Trois DSI partagent leur expérience pendant la pandémie

À l'occasion d'une table ronde organisée par Virage Group, éditeur français de solutions de gestion de projet et de pilotage de plans d'action, Jean-Christophe Calvo (CHRU de Nancy), Antonio De Faria (Chronopost) et Stéphane Jullien (In Extenso) ont partagé leur vécu durant la crise sanitaire. Ils reviennent en particulier sur la mise en place du télétravail dans leur organisation et sur la gestion des projets.
PublicitéLa crise sanitaire du Covid-19 n'a pas eu que des aspects négatifs. Trois DSI, Jean-Christophe Calvo (CHRU de Nancy), Antonio De Faria (Biologistic, groupe Chronopost) et Stéphane Jullien (In Extenso) ont témoigné de leurs manières de réagir face à la crise à l'occasion d'une table ronde organisée par Virage Group, éditeur français de solutions de gestion de projet et de pilotage de plans d'action. Au delà des difficultés, la crise s'est révélée porteuse d'opportunités.
Jean-Christophe Calvo est Chef du Département territorial de la Transformation Numérique et de l'Ingénierie Biomédicale au CHRU de Nancy. L'établissement emploie près de 10 000 agents, dont 85 collaborateurs à la DSI. Comme l'ensemble des CHU, particulièrement dans l'Est de la France, la crise du Covid-19 a fortement impacté son activité habituelle. « Nous ne sommes pas encore revenus à une activité normale d'après-crise, même si nous avons commencé à observer une décrue depuis début avril. Notre enjeu est désormais de faire revenir les patients pour les activités de soins urgentes et semi-urgentes », témoigne Jean-Christophe Calvo.
Le CHRU de Nancy a la particularité d'avoir fusionné le biomédical (machines et équipements servant pour le diagnostic et le traitement) et l'informatique dans une seule et même entité, en prenant le virage du numérique il y a quelques années. « Le biomédical produit beaucoup de données : l'enjeu est de réconcilier toutes ces données produites autour des patients, c'est le rôle de l'IT. Nous gérons également toute la partie médico-administrative, notamment les plateformes d'appel et les outils destinés aux secrétariats médicaux, des métiers fortement transformés par le numérique », explique Jean-Christophe Calvo.
2000 collaborateurs équipés pour le travail à distance
Au niveau des équipes IT, la mise en place du télétravail avait été anticipée. « Il s'agissait de limiter les risques si jamais un de nos collaborateurs tombait malade. En effet, les opérations sont en Open Space. Il suffit d'une personne malade pour que toute l'équipe soit mise en quatorzaine. » L'enjeu était donc de pouvoir assurer la continuité des activités, pour permettre au CHU de fonctionner.
Quand la fermeture des écoles a été annoncée, la mise en place du télétravail a été accélérée, pour s'étendre à l'ensemble du personnel administratif et médical (en dehors des unités de soin concernées par la pandémie). « Nous avons eu trois semaines très chargées. Nous avons équipé environ 2000 personnes pour le travail à distance, en fournissant les casques et les webcams, en formant les utilisateurs... Nous avons également déployé 14000 licences de Teams. L'enjeu était de pouvoir maintenir les activités, notamment à travers la téléconsultation. De 270 actes de téléconsultation en 2019, nous sommes passés à 8000 en 2020, dès le premier semestre. Nous avons aussi déployé des tablettes, collectées grâce à des dons, pour permettre aux patients hospitalisés de rester en lien avec leurs proches », raconte Jean-Christophe Calvo.
PublicitéDans le cadre du Plan Blanc, le CHRU a aussi dû gérer la prise en charge des patients pour tout le secteur, en coordonnant les établissements publics et privés. « Dès le 18 mars, les directoires des commissions médicales ont pu se tenir de façon dématérialisée, en rassemblant une cinquantaine de personnes à chaque fois », se réjouit Jean-Christophe Calvo, qui dresse un bilan nettement positif du travail à distance : « le télétravail amène un confort et une vraie ponctualité sur les réunions. Pour ma part, j'ai constaté que les réunions étaient plus rapides et compactes, nous allons beaucoup plus vite à l'essentiel. La durée des réunions a diminué d'environ 30%. »
Enfin, le CHRU a constaté une augmentation des alertes de sécurité pendant la crise. « Nous avons beaucoup travaillé avec l'ANSSI durant cette période, pour renforcer notre politique de sécurité, reparamétrer le firewall, supprimer certains webmails », témoigne le Chef de la transformation numérique.
Teams déployé en un week-end
Une fois les problématiques liées à la mise en place du télétravail traitées, les agendas des équipes IT se sont libérés, notamment grâce à la suppression des réunions non urgentes. « Habituellement, nous consacrons environ 70% de notre temps au maintien en conditions opérationnelles et à la gestion des incidents, ce qui nous laisse environ 30% de capacité pour mener les projets », décrit le Chef de la transformation numérique. « Le temps libéré pendant le confinement nous a permis de lancer des expérimentations qui étaient dans les cartons depuis 1 à 2 ans. Le déploiement de Teams en est un bon exemple, le sujet a été réglé en l'espace d'un week-end. Personne ne connaissait la solution, et deux jours après, tout le monde avait compris le fonctionnement des fils de discussion. Nous avons aussi lancé des études sur le remplacement de logiciels, car nous avions du temps pour contacter les fournisseurs. Dans le cadre de notre mission d'établissement support, nous avons aussi pu accélérer sur notre projet Socle (réseau, fibre noire, poste de travail type...). Enfin, certaines expérimentations en cours, notamment sur l'IA, ont pu être clôturées, et nous avons pu commencer à nous projeter sur d'autres sujets. »
Pour Jean-Christophe Calvo, la crise a permis d'accélérer sur le digital, en balayant les freins au changement. « Nous avons fait un sondage fin avril pour faire le bilan de la crise. Les actions de la DSI sont ressorties à cette occasion. Même si nous n'étions pas au premier rang dans cette crise, nous avons de la reconnaissance de la part des autres équipes du CHRU », témoigne-t-il.
Antonio De Faria, DSI de Biologistic (Chronopost)
Antonio De Faria est DSI de Biologistic, une filiale de Chronospost spécialisée dans le transport de colis sous température dirigée. Il est également Directeur gouvernance et des programmes à la DSI de Chronopost. Au total, 3900 salariés travaillent pour le groupe, dont 200 à la DSI. « Comme la majorité des entreprises, nous avons connu quelques jours d'arrêt au début, mais très vite nous avons eu un regain de colis à prendre en charge, notamment en raison de la hausse des commandes pendant le confinement. De 700 000 à 800 000 colis quotidiens en temps normal, nous sommes passés à un million par jour en moyenne », souligne le DSI.
Le siège de Chronopost a opté pour le Flex Office il y a quelques années. Tous les collaborateurs étaient donc équipés d'ordinateurs portables, avec Google Meet pour les visioconférences. « Tout était prêt pour le télétravail, tant au niveau de nos infrastructures que des équipements, et nous avons pu basculer tout le monde rapidement. Ce n'était pas un gros défi côté IT », pointe Antonio De Faria.
Revoir les priorités
L'entreprise a également réussi à absorber des centaines de milliers de colis en plus en cours d'année, sans préparation par rapport aux pics saisonniers habituels. « Même si l'IT n'était pas en première ligne, la résilience dont les systèmes ont fait preuve s'est avérée très positive pour l'image de la DSI », souligne Antonio De Faria.
Chez Chronopost, la crise sanitaire a également joué le rôle d'accélérateur pour certains projets IT. « Avec les contraintes sanitaires, les clients ne voulaient plus utiliser le stylo ou les PDA des livreurs. Nous avions déjà un projet dans les tuyaux, qui consistait à remplacer la signature lors de la réception des colis par des photos. Ce projet est passé en top priorité, et nous avons pu le déployer auprès de tous nos chauffeurs en quelques semaines », illustre Antonio De Faria. « Pendant le confinement, nous n'avons rien arrêté, mais nous avons revu les priorités au niveau des projets. Le seul frein que nous avons rencontré concernait les projets impliquant l'utilisation de PDA. Avec ce type d'équipement, les tests à distance n'étaient pas possibles, et nous avons quand même dû faire quelques tests au siège. Depuis, nous travaillons sur ce sujet, pour trouver des solutions permettant de tout faire à distance. »
Au niveau du pilotage, une instance permet de décider des projets stratégiques quatre fois par an. Une de ces réunions était prévue début avril. « Nous avons basculé en téléconférence, tout s'est très bien passé. Même à 25 participants, cela a fonctionné, tant sur l'animation que sur le respect des délais ou les livrables », relève le DSI. Un constat identique pour toutes les autres instances de gouvernance : « Les réunions ont pu se tenir sans soucis particuliers, avec les mêmes personnes sur les nouveaux outils. Nous faisions beaucoup de standups meetings avant, dans le cadre des méthodes agiles. Cela fonctionne tout aussi efficacement à distance, même si le nom est moins approprié ». Pour Antonio De Faria, la perte de productivité liée au télétravail reste « dans l'épaisseur du trait ». « Des réunions qui auparavant nécessitaient une heure ne prennent plus que 30 minutes », se réjouit-il. « Cette expérience va sans doute favoriser d'autres façons de travailler dans notre entreprise, notamment au sein de la DSI », estime-t-il.
Stéphane Jullien, DSI d'In Extenso
Stéphane Jullien est DSI d'In Extenso, un cabinet d'expertise comptable qui édite également ses propres solutions logicielles. Le groupe basé à Lyon possède un réseau de 235 agences. Il emploie 5700 collaborateurs, dont 150 à la DSI. « Dans nos métiers, nous traitons de plus en plus des flux dématérialisés. Toutes nos applications sont en mode 100% SaaS. In Extenso produit 230 000 bulletins de paie par mois. Les lois promulguées à l'occasion de la crise sanitaire (chômage partiel, arrêts pour garde d'enfant...) ont eu un impact direct sur nos activités, mais il s'agissait surtout d'une problématique métier, avec un enjeu de réactivité pour intégrer ces nouvelles législations », relate Stéphane Jullien.
Avec le confinement, l'entreprise a dû basculer 5200 collaborateurs en télétravail. « Par chance, seulement trois d'entre eux utilisaient des postes de travail fixes. Nous avions également une politique RH favorable, offrant aux employés la possibilité de faire une journée de télétravail par semaine. Enfin, nous n'avions plus aucun poste de téléphone, tous nos salariés étant équipés de Skype, Teams et du matériel pour faire des visioconférences. Grâce à cela, tous les salariés avaient l'habitude de ce mode de travail, que ce soit sur la communication ou le management », indique le DSI.
Des projets avec des temporalités différentes
Dans ce contexte, le principal risque pour l'entreprise était d'exposer ses services sur Internet. « Notre système d'information est plutôt sain, avec une grosse dimension sécurité », estime Stéphane Jullien. Cette sécurité s'est construite au fil du temps. « Pendant cinq ans, des sujets sur lesquels travaillait l'IT, comme la certification ISO 27 001, la mise en place de l'authentification multifactorielle étaient perçus comme des coûts. Mais avec le confinement, beaucoup d'entreprises ont été forcées de se mettre au goût du jour sur l'infrastructure, les réseaux ou la sécurité », relève le DSI. Chez In Extenso, ces fondamentaux étaient déjà en place, ce qui a permis de faire face sereinement à la situation. « Maintenant, les directions savent pourquoi ces investissements ont été faits. Nous en avons profité pour améliorer les technologies d'accès au système d'information » ajoute Stéphane Jullien.
La pandémie a également eu des conséquences sur le portefeuille de projets. « Nous avons des projets avec des temporalités différentes. Depuis le confinement, tout est orienté vers le maintien en conditions opérationnelles de nos services, aussi bien pour les clients que pour les utilisateurs », explique le DSI. L'une des particularités de l'entreprise réside dans les projets à dimension réglementaire. « Pour ceux-ci, nous sommes pilotés par un tempo, les dates d'échéance établies par l'État. Pour tenir les délais face aux nouvelles lois qu'il fallait immédiatement appliquer, nous avons décalé certains projets. Beaucoup ont aussi été mis en pause, principalement ceux portant sur l'infrastructure et nécessitant des interventions physiques », indique Stéphane Jullien.
Une occasion pour promouvoir de nouveaux usages
La crise a aussi eu un impact sur des projets en latence, comme le déploiement de Teams. « Le confinement a levé des résistances face aux nouveaux outils », constate Stéphane Jullien. Outre Teams, la situation a permis de développer l'usage de Project Monitor, la solution de gestion de projet de Virage Group. « Aussi bien l'entrée que la sortie du confinement ont été gérées en mode projet, notre président ayant créé un projet sur Project Monitor pour suivre les différents événements liés à la crise. Maintenant, il est un utilisateur averti. Cette expérience a introduit de nouveaux usages, plus aucun projet ne peut exister s'il n'est pas décrit dans la solution », témoigne le DSI.
Si la mise en place du télétravail n'a pas posé de difficultés, il faut maintenant gérer la problématique du retour au bureau des collaborateurs. Sur le travail à distance, Stéphane Jullien affiche quelques réserves : « Je n'ai pas constaté de baisse sur la quantité de travail, en revanche le télétravail occasionne une baisse de productivité, que nous avons mesurée : entre 10 et 20%. En management, toute une dimension informelle, qui passe par l'oral, se perd. Pour cette raison, il y a davantage de micro-réunions sur des sujets qui auraient pu être traités plus facilement en présentiel. »
Comme dans les deux autres organisations, la crise du Covid-19 a clairement changé l'image de l'IT. « En temps normal, la DSI occupe souvent une place un peu ingrate. Des sujets d'innovation, de sécurité ou d'autres comme la réduction de la dette technique sont très difficiles à vendre. Là, nous avons eu un retour très positif des associés, ceux qui investissent, qui ont pu constater l'importance de ces projets. Le capital confiance de la direction et des clients vis-à-vis de la DSI a augmenté. Il faut en profiter », conclut Stéphane Jullien.
Article rédigé par

Aurélie Chandeze, Rédactrice en chef adjointe de CIO
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