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Thien Than-Trong (GRDF) : « Nous produisons des données pour favoriser la maîtrise de l'énergie »

Thien Than-Trong (GRDF) : « Nous produisons des données pour favoriser la maîtrise de l'énergie »
De gauche à droite : Thien Than-Trong (DSI) et Isabelle Drochon (Responsable du Programme Données) présentent les évolutions en cours du SI de GRDF.
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°144 !
Les données, de la valeur métier à la conformité GDPR

Les données, de la valeur métier à la conformité GDPR

S'il est admis dans tous les discours convenus que la Data est au coeur du business, encore faut-il savoir comment mettre en oeuvre ce beau principe. Les témoignages de GRTgaz, GRDF et In Extenso en montre ici des exemples. Enfin, la prochaine application du Règlement Général sur la Protection des...

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Au sein de GRDF (Gaz Réseau Distribution France), Thien Than-Trong (DSI), appuyé par Isabelle Drochon (Responsable du Programme Données) pour la partie données externes, est à la tête d'un SI qui va être bouleversé par une forte digitalisation de l'activité et l'arrivée des compteurs communicants Gazpar. Les données produites par Gazpar, comme d'autres, sont avant tout destinées à devenir une matière première qui n'aura de valeur qu'après un traitement par d'autres acteurs.

PublicitéCIO : Officiellement créé le 31 décembre 2007, dans le cadre de l'ouverture à la concurrence des marchés de l'énergie, GRDF est finalement une entreprise jeune. Comment est constitué son SI ?

Thien Than-Trong : Notre création est récente c'est vrai mais nous avons encore de nombreux liens, historiques et fonctionnels, en particulier avec Enedis (ex-ERDF) en charge de la distribution de l'électricité. Il faut comprendre, pour commencer, que GRDF a la gestion des réseaux de distribution de gaz qui appartiennent aux collectivités ou à des syndicats intercommunaux. En tant que principal opérateur du réseau de distribution de gaz naturel en France, nous sommes présents dans 9 541 communes et 77 % de la population habite une collectivité desservie en gaz par GRDF. Par ailleurs, existent également 22 ELD [Entreprises Locales de Distribution] qui exploitent certains réseaux locaux tels que ceux de Grenoble, Strasbourg ou Bordeaux. Le réseau que nous exploitons, le plus long d'Europe, mesure 198 886 km et permet de faire transiter et de distribuer le gaz naturel jusqu'au consommateur final, et ce, pour le compte des fournisseurs dont le rôle est de commercialiser cette énergie. Depuis quelques années, avec la multiplication du nombre de sites de production de biométhane (le biométhane est un gaz 100% renouvelable produit localement à partir de déchets et du recyclage de décharges, sources agricoles, etc.) ce réseau évolue et notre rôle de distributeur également.
La sécurité demeure le socle de l'activité de GRDF. En plus des actions « classiques » de raccordement ou de relève des indices, nos salariés sont notamment en charge du service Urgence Sécurité Gaz (mobilisable 24/24h et 7/7jours) et doivent également gérer ce que nous appelons les dommages aux ouvrages (typiquement : un coup de pelleteuse dans une conduite) qui sont en baisse constante depuis 2010 et pour lequel nous avons un objectif qui est de descendre sous la barre des 2 600 dommages aux ouvrages d'ici à 2018 (2 980 en 2016).
De fait, notre SI témoigne de cette double dimension : jeune et avec une histoire ancienne. D'un côté, il y a donc un SI de gestion visant à faire fonctionner l'entreprise, avec ses missions, ses clients, ses partenaires. De l'autre, il y a un SI nettement plus ancien, construit pour les activités « de terrain », et qui est encore pour une bonne part partagé avec Enedis (ex-ERDF) au travers des services communs d'intervention sur le terrain, avec beaucoup de développements spécifiques. Ce dernier SI, baptisé « Disco » [DIStributeur COmmercialisateur], est géré directement par nos services communs, à l'inverse du SI propre, placé sous ma responsabilité. Ainsi, nous transmettons les données de consommation des utilisateurs aux fournisseurs de gaz afin qu'ils puissent facturer leurs clients. Cette facturation comprend une partie « acheminement » fixée de manière réglementaire qui correspond à nos missions de service public. Et bien entendu, il y a de nombreux flux entrées/sorties entre les deux parties de notre SI.

PublicitéCIO : Quelle est l'architecture de ce SI propre ?

Thien Than-Trong : En coeur, nous avons SAP sur plate-forme Linux avec des bases Oracle. A cela s'ajoutent des développements pour des portails d'interactions avec nos clients et partenaires. Nous avons également recréé dans ce SI spécifique des outils pour géré l'urgence gaz. Bien entendu, nous nous autorisons des technologies de type Hadoop/Spark pour améliorer le traitement des Big Datas, notamment issues de l'IoT.
Nous n'avons pas de datacenters propres mais un hébergement privé. Nous ne recourons pas au cloud public. Au sein de notre hébergement, nous disposons de serveurs classiques pour les bases centrales et de cloud privé lorsque la scalabilité est nécessaire, par exemple pour les frontaux. Nous achetons de la ressource « as a service » sur des baies réservées mais le matériel ne nous appartient pas.



CIO : Que signifie la digitalisation pour vous ?

Thien Than-Trong : Avec l'arrivée des compteurs communicants gaz, l'activité de relève - prise en charge dans le cadre du service commun - va nécessairement diminuer. Ce changement technologique va donc entraîner une évolution de l'organisation des activités d'intervention sur le terrain. Ainsi nous dotons les agents de terrain de tablettes qui sont équipées de logiciels exploitant les données de Disco et d'autres outils métier spécifiques et de la GMAO issue du « jeune GRDF ». Il s'agit notamment d'optimiser les tournées en temps réel. Nous mettons en valeur nos « deux SI » via le Digital.

Isabelle Drochon : En fait, la télé-relève existe déjà depuis cinq ans (déploiement entre 2010 et 2012) pour les clients dits « gros consommateurs » : essentiellement des industriels et des activités tertiaires multi-sites. Ceux-ci représentent 50 % de la quantité de gaz naturel distribué mais seulement 100 000 clients. Pour l'autre moitié des volumes distribués, la digitalisation de la collecte des 11 millions de clients de GRDF passe par le compteur communicant Gazpar. La quantité de données traitée par notre SI va donc être multipliée par 180 puisque nous passerons d'un relevé actuellement semestriel à un relevé quotidien.
Après une phase de test dans 4 zones pilotes démarrés début 2016, le déploiement généralisé du compteur Gazpar commence le 1er Mai 2017 avec une fin prévue en 2022. A ce jour, plus de 150 000 compteurs communicants ont déjà été posés et notre objectif est de 600 000 compteurs installés d'ici la fin de l'année. Une fois le système mis en place, les fournisseurs de gaz recevront une transmission des données de facturation mensuellement.

CIO : Comment vont être exploitées les données de Gazpar ?

Isabelle Drochon : Le client particulier pourra avoir accès aux données brutes de son compteur dans un espace personnalisé et sécurisé sur GRDF.fr. Il y trouvera des chiffres exprimés en kWh et pourra également choisir quel tiers sera autorisé à accéder à ses données. De fait, ces données ne seront pas partagées avec n'importe qui car l'enjeu de confidentialité est évident : personne ne souhaite faire savoir quand il part en vacances et cesse de consommer de l'énergie par exemple.
Pour le suivi des consommations quotidiennes, étant donné que le compteur émet deux fois par jour, la finesse des données émises n'autorise pas, par exemple, à savoir à quelle heure les particuliers se lèvent ou se couchent. Toutefois, pour les clients qui le souhaitent, nous proposons, dans le cadre d'une tarification complémentaire spécifique, un service de remontée de données horaires. Une remontée en temps réel est aussi techniquement possible mais cela suppose d'acquérir un module externe et de le maintenir, ce qui ne rend cette offre attractive que pour les gros consommateurs.
Le programme compteurs communicants de GRDF représente un investissement d'un milliard d'euros. Par la meilleure connaissance de la consommation qu'il rendra possible, nous estimons qu'il permettra une économie moyenne d'énergie de 1,5% sur l'ensemble du territoire. Il va de soi que nous voulons que les données générées soient donc les plus utilisées possible. Cette utilisation pourra se faire via des plates-formes à destination des grands bailleurs, des collectivités, des start-up, etc. Nous envisageons qu'à terme, les données du gaz y soient associées à d'autres données, par exemple pour estimer le coût énergétique global d'un logement ou un cumul de charges locatives. Sur ce sujet, nous travaillons aussi en coordination avec les ELD qui sont intéressées par ces solutions qui tendent toutes à favoriser les actions de maîtrise de l'énergie.

Thien Than-Trong : Nous avons lancé un grand programme d'API management qui aboutira en 2018. Les données de Gazpar vont être injectées dans notre SI et, via les API, être mises à disposition sur notre portail propre mais aussi pour nos partenaires et pour les fournisseurs de gaz. Nous menons actuellement un vaste chantier de normalisation des processus autour du traitement de ces données.
Nous produisons des données destinées essentiellement à être valorisées par d'autres. En tant que service public, il en va de notre responsabilité de délivrer cette brique à ceux qui pourront en tirer une valeur d'usage.

Isabelle Drochon : Notre rôle n'est pas de construire un business autour de ces données mais de les rendre accessibles dans le respect de la réglementation en vigueur.



CIO : Techniquement, comment les données sont-elles remontées alors que vous ne pouvez pas les transmettre en utilisant votre propre réseau comme vos confrères de l'électricité ?

Isabelle Drochon : La technologie Gazpar utilise une fréquence ouverte proche de la bande FM - le 169 MHz - qui sert aux compteurs d'eau, de gaz, etc. Le compteur comporte une pile capable de durer vingt ans car il ne se « réveille » que quelques fractions de secondes par jour. Les données de chaque compteur sont ensuite transmises vers des concentrateurs installés sur des points hauts. Chaque concentrateur couvre un rayon de deux kilomètres environ.
Si nous détectons une anomalie (comme une absence de remontée de données par exemple), des contrôles sont faits à distance, et si nécessaire, un agent de terrain est envoyé pour changer le compteur.

Thien Than-Trong : A partir des concentrateurs, nous remontons ensuite les données en GSM. Ce choix technique est approprié car il y a peu de données et une remontée lente suffit. Nous avons d'ailleurs constitué une alliance ouverte, nommée Wize Alliance, avec Suez (pour les compteurs d'eau) et Sagemcom pour promouvoir cette technologie - notamment pour l'IoT- et à ce jour plus de 35 sociétés en Europe nous ont déjà rejoints.

CIO : Plus concrètement, quelle valeur vos partenaires vont-ils pouvoir tirer des données de Gazpar ?

Isabelle Drochon : Cela dépend des acteurs. Les premiers intéressés sont les collectivités locales pour travailler sur la planification énergétique des territoires, prévoir l'évolution des réseaux tout en sécurisant la fourniture d'énergie selon les anticipations de besoins à des échéances de 20, 30 voire 50 ans. Nous pouvons de fait basculer d'une analyse nationale ou régionale à une analyse locale.
Pour les grands bailleurs, il s'agit de travailler à l'efficacité énergétique de leurs bâtiments, pour piloter une politique de rénovation et d'isolation. Des grands cabinets de gestion pourraient, à terme, proposer des plates-formes de services où les consommations énergétiques trouveraient leur place, comme les carnets numériques d'entretien des immeubles par exemple.
Et puis, il y a de nouveaux acteurs offrant des services autour de la donnée. Par exemple, on peut réaliser du pilotage domotique dans une logique de smart-home avec du machine learning pour caler le chauffage aux besoins réels. Certains comparateurs de prix entre fournisseurs pourraient ainsi se caler sur les consommations réelles. Certains acteurs travaillent aussi sur des coffres-forts numériques rassemblant des données d'origines variées comme les données bancaires, celles de l'énergie, etc. Nous sommes convaincus qu'un secteur d'activité innovant fondé sur les actions de maîtrise de l'énergie peut émerger demain grâce aux données, et ce, au profit de tous.

CIO : Adoptez-vous une démarche d'open-data ?

Isabelle Drochon : Tout à fait ! La remise des données sera gratuite mais, les données étant sensibles, l'accès ne sera pas libre.
Début 2018, les entreprises intéressées pourront souscrire au service GRDF-ADICT (Accès aux Données Individuelles des Clients par des Tiers). Un contrat précis, avec les droits et obligations de chaque partie, sera alors conclu. Pour un recueil des données détaillées, il faudra un consentement explicite des personnes concernées.
Deux cas de figure sont prévus. Dans le premier, c'est le tiers qui recueille le consentement des personnes et GRDF le valide positivement par défaut pour lui ouvrir les droits d'accès, avec des contrôles opérés par GRDF et un strict respect des règles définies par la CNIL. Dans le second, le consentement est géré par GRDF, recueilli lorsque le client se connecte à son compte, sur le modèle de l'utilisation des données Facebook par des applications tierces. Si le deuxième circuit est 100% digital, il n'est pas nécessairement le plus pertinent dans tous les cas. Le premier circuit serait plutôt destiné aux gros acteurs, gérants de nombreux compteurs, le deuxième est, selon nous, davantage adapté aux start-up. Nous travaillons à ce sujet avec les associations de consommateurs pour vérifier que le process est clair et sécurisant. Nous avons ainsi prévu une fonction « listing des consentements accordés » sur le portail de GRDF avec une capacité de révocation en ligne.

Thien Than-Trong : Comme nous démarrons une phase expérimentale avec quatorze partenaires, la gestion des API et des ouvertures de droits est encore très manuelle. Pour l'instant, les fournisseurs de gaz utilisent une connexion « canal historique » avec notre SI mais ils pourront ensuite basculer en mode « GRDF-ADICT » s'ils le souhaitent.



CIO : Nous avons parlé des données individuelles. Allez-vous distribuer également des données agrégées et, ainsi, davantage ouvertes ?

Isabelle Drochon : La Loi prévoit en effet que des données agrégées par quartier puissent être mises à disposition librement. Nous avons, à cette fin, ouvert un portail utilisant la solution d'OpenDataSoft en décembre 2016. Les données de production de biométhane ou d'acheminement du gaz y sont régulièrement téléchargées.
Nous sommes encore dans une phase d'apprentissage car beaucoup de questions demeurent sur le seuil minimal d'agrégation garantissant l'anonymat. Nous sommes prudents sur l'ouverture des données afin de ne pas diffuser de données potentiellement sensibles.

CIO : Mis à part Gazpar, avez-vous d'autres dispositifs IoT, par exemple pour surveiller le réseau ?

Thien Than-Trong : En effet, mais ce sont plutôt des données internes. Nous travaillons sur un dé-silotage et sur la qualité des données. Nous menons un très gros travail sur l'exploitation de telles données avec une logique de démonstrateurs. Chaque test nous permet d'apprendre et de vérifier la pertinence de la démarche. Si l'intérêt est manifeste, nous industrialisons. Nous faisons un gros travail, pour répandre la culture de la donnée dans l'entreprise.
L'IoT transforme l'approche de la maintenance de nos installations. Actuellement, nous avons des obligations très réglementées en matière de maintenance. Mais nous avons une vraie opportunité d'optimisation pour entretenir l'infrastructure de distribution en réalisant de la maintenance préventive.

CIO : Si on excepte le point précis des plus gros volumes de données, en quoi les chantiers en cours impactent-ils réellement le coeur du système d'information ?

Isabelle Drochon : Aujourd'hui, on nous demande des informations dont nous ne disposions pas auparavant. Par exemple, on nous demande la consommation par secteur d'activité. Or, pour nous, que le consommateur soit un hôpital ou une usine, cela nous est indifférent en matière de distribution au sens strict. La donnée n'existait donc pas dans nos systèmes. Il a fallu trouver un moyen de l'insérer.
Le réseau de distribution dont nous avons la gestion évolue aussi. Par exemple, il nous faut intégrer le décompte des injections de biométhane. Enfin, nous nous préparons à la mutation de nos métiers et à leur digitalisation.

Thien Than-Trong : L'enrichissement des données permet aussi de travailler sur la détection de la fraude, sur l'attrition de la clientèle, etc. Et la multiplication des points d'injection (avec le biométhane) nous amène à rendre le réseau plus intelligent pour aller, à terme, jusqu'à l'émergence de smart gas grids dont, nous en sommes convaincus, le rôle sera prépondérant dans la transition énergétique.

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