Vers la dématérialisation de toutes les factures

Après la dématérialisation des factures adressées au secteur public avec Chorus-Pro, c'est désormais le tour de la facturation dans le secteur privé.
PublicitéL'informatisation de la comptabilité n'est pas récente. En effet, c'est la loi du 30 avril 1983 [Loi n° 83-353, 30 avril 1983 relative à la mise en harmonie des obligations comptables des commerçants et de certaines sociétés avec la quatrième directive adoptée par le conseil des communautés européennes le 25 juillet 1978] et son décret d'application du 29 novembre 1983 [Décret n° 83-1020 du 29 novembre 1983 pris en application de la loi n°83-353 du 30 avril 1983 et relatif aux obligations comptables des commerçants] qui ont introduit cette informatisation.
Depuis, la généralisation de la facturation électronique s'est poursuivie. La facture dématérialisée a été admise par la loi de finances pour 1990 [Loi n°89-935 du 29 décembre 1989 pour 1990] qui prévoit en son article 47 que "les factures transmises par voie télématique constituent des documents tenant lieu de facture d'origine". Cette facture dématérialisée a été ensuite généralisée avec la directive 2001/115 [Directive 2001/115/CE, Conseil, 20 décembre 2001 modifiant la directive 77/388/CEE en vue de simplifier, moderniser et harmoniser les conditions imposées à la facturation en matière de taxe sur la valeur ajoutée] et l'article 17 de la loi de finances rectificative de 2002 [Loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 de finances rectificative pour 2002].
Une multitude de textes
L'appréhension de la notion de "facture" par le prisme du droit n'a pas été aisée. En effet, les textes régissant la facture électronique se sont multipliés au fil des années tant sur le plan national qu'à l'échelle européenne : par exemple, par un décret du 7 juillet 2003 [Décret n°2003-632 du 7 juillet 2003 relatif aux obligations de facturation en matière de taxe sur la valeur ajoutée et modifiant l'annexe II au code général des impôts et la deuxième partie du livre des procédures fiscales] sur les mentions obligatoires ou encore par un décret du 18 juillet 2003 [Décret n°2003-659 du 18 juillet 2003 relatif aux obligations de facturation en matière de taxe sur la valeur ajoutée et modifiant l'annexe III au code général des impôts et la deuxième partie du livre des procédures fiscales] définissant les modalités d'émission et de conservation des factures.
La facture a ensuite été soumise à un double régime jusqu'en 2013 : la transmission sous forme EDI et sous forme de documents signés au moyen d'une signature électronique avancée. Constatant que les factures ne respectaient pas les contraintes envisagées par les textes, les règles européennes de facturation ont été revues par la Commission européenne pour les mettre en phase avec les pratiques sans pour autant sacrifier les principes d'authentification de l'origine et d'intégrité de la facture à travers sa directive 2010/45 du 13 juillet 2010 [Directive 2010/45/UE DU CONSEIL du 13 juillet 2010 modifiant la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée en ce qui concerne les règles de facturation]. L'ensemble de ces règles a été codifié au sein du Code général des impôts.
PublicitéFaire de la facture électronique la norme
Aujourd'hui, il semble que l'État ait pour projet de suivre les traces du Conseil et du Parlement européen et de faire de la facture électronique la norme puisque selon l'article 153 de la loi de finances pour 2020 [Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020], son champ d'application sera élargi à tous les échanges inter-entreprises entre le 1er janvier 2023 et le 1er janvier 2025.
En effet, initialement introduite à l'article 56 du projet de loi de finances pour 2020 [Projet de loi de finances nº 2272 pour 2020, 27 septembre 2019], cette généralisation progressive doit s'appliquer au plus tôt, à compter du 1er janvier 2023, et au plus tard à compter du 1er janvier 2025. Le calendrier et les modalités seront fixés ultérieurement par décret et prendront notamment en compte la taille et le secteur d'activité des entreprises concernées.
L'article 56 du projet prévoyait également la remise d'un rapport d'étude sur les conditions de mise en oeuvre de cette obligation de facturation électronique entre assujettis à la TVA. Le rapport d'étude de la Direction générale des Finances publiques (DGFiP) a été transmis le 15 octobre 2020 [Rapport de la Direction Générale des Finances publiques, La TVA à l'ère du digital en France, octobre 2020].
Une obligation pour contrer la fraude fiscale
Dans sa version définitive, l'article 153 de la loi de finances pour 2020 reprend l'article 56 du projet de loi de finances pour 2020, et prévoit notamment l'obligation de facturation électronique pour toutes les entreprises assujetties à la TVA entre le 1er janvier 2023 et le 1er janvier 2025, en fonction de leur taille.
Plusieurs objectifs ont été pris en compte : sécuriser les échanges commerciaux et supprimer les contraintes relatives au traitement de factures papier, permettre la connaissance de l'activité des entreprises, faciliter les déclarations de TVA par un pré-remplissage par l'administration fiscale. Cette dernière hypothèse est prévue par l'article 181 de la loi de finances pour 2020, reprenant le projet de loi, et permet de parfaire la connaissance de l'administration concernant les échanges inter-entreprises.
L'objectif de lutte contre la fraude fiscale a également été pris en considération. La réforme prend en compte la nécessité que certaines données non présentes sur les factures soient également transmises à l'administration fiscale. Ainsi, l'entreprise doit communiquer à l'administration des documents supplémentaires ce qui permettra à l'administration de connaître la situation de l'entreprise, en matière de TVA. Ces documents portent notamment sur ses transactions avec des opérateurs étrangers, ou encore avec des particuliers. Il est également possible de lui demander un statut de paiement d'une facture, afin de connaître la date d'exigibilité et de déductibilité de la TVA pour ses prestations de services.
Plusieurs étapes comme pour Chorus-Pro
Cette mise en oeuvre obligatoire de la facturation électronique passe par plusieurs étapes, à effectuer avant le 1er janvier 2023. Ces étapes sont définies plus précisément par le rapport. Y figurent la définition du modèle de plateforme afin d'assurer la transmission au client, effectuer les ajustements législatifs et réglementaires nécessaires (par exemple, des mentions obligatoires sur les factures...), garantir le respect des règles relatives à la protection des données.
Ce dispositif présente de nombreux avantages, énumérés par le rapport de la DGFiP, au nombre desquels figure la réduction des coûts administratifs (réduction des coûts par rapport à la facture papier, économie de papier, archivage prenant moins de place).
En outre, la collecte de la TVA auprès des entreprises est simplifiée. En effet, le traitement administratif est réduit grâce à l'automatisation des enregistrements comptables. Également, un suivi régulier de l'avancement du traitement des factures est assuré. L'ensemble permet de limiter les litiges liés aux délais de paiement et de connaître parfaitement les mouvements de fonds. Cela permettrait ainsi aux entreprises d'améliorer leur compétitivité du fait de l'optimisation de leur temps de travail ainsi que de réduire les litiges.
Une connaissance en temps réel par l'Etat
Par ailleurs, la facturation électronique implique que celle-ci soit transmise par le biais d'une plateforme certifiée par l'État. En conséquence, l'administration fiscale connaîtra en temps réel les divers échanges s'opérant entre les entreprises.
Cette simplification des procédures a pour corollaire d'apporter une lutte plus efficace contre la fraude à la TVA et d'endiguer le problème des facturations fictives du fait de la connaissance renforcée de l'administration fiscale concernant les échanges.
Grâce à la loi de finances pour 2020, la facturation électronique a vocation à se généraliser interentreprises. Ce dispositif présente plusieurs avantages au profit de l'État et des entreprises, toutefois, certains points devront être pris en considération pour une utilisation pérenne de la facturation électronique comme par exemple : assurer la sécurité et la durabilité des plateformes en charge de la transmission des factures, prévoir les modalités de gestion des rejets de facture, partage éventuel ou mise à disposition des données confidentielles ou protégées par le secret des affaires.
Article rédigé par

Christiane Féral-Schuhl, cofondatrice du cabinet FÉRAL
Christiane Féral-Schuhl est avocate associée du cabinet FÉRAL. Depuis plus de 35 ans, elle exerce dans le secteur du droit du numérique, des données personnelles et de la propriété intellectuelle. Elle est également inscrite sur la liste des médiateurs auprès de différents organismes (OMPI, CMAP, Equanim) ainsi que sur la liste des médiateurs de la Cour d'Appel de Paris et du Barreau du Québec (en matière civile, commerciale et travail). Elle a été nommée seconde vice-présidente du Conseil national de la Médiation (2023-2026).
Elle a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles dans ses domaines d'expertise. Dont, tout récemment, « Adélaïde, lorsque l'intelligence artificielle casse les codes » (1ère BD Dalloz, 16 mai 2024) avec l'illustratrice Tiphaine Mary, également avocate.
Elle a présidé le Conseil National des Barreaux (2018-2020) et le Barreau de Paris (2012- 2013). Elle a également co-présidé avec le député Christian Paul la Commission parlementaire sur le droit et les libertés à l'âge du numérique et a siégé au Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (2013-2015) et au Conseil Supérieur des tribunaux administratifs et des cours d'appel administratives (CSTA CAA -2015-2017).
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