Stratégie

Thales s'attaque à l'organisation de ses projets d'IA pour systèmes critiques

Thales s'attaque à l'organisation de ses projets d'IA pour systèmes critiques
Le pod optronique Talios de Thales destiné aux Rafale de Dassault embarque du deep learning pour repérer en temps réel les cibles dans les images captées au sol. (Photo Thales)
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°205 !
Industrie : L’IT travaille enfin en usine

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L'industriel, spécialisé dans la défense, l'aéronautique et la spatial, rationalise ses développements de solutions d'IA pour systèmes critiques au sein d'une nouvelle organisation de 600 experts en IA, sciences physiques et métier.

PublicitéComme nombre de très grands industriels, Thales n'a pas attendu ChatGPT pour exploiter l'intelligence artificielle. « Nous y travaillons depuis les années 90, rappelle Patrice Caine, Pdg de l'industriel de l'électronique pour la défense, l'aéronautique et le spatial civils et militaires, à l'occasion d'une conférence de presse. À l'époque, il s'agissait cependant uniquement de projets de recherche. » Les capacités de calcul et volumes de données disponibles ne permettant alors pas de passer à l'échelle. « Par ailleurs, notre IA n'est pas celle qui se voit, mais une IA de systèmes critiques, poursuit-il. Et dans ce domaine, nous avons des ambitions fortes. »

Les IA pour systèmes critiques que développe Thales servent ainsi à traiter les données produites ou captées par ses équipements ou à aider les opérateurs à prendre des décisions. Des développements algorithmiques, mais aussi matériels, qui exigent une connaissance des technologies, mais aussi des métiers et des produits qui doivent être petits et légers, et peu consommateurs en énergie.

Analyse des données des capteurs et aide à la décision

L'IA améliore, par exemple, la précision lors de l'identification d'objets. Thales a ainsi mis au point une analyse des signaux radar en opération militaire, qui sait distinguer en quelques secondes un véhicule militaire d'un oiseau ou d'un nuage de sable soulevé par le vent. Une IA développée à partir de l'expertise des opérateurs radar. Une autre solution analyse les signaux radars pour la surveillance maritime afin de classifier par taille les navires repérés en quelques secondes. En matière d'aide à la décision, l'industriel a aussi développé une aide au contrôle aérien, qui s'appuie sur du machine learning, pour des aéroports confrontés à une forte densité de vols. Objectif : optimiser l'exploitation de l'aéroport avec un flux d'avions continu qui réduit également l'empreinte carbone des appareils.

Un des projets phares, le pod optronique Talios, va équiper les prochains Rafale de Dassault Aviation. Aujourd'hui, le pilote des avions de combat manipule manuellement cet équipement doté de plusieurs capteurs optiques de haute performance avec un joystick pour identifier des cibles potentielles au sol. Mais cela prend un temps très long. Pour raccourcir le délai, décharger le pilote de cette tâche et surtout l'aider à prendre une décision, les équipes de Thales ont développé un algorithme de deep learning embarqué dans le pod, qui analyse les images en temps réel. Pour ne pas encombrer ni alourdir l'avion, et pour limiter la consommation d'énergie, ce réseau de neurones frugal, optimisé, est installé sur une puce FPGA qui ne fait qu'exécuter l'algorithme. Ce dernier a été entraîné avec des images détenues par Thales ou les forces françaises.

PublicitéFiabilité, cybersécurité, transparence

« L'IA exploitée dans les systèmes critiques va devoir répondre à de nombreuses exigences », rappelle Patrice Caine. La fiabilité, pour commencer, car il n'est pas question qu'une IA dans un avion génère la moindre erreur, par exemple. La cybersécurité, car l'IA augmente la surface potentielle d'attaques en étendant la digitalisation (Thales a acheté le spécialiste Imperva en 2023, qui emploie 5800 experts en cyber, et s'est doté d'une équipe de 'friendly hackers', spécialistes de la cybersécurité de l'IA). Enfin, la transparence et l'explicabilité, ainsi que l'éthique et la responsabilité. Thales va donc hybrider d'un côté l'IA générative qui n'est ni infaillible, ni explicable, et de l'autre, l'IA symbolique, prédictible et certifiable. Il fera aussi en sorte que ses IA n'aient recours qu'au cloud de confiance, et non au cloud public. Par ailleurs, le mode opératoire des solutions à base d'IA s'arrêtera toujours avant la prise de décision qui elle, reste réservée à l'humain. Enfin, comme avec le pod Talios, toutes ces solutions sont embarquées et doivent s'appuyer sur une algorithmie frugale, car il n'est pas question de loger un datacenter dans un chasseur de combat !


« Notre IA n'est pas celle qui se voit, mais une IA de systèmes critiques, insiste Patrice Caine, Pdg de Thales. Et dans ce domaine, nous avons des ambitions fortes. » (Photo : Thales)

L'industriel dispose déjà d'une centaine de projets intégrant de l'IA pour systèmes critiques. « Au fil du temps, nous avons créé le plus grand vivier européen d'IA pour les systèmes critiques, confirme Philippe Keryer, DGA stratégie, recherche et technologie de Thales. Simplement, jusqu'à maintenant, ces projets, et les compétences et expertises en la matière étaient répartis dans différentes entités de l'entreprise. » Pour capitaliser sur ces forces, l'industriel a décidé de les mutualiser au sein d'une organisation spécifique en trois pôles, appelée CortAIx. Celle-ci est installée en Île-de-France et près de Rennes, au Canada et à Singapour. Elle regroupe 600 experts, dont les deux tiers en France. La particularité de ces équipes résidant dans la combinaison de connaissances en IA, en sciences physiques et sur les métiers des clients de Thales. Pour développer une IA de traitement de données générées par un sonar, par exemple, il est essentiel de comprendre comment une céramique vibre, comme une onde acoustique se forme, comme elle se reflète, etc., rappellent les dirigeants de Thales.

Une usine à IA, un pôle capteurs et de la recherche sur l'IA de confiance

Premier des trois pôles, la cortAIx factory a pour rôle d'identifier les cas d'usage dans les métiers et de créer des outils pour aider les différentes équipes de l'entreprise à développer des produits à base d'IA adaptés : systèmes d'IA embarquée, IA hybride, outils de qualification et de certification de l'IA, dispositifs de cybersécurité des éléments à base d'IA, etc. Deuxième pôle, CortAIx sensors se concentre spécifiquement sur l'intégration de l'IA dans les capteurs. Une des spécificités du sous-traitant industriel résidant, en effet, dans son utilisation intensive de ces systèmes pour détecter, identifier et classifier. Que l'on parle de sonars, de radars d'équipements de guerre électronique, d'équipements radio, de caméras sur les avions de combat, etc.

Enfin, 3e et dernier pôle voué à irriguer les deux autres, les CortAIx labs regroupent les travaux de recherche sur l'IA de confiance. Il est installé à Palaiseau (Essonne), sur le site du plus grand centre de recherche amont de Thales, à proximité de l'École Polytechnique. Ce campus héberge une partie des équipes de l'Agence ministérielle pour l'IA de défense (Amiad), annoncée le 8 mars par le gouvernement français, et avec qui l'industriel collabore. Plus de 150 experts en IA en environnement critique travaillent au sein des CortAIx Labs, soit « la plus importante force de frappe dans le domaine en Europe, selon Thales.

L'industriel dépose une quarantaine de brevets spécifiques sur l'IA critique en Europe chaque année, mais veut accélérer encore dans la création d'une propriété industrielle en la matière. Outre son organisation CortAIx, il développe pour ce faire des partenariats dans le monde entier avec la recherche académique, d'autres industriels ou des startups. Il collabore ainsi avec EDF et Totalénergies au sein du laboratoire Sinclair (Saclay industrial collaborative laboratory for AI research) et avec 8 autres grands groupes industriels dans le cadre du programme de recherche technologique français ConfianceAI.

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