Traçabilité sur toute la chaîne de valeur : le challenge des filières agroalimentaires

Durant le congrès Boost Industrie 2019, organisé par l'AFNeT, Bruno Prépin, délégué général d'Agro EDI Europe, a présenté plusieurs exemples de mise en oeuvre d'une traçabilité complète dans différentes filières de l'industrie agroalimentaire. Une expérience riche d'enseignements pour l'ensemble des secteurs industriels concernés par ces enjeux.
PublicitéDans l'industrie agroalimentaire, la traçabilité est depuis longtemps un enjeu central, à la fois pour répondre aux attentes des consommateurs, pour assurer la sécurité alimentaire et pour répondre aux exigences réglementaires. Pour ces raisons, l'association Agro EDI Europe accompagne les acteurs agricoles dans la mise en place de dispositifs d'échanges de données standardisés, visant à assurer une traçabilité de bout en bout et bidirectionnelle (aussi bien montante que descendante) au sein des filières. « Si la traçabilité interne est depuis longtemps assurée, la traçabilité externe, sur toute la chaîne de valeur, est bien plus complexe à mettre en oeuvre », explique Bruno Prépin, délégué général d'Agro EDI Europe. La principale difficulté réside non pas dans la technologie, mais dans la synergie entre les maillons d'une chaîne de valeur, indispensable à construire. « Un seul trou dans la chaîne et cela ne fonctionne pas », prévient Bruno Prépin.
Afin de bâtir cette synergie, il faut veiller en amont à respecter autant que possible quatre grands principes : utiliser des standards, tant pour l'échange de données que pour le marquage physique des produits ; éviter (ou du moins minimiser) les impacts sur les processus des différents acteurs ; ne pas modifier les systèmes d'information en place (ou le moins possible) ; et enfin, appliquer les règles de double unicité pour l'identification des objets, à travers un système permettant d'identifier de façon unique les lieux et le temps tout au long de la chaîne.
Lutter contre la contrefaçon
À travers les projets sur lesquels est intervenue l'association Agro EDI Europe, plusieurs types d'architectures technologiques ont pu être expérimentées, allant d'une plateforme EDI décentralisée à la blockchain, en passant par le cloud. Bruno Prépin est revenu sur les spécificités de ces différentes approches, chacune avec ses avantages et ses inconvénients.
Si les technologies web et EDI sont utilisées depuis longtemps pour répondre aux enjeux de traçabilité, leur mise en oeuvre sur des chaînes de valeur complètes reste rare, en particulier quand celles-ci incluent des TPE et indépendants. Quelques filières ont néanmoins relevé ce défi.
Le premier projet de traçabilité présenté concerne les produits phytosanitaires. Les grands industriels du secteur ont lancé il y a quelques années une plateforme décentralisée, destinée au départ à l'optimisation des flux logistiques. En cours de projet, des évolutions réglementaires ont conduit à y intégrer également la traçabilité. Cette plateforme, adaptée pour le marché français par Agro EDI Europe, permet de gérer la traçabilité de façon séquentielle, depuis les producteurs, environ une trentaine de grands groupes, jusqu'aux agriculteurs (environ 300 000 en France), en passant par les plateformes logistiques et les différents acteurs de la distribution (centrales d'achats, négociants, magasins...) Des identifiants physiques sont associés à chaque niveau de la chaîne, sous forme de codes Datamatrix lisibles avec de simples smartphones. Au niveau des systèmes d'information, tout repose sur des échanges de messages EDIFACT, qui précèdent à chaque fois les flux physiques. Entre 1,5 et 2 millions de messages sont échangés par mois.
PublicitéLe système a permis de diminuer les stocks, apportant également une agilité réelle sur l'expédition et la réception des marchandises, ainsi qu'une réactivité en cas de problème. Il a également permis de lutter contre la contrefaçon, en évitant notamment la revente de stocks non déclarés. Selon Bruno Prépin, l'un des défis de ce projet a été de faire travailler en parallèle les différents acteurs, sans attendre que les maillons en amont aient terminé leur part, afin d'avoir un système global opérationnel dans un délai acceptable. Au total, entre 3 et 4 ans ont cependant été nécessaires pour la mise en oeuvre, avec quelques impacts également sur les systèmes d'information.
S'adapter à tous les acteurs de la chaîne, TPE comprises
Les organisations professionnelles de la filière avicole ont également mené un projet de traçabilité globale, avec le soutien du ministère de l'Agriculture. Il s'agissait d'assurer une traçabilité en temps réel, pour répondre à quatre grands enjeux : connaître le parcours total des animaux ; répondre de façon efficace aux crises aviaires (la première ayant coûté 175 millions d'euros à la filière des canards gras) ; disposer d'outils statistiques nationaux et renforcer la qualité des produits vendus en France et à l'international. Cette filière se distingue par le fait qu'elle concerne pour partie des animaux vivants, susceptibles de décéder à tout moment : autant d'événements qu'il faut pouvoir gérer dans le système. « Le projet s'est aussi heurté à la réalité des pratiques : les éleveurs, en prévision de ces pertes, fournissent systématiquement davantage de canetons que le nombre demandé », ajoute le délégué général d'Agro EDI Europe. Enfin, l'analyse des référentiels existants a révélé qu'il manquait près de 30% des données requises.
Un gros travail de recensement a donc dû être effectué en amont. Une base de données centralisée, BDAvicole, a ensuite été construite, destinée à être alimentée directement par tous les acteurs de la filière. Plusieurs possibilités ont été prévues pour la collecte des données, afin notamment de s'adapter aux besoins des petits exploitants : portail Web, flux EDI mais aussi import de fichiers Excel, le tout à travers des connecteurs sécurisés. La gestion des mouvements est l'un des aspects les plus emblématiques du projet, avec la possibilité d'éclater les lots en fonction des événements. La mise en place d'un système de codification central, avec un métamodèle de calcul, a évité aux différents acteurs d'avoir à modifier leurs systèmes et processus internes. Aujourd'hui, 8 400 entreprises utilisent cette base, dont près d'un millier d'éleveurs indépendants avec un poste de travail comme seul équipement informatique.
Des pilotes sur les technologies actuelles
Les filières expérimentent également des technologies plus récentes, comme le cloud ou la blockchain. La filière des produits de la mer a par exemple mené un projet pilote autour de la blockchain. Cette filière a deux particularités : elle est constituée d'un grand nombre de très petites entreprises, et elle manipule par ailleurs des produits très sensibles. La mise en oeuvre de la traçabilité débute au niveau des navires de pêche ou des aquaculteurs, pour aller jusqu'au consommateur final, en passant par les différents acteurs de vente et de transformation. L'objectif du projet était de vérifier l'adéquation de la technologie blockchain avec les besoins de la filière, en termes fonctionnels, techniques (volumétrie, interfaçage), mais aussi de gouvernance. « Le projet a permis de mettre en évidence certains enjeux techniques, comme la nécessité de dissocier ce qui est ajouté aux blocs de ce que voit le consommateur », explique Bruno Prépin.
Enfin, un dernier exemple concerne la filière des céréales, qui a choisi quant à elle une architecture cloud. « Cette filière gère des produits en vrac. Par chance, elle comporte plusieurs sous-filières labellisées, aux processus bien structurés », souligne Bruno Prépin. Un atout qui a facilité la mise en oeuvre d'un pilote, permettant aux consommateurs de remonter de la baguette au champ en scannant un simple QR code. « Les clients peuvent voir comment a été fabriqué le pain, de quel moulin provient la farine utilisée, dans quelles régions... Les différents acteurs de la chaîne peuvent même insérer des photos et vidéos », illustre-t-il.
À l'issue de ces projets, Agro EDI Europe a établi un premier bilan, comparant la blockchain avec l'approche basée sur le cloud.
Cloud vs blockchain : avantages et inconvénients pour la traçabilité
Cloud | Blockchain | |
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Gestion de la confiance | Organisme de tutelle | Technologie |
Transparence | Négociée | Totale |
Déploiement | Simple | Lourd |
Gouvernance | Organisme de tutelle | A définir |
Article rédigé par

Aurélie Chandeze, Rédactrice en chef adjointe de CIO
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