Tester et laisser mourir
Quel rôle pour les testeurs face à des applications de plus en plus éphémères quand elles ne sont pas tout simplement jetables ?
PublicitéLors de la dernière Journée Française des Tests Logiciels, il y a quelques mois déjà, j'avais eu le plaisir de m'interroger publiquement sur le(s) devenir(s) possible(s) de notre profession et sur la manière dont notre marché, en perpétuelle mutation, était prêt à valoriser les métiers du test. (http://www.youtube.com/watch?v=WkXj8Ihbk0g)
Il est temps pour moi, en conservant dans un premier temps le même style narratif, de vous livrer quelques réflexions complémentaires sur ce sujet crucial pour notre profession :
24 janvier 2014 - 11h58 quelque part en Belgique
En me connectant sur ma boîte mail privée, je découvre une annonce publicitaire d'un distributeur de café mondialement connu qui me vante les qualités gustatives exceptionnelles de son dernier grand cru. Aguiché par cette annonce - je dois bien vous l'avouer, je suis un gourmet et un gourmand - mais aussi par la qualité souvent exceptionnelle des publicités en ligne de cette marque, je clique sur le lien destiné à m'amener sur le site web promotionnel et je découvre, derrière les images aussi léchées qu'alléchantes... « une hénaurme fôte d'aurtografe ». Le genre de fautes que même la récente réforme ne pourrait excuser, une faute du genre que l'on obtient en traduisant « brut de fonderie » un site chinois dans Google Translate en passant par le « youpoltchèque oriental » comme langue intermédiaire.
24 janvier 2014 - 14h33 à Villeneuve d'Ascq (59)
Fier de ma trouvaille - il s'agit après tout d'un groupe mondialement connu et brassant, outre l'arabica et le robusta, des millions d'euros en bourse - je décide faire découvrir l'infâme coquille à mes collaborateurs et là, déception totale, le site affiche maintenant une page parfaitement correcte au sens orthographique s'entend.
Certes, il n'y a là rien d'extraordinaire. Aujourd'hui, plus personne dans le monde du web ne s'étonne d'une telle mise à jour « express ». Ce mode est d'ailleurs couramment utilisé et certaines pages peuvent ainsi être mises à jour plusieurs fois par jour.
Dans la même veine, les applications mobiles - qui selon les analystes spécialisés - représentent l'avenir de l'informatique, subissent mises à jour et correctifs à un rythme effréné ; et ce ne sont pas les joueurs qui me contrediront tant la valse des livraisons successives s'accélère au fil du temps.
Oui, et alors, me direz-vous ?
Et alors, chers lecteurs, je m'interroge.
Je m'interroge sur ces comportements qui nous paraissent si naturels - après tout, il est bien normal de corriger des défauts avérés rapidement, non ?
Je m'interroge aussi sur les conséquences de ces mises à jours perpétuelles, au fil de l'eau ; sur ces pratiques que d'aucuns n'hésitent pas à qualifier d'agiles - sans doute parce qu'ils n'ont rien compris de la philosophie Agile, de ses méthodes et de ses contraintes - quand je ne puis que les qualifier, pour ma part, de chaotiques ; sur le rôle du testeur et sur les risques associés à une toujours possible régression.
PublicitéEn cédant à ce culte de l'immédiateté tant pratiqué par les générations Y, en banalisant des comportements pas si ordinaires qu'il y paraît, en créant des attentes chez nos utilisateurs, ne sommes-nous pas en train de confondre vitesse et précipitation ?
A l'heure où les testeurs se sentent de plus en plus écartelés entre Métier, Utilisateurs, DSI et Production, quel sera leur véritable rôle face à des applications de plus en plus éphémères quand elles ne sont pas tout simplement jetables ?
Quel niveau de qualité peut-on bien exiger d'une application :
- dont la durée de vie est ou peut paraître éphémère
- pour laquelle tous s'attendent à de fréquentes et rapides mises à jour
- pour laquelle le niveau d'attentes en matière de fonctionnalités voire de qualité reste souvent flou (sorte d'attente passive du consommateur - ou « run » d'essai du produit)
- pour laquelle les Conditions Générales de Vente annoncent haut et clair que quoi qu'il arrive, ce sera votre faute et qu'aucune réclamation en dommages et intérêts ne pourra s'appliquer
- qui réutilise sans se poser de questions et surtout sans y contribuer le moins du monde, bibliothèques et composants ouverts à tous
- dont le positionnement est tout au début de la phase de maturité
- dont le développement est souvent assuré par de nouvelles structures qui vont et viennent au gré des modes et des tendances et qui ont peu à perdre et tout à gagner.
- pour laquelle les contrôles « institutionnels » ou « communautaires » se révèlent insuffisants.
Sommes-nous en train de répliquer un modèle qui a fait ses preuves dans la société d'ultra-consommation des années '70 et '80 et qui est aujourd'hui vivement contesté par la vague écologique, celui du prêt-à-jeter, de l'usage unique ?
A l'heure où nous changeons de portable tous les 6 mois et où les appareils électroniques, de plus en plus connectés ou communicants remplissent les poubelles de l'histoire technologique et du monde, je m'interroge enfin sur le rôle du testeur et sur son évolution face à ces incroyables défis.
Là où aujourd'hui nous avons tant de difficultés à convaincre les décideurs de la valeur et de la valeur ajoutée de notre communauté, il nous faudra redoubler d'efforts pour éviter demain d'être sacrifiés à l'éphémère et tout simplement jetés avec l'eau du bain. Le testeur jetable, en quelque sorte !
Pourtant, je reste confiant dans nos capacités à rebondir, à nous adapter sans cesse à cette société qui change et se réinvente. Car après tout, derrière toute application, même volatile ou éphémère, se cache un business, un moyen de générer des revenus et des bénéfices, quels qu'ils soient. Et s'il y a de l'argent en jeu, alors il y a un risque et une nécessité de le couvrir...et donc un besoin, fût-il ténu de qualité...et donc de test. A nous de savoir le comprendre et de pouvoir l'adresser.
Passent les applications, passent les modes et les années....tester et laisser mourir, telle est notre nouvelle devise...éphémère.
Article rédigé par
Olivier Denoo, Vice Président du CFTL
Ingénieur civil chimiste de formation, Olivier Denoo compte près de 20 ans d'expérience dans le domaine des technologies de l'information et plus particulièrement dans le domaine des tests logiciels. Au cours de sa carrière, Olivier a pris en charge la gestion de projets complexes et d'envergure dans les secteurs des télécoms, de la finance (banque / assurance), de l'industrie pharmaceutique, de la grande distribution, de l'édition de logiciels, et du secteur public (régional, fédéral et européen). Après avoir exercé pendant plusieurs années comme consultant au sein du groupe ps_testware, spécialisé dans le contrôle de l'assurance qualité des logiciels informatiques, Olivier occupe aujourd'hui la fonction de directeur de la filiale française du groupe ps_testware SAS. Il intervient régulièrement dans de nombreux congrès et événements internationaux spécialisés (JFTL1, JFTL2, Quality Week, Quality Week Europe, Eurostar, ICSTest, ICSTest NL, Spice, Dasia, e-Mar, PSQT-PSTT...). Membre du comité de Sélection (Quality Week et Quality Week Europe) Il intervient également dans le cadre de formations spécialisées dans le domaine du test et de la qualité en Europe et plus récemment au Vietnam. Olivier Denoo est l'auteur d'une série de nouvelles, intitulée Les Bondieuseries, traitant sur un ton humoristique et décalé, d'un certain nombre de problématiques très sérieuses, relevant des tests logiciels et de leurs enjeux au sein de l'entreprise.
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