Suite numérique, l'Etat français se pique (encore) de collaboratif
Autour d'une authentification unique, la DSI de l'État construit une suite d'outils collaboratifs open source. Une nouvelle entaille sans lendemain dans le monopole d'éditeurs comme Microsoft ? Non, assure la Dinum, qui met en avant une démarche structurée et des formes de mutualisation avec l'Allemagne.
PublicitéLancée depuis avril 2024, la Suite numérique, regroupant un ensemble d'outils collaboratifs open source sous l'égide de la DSI de l'Etat, la Dinum, peut apparaître, en première lecture, comme le prolongement du Sac à dos numérique de l'agent public (SNAP), apparu au moment du Covid. Une parenté que tempère Samuel Paccoud, chef du pôle Suite numérique au sein de la Dinum depuis environ un an. « Le SNAP était une collection d'outils préexistants visant à faciliter le travail à distance, tandis que la Suite vise à les rendre interopérables en les faisant communiquer entre eux. C'est une évolution de ce projet avec une ambition renouvelée appuyée, depuis le lancement de ce projet, par le ministère de la Fonction publique, de la Simplification et de la Transformation de l'action publique. »
Démarrés en janvier 2024, les travaux sur cet ensemble d'outils collaboratifs sont partis d'un premier constat : le besoin de proposer une authentification unique sur tous les composants. Pour ce faire, la Dinum s'est appuyée sur AgentConnect, un fork de France Connect permettant aux agents de l'administration de s'authentifier sur des systèmes d'information, et sur son évolution vers ProConnect, qui étend ce principe aux partenaires de l'administration centrale, comme la fonction publique hospitalière, les collectivités et certains professionnels du secteur privé.
« En janvier dernier, nous partions de quelques dizaines de milliers d'agents connectés à AgentConnect. Le prérequis pour étendre ce périmètre initial était d'abord de réussir à déployer ce service auprès de tous les agents de tous les ministères, ce qui a été fait entre janvier et juin 2024, détaille Samuel Paccoud. Avant de s'étendre à l'ensemble de la sphère publique et des professionnels partenaires, au sein d'un même SSO via le projet ProConnect. » Aujourd'hui, l'ensemble de l'administration centrale - hormis les services du Premier ministre - est connectée à l'authentification unique et de premières organisations publiques - comme France Travail - sont en train d'intégrer et déployer ProConnect. Notons que ce projet devrait s'enrichir, d'ici quelques mois, de services d'échange d'information, de gestion des habilitations ou de recherche avec d'autres annuaires, via la norme OpenID Connect (OIDC).
Remplacer Microsoft Office ? Plutôt ses usages inadaptés
Suffisant pour accélérer l'adoption ? « Il faut considérer le développement des usages comme les couches d'un oignon », illustre Samuel Paccoud. Avec des applications affichant déjà de solides bases d'utilisateurs actifs mensuels, comme la messagerie instantanée Tchap (qui approche les 300 000, même si ce composant n'est pas encore intégré avec ProConnect), comme la gestion de fichiers Resana (près de 200 000) ou comme le composant WebConf (200 000 là encore). « Sur ce dernier, nous préparons un saut technologique sur la prochaine version, avec des fonctions de transcription, une amélioration de la qualité vidéo ou encore l'intégration à n'importe quelle application d'Etat au standard ProConnect », souligne le chef du pôle Suite numérique. Malgré tout, le nombre d'utilisateurs des différents composants reste assez modeste à l'échelle de la fonction publique (2,5 millions d'agents pour la seule fonction publique d'Etat).
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Samuel Paccoud, chef du pôle Suite numérique au sein de la Dinum : « pour être à l'état de l'art, nous devions automatise, ramener le poids du run à 5 ou 10% du budget et récupérer ainsi des ressources pour le développement ».
Un point qui avait été souligné par la Cour des comptes, dans un rapport paru à l'été dernier. La juridiction s'interrogeait sur la pertinence de ce projet au sein de l'Etat et sur son équation financière alors que les usages se sont plutôt standardisés sur Microsoft Office. « D'abord, nous ne réfléchissons pas en termes de remplacement d'Office, réplique Samuel Paccoud. Bien que Word et Excel soient largement utilisés, ils ne sont souvent pas les outils les plus appropriés pour 90% des tâches qui leur sont confiées. » Et de donner l'exemple de Grist, un outil collaboratif associant une feuille de calcul à des fonctionnalités de bases de données, un outil déployé notamment pour gérer des échanges entre Conseils départementaux et collectivités, en remplacement de fichiers Excel envoyés par mail.
Développements reversés à la communauté
« Si l'analyse de la Cour des Comptes sur les coûts est intéressante, elle ne prend pas en compte l'ensemble des dimensions stratégiques qui justifient le développement de suites souveraines », assure par ailleurs le responsable de la Suite numérique au sein de la Dinum, soulignant la confusion entre Capex et Opex, mais aussi l'absence d'évaluation des bénéfices induits des développements Open Source. « Par exemple, les montants annoncés sur Tchap ne donnent pas une idée complète des avantages de ce développement, qui comprend la mise au point d'un protocole Open Source, Matrix, largement financé par la Dinum, souligne Samuel Paccoud. Or, ce projet Open Source compte aujourd'hui plus de 100 000 instances dans le monde. Dans la même dynamique, Jitsi et BigBlueButton, solutions de visio-conférence, sont au coeur des suites Open Source françaises. Comment valoriser tout cet écosystème, dont le développement ces dernières années doit beaucoup au développement des suites française et allemande ? »
Automatiser le run, pour privilégier le développement
Reste à s'interroger sur la pérennité d'une suite dont une partie des développements et de la maintenance relève de l'Opérateur de produits interministériels de la Dinum, une entité assez jeune chargée de la mutualisation de produits numériques essentiels. Pour Samuel Paccoud, une partie de la réponse tient dans la refonte en cours de l'opérateur : « lors de mon arrivée au sein de la structure, j'ai été frappé par l'important pourcentage des ressources consacré au fonctionnement. Pour être à l'état de l'art, nous devions automatiser, pour ramener le poids du run à 5 ou 10% du budget et récupérer des ressources pour le développement ».
En 2024, la production de la Suite numérique a donc basculé sur Kubernetes et Docker, « soit l'équivalent de plusieurs sauts technologiques effectués en une fois sur une dizaine d'applications ». Selon Samuel Paccoud, si les efforts d'automatisation ont été achevés en juin, reste maintenant à optimiser les opérations pour les environnements SecNumCloud. Objectif : parvenir à l'état de l'art en 2025.
Premières mutualisations avec l'Allemagne
Ce virage permettra aux personnes travaillant sur la Suite au sein de la Dinum, mais également à l'ANCT (Agence nationale de la cohésion des territoires) et à sa Suite territoriale, de se concentrer sur les développements - ceux-ci étant systématiquement reversés dans les communs numériques -, avec l'appui de l'écosystème Open Source. « Sans oublier l'échelon international. Avec nos partenaires allemands, nous recherchons des sujets communs pour mutualiser l'effort de développement. Nous pensons que l'Open Source entre Etats fait sens », indique Samuel Paccoud. Certains travaux sur la Suite s'effectuent ainsi en partenariat avec l'équivalent de la Dinum outre Rhin, placée au sein du ministère de l'Intérieur allemand, le BMI. C'est notamment le cas sur Docs, un composant qui offre un espace de travail commun et collaboratif. Pour l'heure, seuls les deux pays travaillent sur cette logique de mutualisation, même si la Dinum ne fait pas mystère de sa volonté d'étendre cette approche à d'autres, voire de l'amener à l'échelon européen.
Le dispositif maintenant en place, la Dinum entend poursuivre la maturation de la Suite numérique l'an prochain. Notamment via l'extension de ProConnect, en achevant l'interconnexion des collectivités ou en intégrant les fournisseurs de services. Mais la réorganisation de l'équipe dédiée au sein de l'Opérateur doit aussi permettre de lancer des développements assurant une meilleure interopérabilité entre les composants. « Nous avons une liste de développements à réaliser, classés par ordre de priorité », assure Samuel Paccoud. Et de citer, parmi ces priorités, l'envoi ou la récupération de fichiers sur le drive de la Suite numérique depuis n'importe quelle application connectée à ProConnect ou encore la capacité à basculer en un clic du calendrier à la visioconférence.
Article rédigé par
Reynald Fléchaux, Rédacteur en chef CIO
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