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Vincent Lévy, directeur digital, clients et marketing de Cora France : « Nous avons besoin de nous réinventer »

Vincent Lévy, directeur digital, clients et marketing de Cora France : « Nous avons besoin de nous réinventer »
Vincent Lévy, directeur digital, clients et marketing de Cora France : « Comme le client devient la colonne vertébrale de notre stratégie, nous avons lancé un grand chantier de structuration des données clients. » ( Crédits Cora)

Le grand distributeur alimentaire Cora fait face au déclin de l'attractivité du format hypermarché, à la croissance de l'e-commerce et à l'évolution du comportement des consommateurs. Pour s'adapter, il adopte une stratégie centrée sur le client plutôt que sur le produit et le magasin, en développant en particulier une activité logistique tournée vers le consommateur. Vincent Lévy, directeur digital, clients et marketing de Cora France, dirige un service qui pilote cette bascule soutenue par une stratégie data et applicative.

PublicitéEnjeux Logistiques : Vous êtes directeur digital, client et marketing de Cora France, mais avec une fonction plus large. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Vincent Lévy : Je suis arrivé il y a un peu plus de trois ans et j'ai effectivement monté une structure qui, en quelques sortes, comble les trous dans la raquette Cora. L'idée est de réintégrer le client et son parcours global dans les fonctions support. Au début, mon équipe comptait cinq personnes et aujourd'hui, nous sommes soixante-dix, répartis dans quatre entités. La première s'occupe de la data et de l'expérience client avec le CRM, la connaissance et la relation client, les avantages consommateurs, etc. La deuxième direction, ce sont les opérations e-commerce et le B2B avec la préparation des commandes clients et leur acheminement par tous les moyens. La troisième gère le parcours client et la stratégie cross canal - en ligne autant qu'en magasin. Enfin, la quatrième direction s'occupe du marketing d'enseigne avec la communication, la promotion autant que les médias sociaux, les relations presse, le marketing et la plateforme de marque au sens large. Et je garde l'e-commerce pur, le pilotage de toute l'évolution de la boutique en ligne et la feuille de route.

Votre direction vient soutenir une transformation progressive du modèle de Cora en particulier vers la logistique. Dans quel contexte ?

Pour commencer, dans le monde de la grande surface alimentaire (GSA), le format de l'hypermarché qui est le nôtre est en quête de croissance, pour ne pas dire en décroissance. Encore davantage depuis le Covid-19 avec la bascule des consommateurs vers le commerce de proximité. Nous avons donc besoin de nous réinventer, de nous rapprocher du client et des besoins croissants en e-commerce et en livraison sous toutes les formes (domicile, points relais, consignes, etc.). Finalement, un magasin de 15 000 m2 avec, qui plus est, une réserve de 10 000 m2, c'est en fait un avantage incroyable, car nous avons toute la place pour répondre à ces besoins.

Nous avons donc déjà une supply chain aval tournée vers le client. Avec une particularité, qui est que ces opérations sont réalisées en magasin. Dans chacun, nous avons des unités - les réserves - pour préparer les commandes, les livrer, les acheminer vers des réseaux de points relais. L'hypermarché a entrepris une première mutation il y a plus de dix ans avec le drive. Pour ce service, nos concurrents ont parfois développé des plateformes de préparation de commandes spécifiques. De notre côté, nous sommes restés accolés au magasin et aux réserves. Ce sont de véritables mini hubs locaux de préparation que nous allons faire évoluer. Il faut noter que le drive reste moins intéressant financièrement qu'une livraison. En magasin, le panier moyen se situe entre 50 et 60 euros, en drive il monte aux environs de 100 euros, mais en livraison on est entre 130 et 140 euros !

PublicitéAujourd'hui, le client veut surtout un niveau de qualité et de service en phase avec ce qu'il paye. Nous devons lui proposer le plus d'options possibles et aller vers une livraison « quand il veut et où il veut ». La vision du groupe Cora pour demain, c'est 20% à 25% des ventes réalisées en dehors des hypermarchés, avec 10% en e-commerce en moyenne. On dépassera 15% pour certains produits frais.

Vous développez donc une organisation logistique adaptée à ces nouveaux besoins et modes de consommation, en e-commerce, en click-and-collect, en points relais, etc. ?

Oui, nous allons faire évoluer nos réserves. Pour commencer, nous voulons réduire les temps de préparation de commande en la transformant et en la mécanisant. Aujourd'hui, nous pratiquons la ramasse en rayons avec une zone spécifique en magasin et des opérateurs qui ponctionnent dans ces produits. Pour gagner en productivité et éviter trop de manipulations, nous complétons avec des zones de stockage hybrides avec les produits les plus vendus (une trentaine de références) en stockage proche de la préparation de commandes. C'est une simple zone de stockage physique pour faciliter le travail des chauffeurs, avec les packs d'eau ou de lait, par exemple. C'est une première étape dans notre démarche, déjà franchie dans tous nos magasins depuis trois ans. Mais nous allons vers des hybridations plus lourdes avec des stocks de 8 000 à 10 000 références dans les réserves de nos magasins transformés en microfulfillment centers, mécanisés ou robotisés. Le temps de préparation d'une commande pourrait descendre à 5 ou 6 minutes. Cela ouvre le champ des possibles, y compris vers du quick commerce.

Outre l'automatisation, allez-vous déployer des logiciels spécifiques pour la logistique ?

Oui, nous nous concentrons justement plutôt sur les briques logicielles derrière la logistique que sur l'automatisation pour l'instant. Nos précédents outils étaient des développements maison anciens qui répondaient au modèle Cora historique centré sur les magasins. Mais avec une évolution de l'organisation davantage tournée vers le client, vers l'e-commerce et vers les nouveaux comportements des consommateurs, nous avions besoin de briques expertes. Nous avons donc lancé un appel d'offres pour un OMS (order management system), un WMS (warehouse management system) et un TMS (transport management system), tous orientés vers le client.

Pour l'OMS, nous développons en interne une première brique d'orchestration de commandes complètes. Elle gère des commandes éclatées qui comprennent les courses de la semaine, par exemple, mais aussi une pizza du traiteur, une caisse de vin, et pourquoi pas un réfrigérateur. Le tout est orchestré à partir d'une seule commande et d'un seul paiement.

Et pour le TMS et le WMS, où en êtes-vous ?

Nous sommes encore en réflexion pour le WMS. Le sujet a été décalé à 2023 au vu de la conjoncture. En revanche, nous avons sélectionné le TMS belge en SaaS Urbantz, qui équipe aussi d'autres groupes de la grande distribution, y compris en dehors de l'alimentaire. Il gère les tournées qui partent de nos 61 magasins, car nous avons aussi réintégré notre flotte de véhicules. C'est un outil de planification qui répartit les commandes sur une tournée, un lieu, un créneau et l'organise à partir d'un camion. Il regroupe au sein d'une même tournée la livraison à domicile d'un client, le remplissage de consignes pour d'autres, la livraison de points de retrait partenaires ou d'un de nos drives piétons. Le client peut suivre sa livraison en ligne sous forme d'un petit livreur et reçoit des notifications.

Comment intégrez-vous la data dans cette nouvelle stratégie ?

Comme le client devient la colonne vertébrale de notre stratégie, nous avons lancé un grand chantier de structuration des données clients. Il s'articule autour d'un data lake, d'un référentiel client unique, d'un CRM et d'une DMP (data management platform). Nous sommes partis d'un cahier des charges métier, qui précise que tout le monde doit avoir accès à la gestion de clients pour des besoins d'analyse, de segmentation, etc., sans devoir demander à l'IT. C'est un imposant travail de remise à plat. J'ai recruté deux data analysts dans mes équipes avec une personne pour les encadrer.

Très concrètement, c'est par exemple le constat d'une augmentation de la fréquence de commandes en ligne et de la proportion de nourriture dans celles-ci qui ont conduit à l'idée de l'abonnement. Et on peut regarder, si un client cross canal demande une livraison une ou deux fois par mois, ce qu'il se passe si on lui propose un abonnement. Est-ce que cela lui facilite la vie parce qu'il n'a plus besoin de planifier ? Est-ce qu'il consomme plus ? C'est tout le travail sur la data.

Quels ont été vos choix technologiques associés ?

Le data lake est celui de Snowflake. C'est un choix technique fait par l'IT. En revanche, pour les outils métiers, c'est nous qui lançons l'appel d'offres et sélectionnons. Depuis deux ans, nous déployons un référentiel client unique développé avec Ysance (Devoteam). Nous cherchons à unifier notre base clients très éclatée, pour disposer d'une unicité d'informations pour un client de plus en plus multicanal et cross canal. Nous sommes aussi en cours de finalisation d'une DMP (data management platform) et d'une CDP (customer data platform) sur laquelle on viendra brancher les enquêtes en ligne et en magasin. Nous disposerons d'une segmentation en temps réel de la data pour une personnalisation sur le site, un ciblage plus précis.

Nous avons un socle data clients, un socle data produits et une plateforme de solutions applicatives en SaaS derrière. Nous sommes partisans du SaaS pour tous les outils, pour aller vite. Pour la donnée produit, nous nous appuyons sur le PIM (product information management) d'Akeneo, un des premiers logiciels SaaS que nous ayons mis en place en 2019. Il est alimenté par notre MDM (master data management) maison. L'idée, c'est de ne plus avoir uniquement une vision de nos produits du point de vue des acheteurs, mais orientée vers le client.

Pour le marketing, nous avons opté pour Adobe AEM (Assets experience manager) pour exploiter tous les actifs et contenus digitaux associés aux références produits. Cela deviendra progressivement notre DAM (digital asset management). En résumé, du côté produit, nous structurons notre PIM, un DAM et nos outils de merchandising.

Quels sont les applicatifs de la plateforme SaaS ?

Nous avons par exemple déployé des solutions de gestion de campagnes nationales, mais aussi locales dans les magasins, comme Digitaleo. Nous voulons aussi que les magasins puissent directement organiser des campagnes sur leur segment propre. Nous voulons aussi reprendre la main sur la relation client qui était explosée entre nos 61 magasins et disposer d'un service client centralisé. Nous utilisons donc la plateforme SaaS d'Akio, qui traite aussi bien les e-mails, les messageries instantanées que la voix. Elle sert aussi aux appels et aux mailings des campagnes sortantes.

Au printemps 2022, nous avons par ailleurs terminé le déploiement d'Alida (ex-Vision Critical) pour la gestion des communautés clients, la récupération et la gestion des avis. Nous coconstruisons une communauté de clients qui se prononceront sur les produits. Ils sont déjà 3 000 à avoir décidé d'interagir avec Cora. Nous partons justement de nos bases de clients, mais nous pourrions imaginer une communauté de prospects.

Enfin, nous avons un troisième plan de digitalisation en cours autour du parcours client et de la stratégie cross canal, magasin compris. On travaille par exemple sur la dématérialisation du ticket de caisse avec la start-up Limpidius. Nous nous appuyons aussi sur des cabinets de conseil en management comme Vertone pour les programmes de fidélité ou Bartle pour l'évolution parcours encaissement.

Avez-vous aussi modifié votre site Internet ?

Oui, depuis trois ans, nous l'avons refondu tout comme notre plateforme d'e-commerce pour disposer d'un portail unique lancé début 2021. Jusque-là, à chaque nouvelle idée, on créait un nouveau site. Nous voulions donc un point unique de réponse aux besoins des clients e-commerce. En revanche, nous n'avons pas déployé de framework sur étagère, mais développé l'ensemble avec des briques existantes de notre moteur interne et nous avons refondu le front du site. Nous sommes allés vers des solutions technologiques plus novatrices sur l'ergonomie et même la coconstruction avec des clients. Et nous disposons d'un ensemble de modules en SaaS que nous pouvons ajouter ou enlever. C'est le cas d'Octipas de ChapsVision pour l'expérience digitale associée au merchandising, d'Avis Vérifiés de Skeepers pour le pilotage des avis clients, de la cartographie de clientèle sans collecte de données privées Woosmap, etc.

Nous fonctionnons tous un peu comme une cellule de veille dans le service, ce qui nous permet d'identifier ce type de solutions. Il n'y pas de raison que nous développions des solutions si elles existent déjà sur étagère. Pourquoi ne pas plutôt regarder directement le ROI de ces modules que l'on branche sur le site. Avec le SaaS et l'APIsation des logiciels, je peux brancher et débrancher comme je veux. Cela nous permet aussi de changer notre fusil d'épaule rapidement. Nous avions par exemple opté pour AB Tasty pour l'A/B testing et finalement nous nous nous sommes tournés vers Kameleoon.

Vous êtes passés d'une majorité de développements internes à du logiciel sur étagère ?

Oui, Cora s'appuyait effectivement beaucoup sur du développement interne, avec des outils très robustes et une forte expertise IT. Mais la transformation a aussi changé le logiciel de la DSI qui s'est tournée vers l'hébergement de la data, le SaaS, la gestion des développeurs et des personnes, etc. L'équipe compte 160 personnes à Metz. Nous avons des chefs de projet métier et, en face, des chefs de projets technologie avec des product owners pour faire le lien et la traduction entre les deux. Nous travaillons en design thinking et en mode agile avec des sprints et des revues de sprints.

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