Vincent Champain (ComEx IT, Framatome) : « il faut d'abord la performance des processus, le digital ensuite. »


Servir l'entreprise, la grandeur de l'IT
Bien entendu, la technologie ne se justifie que par son utilité métier. Cette évidence n'est plus, en général, oubliée aujourd'hui et la pression budgétaire est le gardien de ce principe. Mais, au-delà des métiers, au-delà du court-terme, l'IT peut et doit servir davantage. Elle peut servir les...
DécouvrirVincent Champain est membre du Comité Exécutif de Framatome, en charge de l'IT et des Business Digitaux. Il explique que, dans l'industrie lourde à très haut niveau d'exigence, la digitalisation a aussi tout son sens. Les avancées opérées dans le nucléaire peuvent ainsi être réutilisées au bénéfice d'autres industries critiques.
PublicitéCIO : Pour commencer, pouvez-vous nous présenter l'activité de Framatome ?
Vincent Champain : Framatome est un fournisseur d'équipements, de services et de combustible pour le nucléaire. Notre pôle digital propose des services notamment en matière de sécurité des systèmes d'information pour industries critiques (nucléaire, énergie, transport, chimie...).
Nous sommes une entreprise de projets où le chiffre d'affaires ne donne qu'une vision très partielle des enjeux. La construction des futurs EPR, par exemple, est annoncée pour un budget de sept milliards et demi d'euros.
CIO : Quels sont les grands principes de l'architecture IT de Framatome ?
Vincent Champain : Du fait de notre histoire, nous avons une spécificité. Lorsque Areva s'est séparé en deux, Orano d'un côté et Framatome de l'autre, nous avons maintenu un GIE commun aux deux sociétés nommé SI-nerGIE et qui gère l'exploitation : nos datacenters, l'informatique de proximité, etc.
L'informatique, chez nous, c'est trois grands domaines : les moyens communs (datacenters, bureautique partiellement Office365, services aux postes de travail...), les grands progiciels (ERP SAP, PLM, MES...) et enfin l'informatique industrielle.
Nous avons désormais une division Digital Performance. Nous voulons réinventer les moyens de notre performance autour de principes tels que la réingénérie et le Lean en nous appuyant sur le digital. Mais, pour garantir l'efficacité, il faut d'abord la performance des processus, le digital ensuite. Le travail sur les processus doit précéder leur digitalisation. Mais si vous retravaillez les processus métier et que le digital est fait à côté, ça ne marche pas non plus.
CIO : Quel est le rôle de cette division Digital Performance ?
Vincent Champain : Il s'agit en fait d'une division de services IT, internes et potentiellement externes. Elle s'occupe de la performance du numérique mais aussi de sujets tels que la cybersécurité. Avoir une telle approche globale est beaucoup plus efficace que d'avoir des silos par domaines techniques.
Nous y avons mis au point la solution de patching de SI industriel, Foxguard.
CIO : Vu votre domaine d'activité, comment gérez-vous la question de la cybersécurité en regard de vos choix techniques ?
Vincent Champain : Il y a trois segments dans le SI. Le premier est le très confidentiel qui ne peut qu'être sur des hébergements internes et sans interférence internationale (cloud act, etc.). Vient ensuite le confidentiel Framatome où on peut envisager du cloud souverain externalisé à l'exclusive condition que les données soient chiffrées en interne et déchiffrées uniquement en interne. Enfin, il existe des données moins confidentielles où le cloud externalisé est possible avec un chiffrement.
En tenant compte également de la contrainte de coût, il faut choisir le bon outil en fonction du segment. Certains outils peuvent être des SaaS ubiquitaires si les serveurs externalisés ne voient passer que des données chiffrées. Ca serait autant une folie de se priver de ces outils que de mettre dans le cloud des données confidentielles.
PublicitéCIO : Dans un tel contexte, que signifie « digitaliser » ?
Vincent Champain : Il s'agit d'accompagner et de simplifier les processus métier.
Je donne un exemple parlant. Lorsque l'on met en service un générateur de vapeur dans une centrale nucléaire, il y a 15 000 pages de documentation pour démontrer ce qui a été fait pour garantir la sûreté de l'installation. Cela représente treize fois « A la recherche du temps perdu » pour chaque générateur de vapeur. Dématérialiser de tels processus a évidemment un fort intérêt.
Nous développons aussi une expertise sur de l'inspection à distance dans des conditions de sécurité spécifiques aux industries critiques. L'outil Famos permet, lui, de surveiller et prévenir les risques (y compris le vieillissement) sur des actifs critiques.
Nous souhaitons développer cette gamme de tels services et méthodes (en associant services, sécurité et fiabilité). Quand on développe une app, sa qualité doit être industrielle.
Bien entendu, on n'est jamais autant crédible pour proposer une solution à un tiers que lorsqu'on utilise soi-même en interne sa solution. En général, nous développons une solution pour un usage interne avant qu'elle ne soit vendue. Nous accroissons notre compétitivité dans le nucléaire pour apporter à d'autres industries critiques la même compétitivité, la même fiabilité et la même sécurité que le nucléaire. Un usage dans le nucléaire est toujours une garantie de fiabilité et de sécurité.
CIO : Quelle utilité trouvez-vous aux jumeaux numériques ?
Vincent Champain : Les jumeaux numériques ont été inventés pour l'industrie nucléaire. C'est aujourd'hui quelque chose de banal pour nous.
Nous sommes en train d'ailleurs d'achever la digitalisation de notre PLM. Il y a également les jumeaux documentaires. Leur objet est de permettre de démontrer que tous les contrôles ont été réalisés et ont donné les résultats attendus. Il n'y a pas d'industrie où le niveau d'exigence est plus élevé. Nous avons donc une gestion des exigences très stricte.
Les jumeaux numériques permettent aussi de détecter les incohérences de conception dans des projets trop complexes pour un examen direct par un cerveau humain. Il peut ainsi y avoir des incohérences mécaniques (pièces qui devraient s'emboîter et qui ne s'emboîtent pas...), des incohérences électromagnétiques (présence d'un champ magnétique incompatible avec le bon fonctionnement d'une pièce...), etc. Notre solution Elvees éditée par notre filiale Corys réalise ce genre de simulations numériques.
Dans le nucléaire, on part d'un principe : le risque zéro. Donc on ne démarre pas tant qu'il existe un risque. Cela peut entraîner des retards jusqu'à atteinte de ce risque zéro. L'expérience acquise permet d'aller plus vite sur les implémentations suivantes. Il faut analyser précisément les causes, comparer avec des problèmes antérieurs et tenir compte des évolutions des problèmes. Pour prouver l'efficacité, la fiabilité et la sécurité des choix industriels opérés, cela nécessite parfois des mois de calculs sur des supercalculateurs.
CIO : Disposez-vous de vos propres supercalculateurs ?
Vincent Champain : Nos clusters de calculs sont parfois propres, parfois partagés avec EDF. Les calculs doivent pouvoir être faits à tout moment. Les clusters sont donc redondants.
CIO : Quel usage faites-vous de l'intelligence artificielle ?
Vincent Champain : Notre filiale Corys est un leader en matière de simulation. Elle propose des solutions où l'IA permet la détection de défauts sur des images ou des signaux provenant de divers types de capteurs.
Un partenariat avec Adagos conclu en septembre 2020 vise à accélérer les simulations enrichies à l'IA. L'IA fait clairement partie de notre boîte à outils.
CIO : Quelles évolutions voyez-vous dans votre IT ? Quels défis devez-vous relever ?
Vincent Champain : Notre premier défi est de réduire nos coûts et d'accroître notre performance tout en tenant compte des spécificités du nucléaire. Cela passe par des méthodes industrielles, la baisse du coût du financement et de digitaliser nos contrôles et la gestion de la qualité.
En deuxième point, je mettrai l'informatique frugale. C'est à dire d'adopter une informatique au meilleur coût, les bonnes technologies aux bons moments.
Etant donné notre contexte, il s'agit bien sûr de s'assurer que la gestion du contrôle à distance et nos autres offres bénéficient d'une qualité du code au niveau de fiabilité attendu.
Enfin, nous devons réussir notre modèle dual : face aux enjeux spécifiques à notre secteur, il nous faut des outils spécifiques mais il faut aussi savoir utiliser les outils standards (cloud...) notamment quand il s'agit d'être au service du quotidien des utilisateurs.
CIO : Comment gérez-vous vos équipes dans votre contexte ?
Vincent Champain : Nous n'avons pas de problème majeur de recrutement. Nous sommes séduisants pour des gens qui aiment la techno : nous pouvons leur fournir des défis stimulants. Nous recrutons régulièrement des développeurs, des exploitants, des spécialistes de la sécurité, des responsables projets...
Nous savons assurer une carrière et fournir des challenges. Nous ne sommes pas une entreprise où le travail se résume à prendre une solution cloud et c'est fini. Nous employons des faiseurs avec un vrai sens du service et de la criticité.
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
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