crédits de consommation à activer au fil du contrat) acquis ont vocation à être commandés. » VMware se doit donc d'honorer la commande de Thales datant de décembre dernier, résultant d'un contrat existant. Selon l'avocat, ce que le groupe français a obtenu devant la justice - soit le respect des contrats existants, extensions de maintenance y compris -, d'autres grandes entreprises y sont parvenues via la négociation, certes musclée. « Mais la décision du juge est utile pour toutes les entreprises n'ayant pas la même force de négociation que les grands groupes », souligne l'avocat.
ATT et Thales, même combat
« On peut se réjouir de voir qu'un client est allé au bout de la démarche. Il s'agissait d'un enjeu important pour Thales, dit de son côté Guillaume Geudin, directeur du département performances achats du cabinet Elée, spécialisé dans la gestion des dépenses logicielles et cloud. Car certains clients misent sur des technologies VMware pour des programmes courant sur une dizaine d'années. On assiste alors à une vraie confrontation de logiques avec l'éditeur, confrontation qu'avait négligée Broadcom. » En effet, deux des contrats Thales, dont le juge des référés a imposé le respect jusqu'à leur terme, concernent des prestations fournies par le groupe français à l'Otan et au ministère des Armées français. « Ce jugement du tribunal de commerce montre que c'est possible de faire respecter les contrats, ajoute Guillaume Geudin. C'est un signal positif car, souvent, les entreprises cherchent à éviter le référé. »
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Henri d'Agrain, délégué général du Cigref : « La plainte d'ATT montre que la réaction au comportement de Broadcom n'est pas limitée à l'Europe. ATT dit exactement la même chose que nous ! »
Même satisfecit du côté du Cigref, qui ferraille depuis de longs mois avec Broadcom tant pour faire respecter les contrats existants que pour dénoncer les nouvelles conditions de l'éditeur, qu'il juge abusives. Henri d'Agrain, le délégué général de l'association, se réjouit d'ailleurs de voir l'opérateur américain ATT poursuivre Broadcom sur des bases similaires devant la Cour suprême de l'Etat de New York. L'opérateur explique que l'éditeur spécialiste de virtualisation refuse d'honorer une prolongation de maintenance et menace « de ne pas fournir les services d'assistance essentiels pour les logiciels sous licence perpétuelle VMware précédemment achetés, à moins qu'AT&T ne capitule devant [ses] exigences ».
Montant de cette capitulation attendue selon la plainte : des centaines de millions de dollars de logiciels et services vendus en bundle. Comme Thales en France, ATT exploite les technologies VMware pour fournir des services essentiels à des acteurs publics (comme les communications d'urgence) et forces de sécurité au sein du gouvernement fédéral. Jusqu'au bureau du président des Etats-Unis. Ce qui fait dire à ATT que l'attitude de Broadcom constitue un risque « pour la sécurité nationale et la sécurité publique ». Rien que ça.
Inévitable passage au mode souscription ?
« La plainte d'ATT est un événement majeur du fait du poids de cet acteur. Par ailleurs, cela montre que la réaction au comportement de Broadcom n'est pas limitée à l'Europe, commente Henri d'Agrain. ATT dit exactement la même chose que nous ! Ses avocats parlent même de pratiques d'extorsion. » Chez ATT, les technologies VMware sont déployées sur 8600 serveurs et fournissent des services à des millions d'utilisateurs, selon l'opérateur.
Ces deux plaintes, initiées par des acteurs clefs de leur marché respectif, chacun ayant un poids significatif dans la sécurité nationale, marquent un coup d'arrêt dans la tentative de Broadcom de tirer purement et simplement un trait sur les contrats existants. Et permet à de nombreux DSI de s'acheter du temps. « Mais le sujet principal, autrement dit le passage au mode souscription accompagné de la vente des technologies VMware sous forme de bundle, reste entier. Les entreprises aimeraient retrouver leur périmètre fonctionnel et éviter de se retrouver face à des tarifs multipliés par un facteur allant de 2 à 10. C'est la limite de l'action judiciaire actuelle », souligne François-Pierre Lani. Selon ce dernier, comme la remise en cause des contrats existants par Broadcom remonte à 2023, et comme la plupart d'entre eux ont été signés pour une durée de trois ans, toutes les entreprises ou presque devraient passer en mode souscription d'ici à 2026.
Broadcom un tout petit peu plus souple
« Peu de grands contrats de renouvellement ont été pour l'instant été signés, ne serait-ce qu'en raison du flou qui règne encore chez VMware lui-même et chez ses revendeurs, assure toutefois Guillaume Geudin. Les négociations restent très difficiles, car les nouvelles conditions de l'éditeur se traduisent par une double sanction pour les clients, sur le nombre de coeurs minimum et sur la logique de bundle. Une première échéance se situe au 31 octobre, à la fin de l'année fiscale de Broadcom. La pression va croître de façon exponentielle jusqu'à cette date. » Pour cet exercice fiscal, Broadcom table sur une attrition d'un milliard de dollars sur les 13 milliards annuels que générait VMware l'an passé. Sur les trois premiers trimestres, Broadcom déclare aux autorités américaines un chiffre d'affaires d'environ 8,6 Md$ pour VMware, dont 3,8 Md$ au cours du seul trimestre achevé en août. L'objectif annuel paraît donc atteignable, à condition de réaliser un trimestre dans la lignée du précédent.
Avec, désormais, un Broadcom qui se montre un tout petit peu plus souple sur les conditions de renouvellement. « Concernant les tarifs, des discussions commerciales sont désormais possibles. Le comportement couperet a disparu, mais les relations commerciales restent très déséquilibrées au profit de l'éditeur », dit l'avocat François-Pierre Lani, qui ne cache pas privilégier la voie de la négociation avec l'éditeur américain. « Des discussions sur le déploiement progressif de la logique de bundle ont lieu, accompagné d'une hausse progressive du tarif, ajoute Guillaume Geudin. De même, une entreprise au moins discute d'une sortie partielle de la logique de bundle et une société en Grande-Bretagne a déjà obtenu des conditions de ce type. Rappelons qu'il s'agit d'un blocage purement contractuel, sans fondement technique. » Et quelques alternatives pointent le bout de leur nez, note le responsable du cabinet Elée, comme des offres de tierce maintenance applicative (Origina et Rimini Street notamment). « Des marges de négociation existent. Mais, pour nos clients, on est passé d'une situation totalement inacceptable, à une situation simplement inacceptable », résume Guillaume Geudin.
La fronde s'organise
Car, sur le fond, les conditions aboutissant à une explosion des tarifs de VMware subsistent. A moins que d'ici la vague de renouvellements de contrats en 2025 et 2026, l'Europe ou l'Autorité de la concurrence en France ne remettent en cause les pratiques de VMware. « Ces instances devraient sanctionner l'abus de position dominante des éditeurs de technologies clefs. Les entreprises ont raison de saisir les tribunaux pour dénoncer ces comportements, mais il faut avoir conscience qu'il s'agit là d'un travail de longue haleine », commente François-Pierre Lani.
Au-delà de la contestation portant sur l'annulation sans préavis des contrats existants, d'autres fronts judiciaires vont s'ouvrir. « Nous n'en sommes qu'au début de l'histoire, assure Henri d'Agrain. Dans d'autres pays, les avocats des entreprises ont plutôt choisi de contester le caractère abusif des nouveaux contrats après leur signature. » Par ailleurs, le Cigref vient de saisir les autorités de la concurrence européennes sur le caractère abusif des contrats VMware. « Et nous ne sommes pas les seuls dans ce cas », glisse le délégué général de l'association.
Contacté via son agence de relations presse, Broadcom indique avoir fait appel du jugement du tribunal de commerce de Paris, dans l'affaire l'opposant à Thales. La société confirme sa volonté de fournir une solution intégrée à ses clients. « Nous observons une dynamique positive alors que les principaux fournisseurs européens de services cloud, dont Telia et Orange, rejoignent le Broadcom Advantage Partner Program, écrit Broadcom dans un mail envoyé à la rédaction. VMware Cloud Foundation réduira considérablement le coût total de possession (TCO) pour les clients, grâce aux économies réalisées sur l'infrastructure, les installations et la productivité de la main-d'oeuvre par rapport au cloud public natif. »
Article édité le 15/10/2024 (correction du montant de l'astreinte)
Article rédigé par
Reynald Fléchaux, Rédacteur en chef CIO
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