Vincent Niebel (DNum, Ministère de l'Intérieur) : « la rationalisation de la fonction numérique du ministère est au service de l'ensemble des métiers et de sa transformation numérique »


La révolution numérique des services publics
Depuis la création de la DINUM (Direction Interministérielle du Numérique), tous les ministères se dotent les uns après les autres d'une direction du numérique. Loin de n'être qu'un détail de vocabulaire pour être à la mode, il s'agit d'une véritable révolution dans les pratiques, une...
DécouvrirLe Ministère de l'Intérieur a récemment créé sa Direction du Numérique (DNum). Son directeur, Vincent Niebel, en explique les raisons et modalités, reposant sur volonté d'accélérer la transformation numérique du ministère et une vaste rationalisation des moyens. Il revient également sur les choix et différences d'architecture IT au sein du ministère, sur l'amélioration du service rendu aux citoyens grâce aux téléprocédures et sur la question des ressources humaines.
PublicitéCIO : Comment vient s'insérer la nouvelle Direction du Numérique (DNum) dans l'organisation du Ministère de l'Intérieur ?
Vincent Niebel : Créée au premier janvier 2020, la DNum joue désormais pleinement le rôle d'une direction des systèmes d'information groupe pour l'ensemble du Ministère de l'Intérieur. Elle est chargée de développer une stratégie ambitieuse et harmonisée de transformation et d'innovation dans le domaine du numérique en réponse aux besoins des métiers et en présentant les opportunités offertes par le numérique.
Le ministère est organisé en directions générales, chacune représentant un grand métier : collectivités locales, étrangers en France, sécurité civile, sécurité routière, etc. La sécurité intérieure repose sur deux directions générales: celle de la police et celle de la gendarmerie. A cela s'ajoutent des agences comme l'ANTAI (Agence Nationale du Traitement Automatisé des Infractions), l'ANTS (Agence Nationale des Titres Sécurisés), l'ANSC (Agence du numérique de la sécurité civile) ainsi que le Secrétariat Général (SG). Ce dernier regroupe l'ensemble des fonctions transverses (finances, RH, juridique, numérique, immobilier, achats) et incarne également la tête de pont de l'administration préfectorale et le pilotage de l'ensemble de l'administration territoriale interministérielle de l'Etat. Certaines de ces agences et directions disposaient de leurs propres IT, comme le ST(SI)² [service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure, NDLR].
En 2013, une mission de gouvernance ministérielle des systèmes d'information et de communication, rattachée au SG, avait déjà été mise en place. L'objectif était de synchroniser les efforts, de coordonner et d'harmoniser les SI, mais cette mission était très légère et ne disposait pas de tous les leviers nécessaires pour agir.
La création de la DNum constitue une démarche beaucoup plus ambitieuse puisqu'elle a vocation à coordonner toutes les initiatives, éviter la redondance de certaines fonctions, et diffuser les innovations à l'ensemble des métiers du ministère. Elle dispose de plusieurs leviers pour ce faire : une gouvernance inclusive reflétant la diversité des métiers, une autorité fonctionnelle sur les acteurs numériques du ministère (ST(SI)², service IT en zones et à la Préfecture de Police, tutelle de deux agences numérique) et un pilotage de l'ensemble du budget ministériel dédié au numérique.
Dans les domaines les plus disruptifs, la DNum s'appuie sur deux « lab' », l'un dédié à l'innovation et l'autre à la maîtrise et à la valorisation des données.
Les équipes qui travaillent dans ces « lab' » sont à la pointe des méthodes agiles et de coconstruction avec une approche centrée sur les besoins des usagers, qu'ils s'agissent des citoyens ou des agents publics. La DNum animera également l'ensemble des « lab' » et structures d'innovation numérique du ministère
PublicitéCIO : Si la mutualisation répond à une logique claire, les métiers, très différents les uns des autres, ont chacun leurs propres besoins. Comment garantir le « cousu main » ?
Vincent Niebel : Soucieuse de la préservation des ressources, la DNUM cherche à produire du « prêt à porter » là où des besoins communs à l'ensemble des métiers sont exprimés. Le « sur-mesure » est aussi nécessaire pour répondre à certains besoins, , mais c'est aussi en mutualisant certaines fonctions partagées qu'on arrive aujourd'hui à garantir du « cousu main » de qualité.
Les métiers ont chacun leurs propres besoins qu'il s'agit bien sûr de satisfaire. Mais, si des applications utilisées par les pompiers, les gendarmes, les policiers ou les agents des préfectures, sont certes différentes, elles reposent aussi sur des briques communes. Nous avons tous besoin de sécurité et de fiabilité. Quand on héberge un SI ou quand on supervise des postes de travail, nous avons tous besoin d'une surveillance 24/7 avec un niveau de protection élevé. Avoir une approche ministérielle, c'est aussi garantir une interopérabilité des systèmes, synonyme de gain de temps et d'intégration au bénéfice de tous les agents du ministère. Nous avons tous une « carte agent » pour nous identifier mais il reste des systèmes à rationaliser, sous l'égide de la DNum, pour permettre une authentification simplifiée et sécurisée au niveau du ministère.
Nous sommes conscients à la DNum que dans certains domaines, mieux faire ne signifie pas tout mutualiser. Nous avons par exemple fait le choix de garder certaines structures en proximité du métier comme le ST(SI)² et les agences. Après tout, l'existence d'une DSI groupe n'a jamais signifié la disparition des DSI d'entités. Certains besoins, pour des interfaces sur terminaux mobiles par exemple, doivent être couverts spécifiquement. Mais le « cousu main » pour l'un peut servir à d'autres : nous essayons d'utiliser au mieux cette souplesse et de maximiser les usages.
CIO : Quels sont les grands principes que vous appliquez dans votre architecture IT ?
Vincent Niebel : Commençons par les réseaux. Nous disposons de plusieurs sous-réseaux différents, reposant physiquement sur le RIE (Réseau Interministériel de l'État), notamment un pour la police, pour l'administration préfectorale, etc. Ils sont chiffrés au niveau applicatif. La Gendarmerie Nationale a déployé son propre sous-réseau sur le RIE mais en conservant ses choix technologiques antérieurs, avec un chiffrement sur le flux réseau lui-même, auquel s'ajoutent parfois des chiffrements applicatifs.
Pour les structures d'hébergement, nous avons deux structures assurant un hébergement avec supervision 24/7, chacun fonctionnant en sites redondés. Ils ont en général fait les mêmes choix technologiques (Linux, AIX...) et disposent des mêmes expertises.
Notre but est donc de rationaliser à moyen terme l'ensemble de ces infrastructures, au bénéfice de tous. Nous avons d'ores et déjà mis en oeuvre un cloud interne sur technologie OpenStack mais nous avons besoin de développer la conteneurisation et de travailler sur l'hybridation.
Au Ministère de l'Intérieur, la souveraineté numérique est une préoccupation majeure. Même si certaines fonctions d'opérateurs resteront externalisées, nous devons maîtriser en interne l'ensemble des fonctions critiques permettant de garantir la continuité des activités essentielles du ministère. Côté applicatif, nous cherchons à avoir des choix cohérents. Nous mettons en oeuvre des portails applicatifs par grands métiers. À terme, ces portails devront s'inscrire dans la logique SSO interministérielle Agent Connect.
Globalement, nous pouvons résumer nos choix en mentionnant le cloud interne avec une tendance à l'hybridation, la mobilité (réseau radio du futur et terminaux mobiles sécurisés...), l'APIfication de nos SI, dans une perspective d'open-data pour les données éligibles. La DNum permet de construire ensemble, avec les métiers, l'adoption de cette logique au niveau ministériel, dans un cadre interministériel TECH.GOUV auquel le Ministère de l'Intérieur souscrit intégralement et contribue activement. .
CIO : Pour la Gendarmerie Nationale, l'open-source est un choix historique. Qu'en est-il ailleurs au sein du ministère ?
Vincent Niebel : Le Libre est un choix réalisé de longue date au niveau de l'ensemble du ministère, mais c'est un choix raisonné, et non un dogme.
Dès le début des années 2000, la Gendarmerie Nationale (à l'époque rattachée au Ministère de la Défense) a fait le choix d'une architecture globale de poste de travail, avec une gestion de ressources, open-source. Pour autant, la DGGN utilise également, pour certains services, des produits propriétaires.
La police, à l'inverse, s'inscrivait dans l'active-directory ministériel et son patrimoine applicatif était contraint par des adhérences fortes aux technologies Microsoft.
Rationaliser l'ensemble, qui ne veut pas nécessairement indiquer un passage au Libre pour tous les usagers, ne peut pas se faire en un claquement de doigts. Mais les choses évoluent vite désormais.
En optant pour des applications web, indépendantes du type de terminal et du système d'exploitation (en mode PWA par exemple), cela facilite la convergence. Je ne vois aucun inconvénient à accroître le nombre de PC sous Linux pour toutes les populations de personnels partout où il n'y a pas d'adhérence à un autre environnement. Il n'en reste pas moins que certains utilisateurs ont besoin d'Office.
Le logiciel libre peut être pertinent à grande échelle mais il ne faut jamais oublier que le Libre n'est pas gratuit. Nous utilisons donc de l'OpenStack et des bases PostGreSQL mais aussi, quand des fonctionnalités l'exigent, du VMware et des bases Oracle.
CIO : Le Ministère de l'Intérieur est aussi celui de la sécurité. Comment gérez-vous la question de la cybersécurité ?
Vincent Niebel : Le Secrétaire Général du ministère est aussi Haut-Fonctionnaire de Défense, avec une équipe dédiée à ce rôle. Il définit donc les doctrines et les choix de stratégies, par exemple en matière de droit d'accès ou d'homologation des outils. La Mission sécurité des systèmes d'information (SSI) rattachée à la DNUM s'attache à vérifier que les homologations exigées et les stratégies choisies sont bien appliquées.
Par ailleurs, nous travaillons régulièrement avec l'ANSSI, que ce soit dans le cadre du développement de systèmes sécurisés (mobilité, hébergement) ou pour l'homologation des systèmes sensibles.
CIO : La digitalisation et les téléprocédures peuvent paraître une panacée pour un service aux citoyens 24/7. Or les délais de traitement restent parfois importants. Comment est-ce possible ?
Vincent Niebel : Dans l'ensemble, les téléprocédures ont considérablement facilité la vie des citoyens. Si l'on prend l'exemple des pré-demandes en ligne de carte nationale d'identité (CNI) et de passeport, ou encore pour les demandes d'immatriculation ou de cession d'un véhicule, dans plus de 90 % des cas, tout se passe très simplement, en 30 minutes maximum en ligne, là où, avant, il fallait passer en préfecture.
Il peut y avoir des goulets d'étranglement sur certaines interfaces numériques complexes car les procédures le sont également. Certaines d'entre elles nécessitent une intervention humaine lourde en back-office. Dans l'exemple de l'immatriculation, les cas les plus complexes représentent environ 5 % des cas, et ceux-ci ont généré, pour certains, une image générale de difficultés, qu'il faut impérativement améliorer, mais qui ne reflètent pas la réalité aujourd'hui. Il faut avoir conscience qu'il reste (et il restera) des cas réglementairement complexes qui nécessiteront des interventions manuelles dont la fluidité résultera d'une adaptation progressive des processus et réglementation qui ne peut pas toujours se faire au même rythme des évolutions numériques. Nous sommes désormais extrêmement vigilants sur ces points.
Globalement, les téléprocédures correspondent bien aux attentes de la majorité des usagers. Il faut cependant garder à l'esprit que 15 à 20 % de la population est aujourd'hui éloignée du numérique (ce qui est beaucoup plus que dans les pays scandinaves, par exemple, qui en comptent environ 5% ). Il faut donc garantir l'égalité d'accès des usagers au service public et permettre à ceux qui sont exclus du numérique de pouvoir effectuer leurs démarches. C'est pour cela que des points d'accueil numérique ont été mis en place dans toutes les préfectures et certaines sous-préfectures (350 points), pour guider et aider ceux qui ne sont pas familiers des outils digitaux. La création des maisons des services publics répond également à cet objectif de réduire la fracture numérique.
En termes de téléprocédure, il nous reste encore des progrès à faire. La DNum travaille aujourd'hui activement sur la numérisation de plusieurs procédures essentielles à nos concitoyens : le développement de la plainte en ligne, les démarches « étrangers » comme la demande de titre ou de renouvellement de titre de séjour, ou encore la demande de visas en lien avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
CIO : Un autre chantier qui vous est imposé par l'Union Européenne est celui de la Carte Nationale d'Identité Electronique (CNIE). Où en êtes-vous ?
Vincent Niebel : Les différents Etats restent souverains sur les titres (cartes d'identité) qu'ils émettent. Mais dès lors qu'un titre est émis et qu'il est susceptible d'être utilisé comme moyen d'identité dans l'Espace Schengen, il devra respecter, d'ici le 2 août 2021, des règles harmonisées définies dans un règlement européen. Il s'agit en particulier de règles générales de présentation et de l'inclusion d'une puce électronique intégrant des données d'identification.
Ce chantier va nous aider à mettre en place une identité numérique très fiable reposant sur un jeton physique (en l'occurrence, la CNIE, le passeport, ou le titre de séjour étranger). Mais tous les arbitrages ne sont pas encore rendus. L'existence d'un titre certifié sera un vecteur de confiance dans le monde numérique : c'est de la responsabilité du Ministère de l'Intérieur au même titre que sa responsabilité dans le monde physique avec les titres physiques délivrés.
CIO : Tous les chantiers et les tâches quotidiennes dont nous avons parlé nécessitent des ressources humaines de haut niveau, particulièrement rares et demandées sur le marché. Comment comptez-vous les séduire malgré le cadre contraint de la Fonction Publique ?
Vincent Niebel : Le Ministère de l'Intérieur porte des politiques publiques qui parlent à tous. Aujourd'hui, de plus en plus de jeunes qui sortent des écoles d'ingénieurs sont à la recherche de sens et d'engagement. En rejoignant la DNum, ils travaillent sur des projets qui recouvrent la diversité des métiers du Ministère de l'Intérieur (sécurité civile, sécurité routière, étrangers en France, sécurité publique etc.) et dont le but est de faciliter la vie des citoyens et des agents publics. Nos ingénieurs, développeurs ou data scientists, par exemple, travaillent de manière agile, en petites équipes et sur des technologies de pointe comme le cloud ou l'intelligence artificielle. Nous avons ainsi développé des applications et programmes innovants comme IA Flash, qui est une brique d'IA qui détecte un véhicule, sa marque et son modèle et qui vise à éviter que des propriétaires de véhicules reçoivent des avis de contravention pour des infractions commises par d'autres véhicules.
Sur le plan budgétaire, un cadre financier interministériel permet de proposer des rémunérations acceptables à des contractuels dans une quinzaine de métiers en tension. Nous faisons tout pour gagner en réactivité pour proposer des postes de contractuels à des candidats pouvant recevoir de nombreuses propositions en un court laps de temps.
Des corps interministériels (comme celui des ingénieurs SIC) permettent par ailleurs aux agents statutaires, qui constituent la majorité des agents de la DNum, une mobilité attractive. Enfin, nous voulons développer des partenariats avec le monde académique, afin d'explorer ensemble les perspectives et opportunités technologiques numériques bien sûr, mais aussi afin d'accueillir des stagiaires qui pourraient ensuite nous rejoindre plus facilement.
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
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