Stéphanie Schaer, directrice interministérielle du numérique : « être à la fois une tour de contrôle et un animateur de communauté »
La patronne de la Dinum détaille pour CIO les grands axes de sa feuille de route. Des ambitions qui seront servies par un budget en progression de 30% et par le recrutement de 40 ETP supplémentaires.
PublicitéNommée en septembre dernier à la tête de la DSI de l'Etat, Stéphanie Schaer vient de dévoiler la feuille de route de la Direction interministérielle du numérique. Encadrement des grands projets de l'Etat, rôle d'opérateur de services partagés, diffusion des bonnes pratiques, accompagnement des projets d'innovation : la DSI de l'Etat nouvelle formule revient à ses fondamentaux. Tout en s'enrichissant d'un rôle de DRH interministérielle du numérique.
Pour CIO, Stéphanie Schaer revient sur les grandes orientations d'une DSI de l'Etat, encore en phase de reconstruction. Et détaille les moyens qui vont être alloués à l'atteinte des ambitions affichées : un budget en progression de 30% dès cette année et 40 ETP supplémentaires à l'horizon 2024.
Dévoilée début mars, votre feuille de route pointait les dérives des grands projets de l'Etat, grands projets qui passent par un audit de la Dinum lors de leur lancement et font l'objet d'un suivi par vos services. Comment améliorer l'encadrement des grands projets de l'Etat ?
Stéphanie Schaer : Cette feuille de route, co-construite notamment par tous les agents de la Dinum et les directions du numérique au sein des ministères, vise à souligner ce qui fonctionne et ce que nous pourrions améliorer. En la matière, il faut noter que la taille moyenne de ces projets a diminué avec le temps, ce qui est un signal positif. Par ailleurs, les audits au démarrage des grands projets fonctionnent plutôt bien. Mais nous avons aussi noté, récemment, une augmentation des dérives budgétaires ou en matière de calendrier. Il nous faut donc aller plus loin, et accompagner les ministères le plus en amont possible. C'est tout l'objectif d'un département en cours de construction au sein de la Dinum, qui regroupera la réalisation des audits, au démarrage des projets ou lorsque ceux-ci doivent être réorientés, et l'accompagnement des directions du numérique par ce que nous appelons des brigades d'intervention numérique, qui proposeront des coachs, favoriseront la mobilisation des méthodes agiles ou encore s'attacheront à mettre en évidence l'impact de tout projet. Cette recherche d'impact consiste à identifier très tôt les bénéfices d'un projet et à s'assurer que ceux-ci sont bien mesurés dans le cadre d'approches itératives. Cet accompagnement par les brigades doit avoir lieu en amont des audits, mais aussi tout au long de la vie des produits numériques, qui ont vocation à être de plus en plus pilotée par des équipes produit chargées tant de leur développement, que de leurs évolutions et de leur fonctionnement au quotidien.
PublicitéAu sein de la Dinum, nous avons bien conscience qu'il s'agit là d'un changement culturel et que ce virage ne sera pas facile pour la plupart des ministères. Pour les aider dans cette transition, la Dinum veut jouer à la fois le rôle de tiers de confiance, via l'audit des grands projets de l'Etat, et celui de force d'accompagnement, via la création des brigades.
La réalisation des audits s'appuie sur un décret qui les rend obligatoires pour tout projet ministériel de plus de 9 M€. Qu'en sera-t-il pour l'accompagnement vers l'agilité ?
D'abord, la feuille de route que nous avons publiée le 9 mars dernier s'applique à l'ensemble des directions du numérique au sein de l'Etat. Sur l'accompagnement que nous proposons, ce sera à la Dinum de faire en sorte de donner envie à ces directions de nous solliciter. Les premiers échanges que nous avons avec les ministères montrent que leur porte est largement ouverte sur ce sujet.
Comment seront constituées ces brigades d'intervention numérique ?
Elles regrouperont une vingtaine de personnes au sein de la Dinum, avec des profils très complémentaires : accessibilité, développement cloud natif, numérique écoresponsable, conseil, coachs agiles. En cas de besoin, cette équipe pourra être démultipliée via le recours à des prestataires.
Comment intervient la Dinum dans l'encadrement des achats de prestations intellectuelles ?
Durant tout le courant de 2022, nous avons beaucoup travaillé avec les directions du numérique sur ce sujet. Ces échanges ont abouti à la publication de la circulaire de la Première ministre, en février dernier. Celle-ci fixe les règles du recours aux prestataires. Car, si nous avons parfois besoin de ces compétences externes, tout est en réalité question de dosage, raison pour laquelle la circulaire établit un certain nombre de ratios : au-delà de 60% de prestations, on entre dans une zone considérée comme risquée ; au-delà de 80%, le projet ne doit pas démarrer. Notons que cette circulaire soulignait déjà l'importance de la formation des directeurs de projets aux méthodes agiles et celle de la mesure d'impact permettant d'évaluer les bénéfices dès les premiers jalons d'un projet. Aujourd'hui, la Dinum s'attache à faire appliquer cette circulaire, en jouant à la fois un rôle de tour de contrôle et celui d'animateur de communauté.
« Le sens de nos missions, au service des politiques publiques, constitue également une motivation forte pour les personnes qui nous rejoignent. Ce facteur doit donc être visible dans nos méthodes de recrutement. »
Pour réussir à équilibrer les projets entre prestations et compétences internes, la difficulté pour les DSI publiques réside souvent dans le recrutement...
C'est vrai et ce point a été clairement identifié. D'où la volonté de la Dinum d'endosser le rôle de DRH de la filière numérique au sein de l'Etat. Pour parvenir à réunir les compétences nécessaires à la transformation numérique de l'Etat, il faut agir selon trois axes : attirer les bonnes compétences, offrir des parcours attractifs aux informaticiens au sein de l'Etat et former les agents déjà en poste, afin qu'ils soient en mesure de suivre l'évolution technologique. C'est ce tryptique que nous avons inscrit au coeur de notre feuille de route.
D'ores et déjà, depuis deux ans, nous disposons d'une grille commune de rémunérations pour les contractuels, qui a représenté une grosse bouffée d'oxygène pour les ministères en proposant des niveaux de rémunération comparables à ceux du secteur privé. La Dinum a d'ailleurs lancé un travail d'actualisation de cette grille, pour faire évoluer les salaires bien sûr, mais aussi pour profiter des retours d'expérience que nous avons accumulés afin, par exemple, de faire évoluer les dénominations. Attirer de nouvelles compétences ne se limite toutefois pas à cette question des salaires. Le sens de nos missions, au service des politiques publiques, constitue également une motivation forte pour les personnes qui nous rejoignent. Ce facteur doit donc être visible dans nos méthodes de recrutement. Tout comme le fait que nous exploitons des technologies à l'état de l'art. C'est sur l'ensemble de cette palette que doit jouer la DRH du numérique.
Sur ce terrain des RH, comment vont se répartir les rôles entre la Dinum et les ministères ?
Nous travaillerons en coordination pour mettre en place des processus et des méthodologies communes, même si chaque ministère gardera bien la main sur ses recrutements. En évitant la concurrence entre administrations, en facilitant les parcours des agents, la grille commune de rémunérations a démontré l'efficacité de ces démarches de mutualisation. Des démarches que la Dinum se chargera d'animer. Par ailleurs, la direction jouera un rôle de pionnier, car nous allons créer 40 postes au sein de la structure. Nous serons donc amenés à expérimenter et à partager un certain nombre de bonnes pratiques en matière de recrutement, en vue par exemple de raccourcir la durée de recrutement d'un contractuel. Dans ce processus, il y a en effet des étapes qu'on doit pouvoir accélérer ou simplifier.
Quel rôle entendez-vous faire jouer à la Dinum dans la construction de services numériques communs ?
En effet, la Dinum joue également un rôle d'opérateur, dont découle d'ailleurs une partie de sa légitimité puisqu'elle y démontre sa capacité à concevoir et à faire vivre des produits numériques. Nous opérons aujourd'hui un certain nombre de produits matures. C'est le cas de France Connect, utilisé par 41 millions de Français et qui a grandement facilité la connexion de nos compatriotes aux services en ligne. Ou encore de Démarches Simplifiées, lancé il y a cinq ans avec la volonté de mutualiser la conception d'applications de formulaires. Mais aussi de la plateforme de données publiques Data.gouv, des bouquets d'API ou du RIE (Réseau interministériel de l'Etat). Nous travaillons à faire vivre et étendre ce catalogue, par exemple avec l'ambition de proposer aux agents publics une suite collaborative opérée par l'Etat, sur la base de composants Open Source. Cette initiative s'appuie sur un premier effort mené durant la crise du Covid, au cours de laquelle de nouvelles briques collaboratives ont été mises à disposition comme de la visioconférence, et s'enrichit actuellement d'un tour de France que nous menons afin d'aller au contact des agents-usagers pour recueillir leurs commentaires sur ces composants et lancer des travaux d'amélioration.
Sur le RIE, des critiques s'élèvent pour pointer le manque de flexibilité de cet outil. Va-t-il évoluer pour s'adapter aux attentes des projets modernes, menés sur des cycles plus courts ?
Ce n'est pas un réseau statique, il évolue continuellement pour prendre compte les besoins des utilisateurs. N'oublions pas que le RIE offre 14 000 points de présence sur le territoire, avec des évolutions permanentes. Nous cherchons aujourd'hui à automatiser les processus et à outiller les équipes pour le rendre plus flexible. Au cours des trois prochaines années, plusieurs dizaines de millions d'euros seront investis dans cet outil, pour lui apporter davantage de flexibilité.
Concernant l'usage du cloud par l'Etat, une doctrine, dite cloud au centre, a été établie voici près de deux ans. Comment l'accompagner au mieux et développer les usages sur le terrain ?
Cette doctrine fait le choix du cloud par défaut pour tous les nouveaux services numériques de l'Etat et s'appuie sur deux cloud interministériels (Pi à l'Intérieur et Nubo à Bercy, NDLR), complétés par les offres du marché dont certaines sont labellisées SecNumCloud. Il faut désormais accompagner les ministères dans le développement des usages. En plus d'avoir constitué une communauté d'experts du cloud provenant de différents ministères, la Dinum opère ainsi un guichet cloud doté de 10 M€ sur trois ans -issus du Fonds de transformation de l'action publique (FTAP) - visant à financer à 50% les projets ministériels sur le cloud. Je crois beaucoup à la capacité de ces nouveaux projets à faire progresser l'offre privée et à accompagner le développement des cloud interministériels.
Comment allez-vous accompagner le développement des usages de la donnée au sein de l'administration ?
Là encore, nous opérons un guichet FTAP doté de 10 M€ afin de favoriser les usages, c'est tout l'objectif de ce fonds porté par le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques d'améliorer la qualité des services publics et de renforcer l'efficacité et l'efficience de l'action publique. Et la Dinum va se doter d'infrastructures dédiées et d'un Datalab, voué à l'accélération des projets data. Car ce sont des initiatives qui requièrent un appui spécifique, sur des sujets juridiques, sur des compétences pointues ou sur des infrastructures particulières.
Avez-vous commencé à tester le potentiel des IA génératives dans la fonction publique ?
C'est un sujet que nous examinons en ce moment. Et, sur la base de modèles Open Source, nous allons lancer une première expérimentation très concrète sur le sujet, en partant des bénéfices que nous pouvons en retirer. Un premier projet, visant à construire un outil d'appui aux agents publics, va être porté par une start-up d'Etat.
Quels moyens vont être consacrés par l'Etat aux missions que vous entendez remplir et qui figurent dans votre feuille de route ? Des informations de presse font état d'un budget de la Dinum raboté de 40%...
Ces informations sont fausses ! En 2023, le budget d'intervention de la Dinum progresse de 30%. Et à ce budget opérationnel, il faut ajouter les fonds que nous gérons au travers de cinq guichets du FTAP, totalisant 25 M€. Par ailleurs, sur les effectifs, nous avons obtenu un arbitrage favorable, avec des effectifs qui vont passer de 180 ETP fin 2022 à 220 en 2024, soit un accroissement de 40 agents. Une progression qui est en adéquation avec nos nouvelles missions et avec notre ambition en tant qu'opérateur de services numériques mutualisés.
Article rédigé par
Reynald Fléchaux, Rédacteur en chef CIO
Suivez l'auteur sur Twitter
Commentaire
INFORMATION
Vous devez être connecté à votre compte CIO pour poster un commentaire.
Cliquez ici pour vous connecter
Pas encore inscrit ? s'inscrire