Stéphane Rousseau (Eiffage) : « Nous sommes en train de découvrir des métiers au croisement IT/contrôle de gestion/achats »


Transformer la DSI pour innover en business
Le métier veut du neuf. La direction générale veut de l'innovation. Mais le quotidien doit toujours être assuré. Le DSI doit donc à la fois servir l'innovation globale de son entreprise, en être un moteur, mais aussi savoir transformer l'organisation de son propre service. Démonstration au travers...
DécouvrirStéphane Rousseau, DSI du groupe Eiffage, détaille ici la stratégie IT de son entreprise répartie sur des milliers de sites. Le cloud, le collaboratif et la réalité virtuelle s'y font des places certaines et contribuent à une révolution numérique en cours dans les pratiques quotidiennes, notamment grâce à Office 365. Mais sans oublier des fondamentaux comme l'optimisation des ressources et la sécurité, avec PRA testé pour de bon.
PublicitéCIO : Comment est organisée la DSI du groupe Eiffage ?
Stéphane Rousseau : Notre groupe est organisé en quatre branches [voir encadré] avec des milliers de sites. Par principe, le BTP est très local. Nous opérons ainsi des milliers de chantiers chaque année, pas seulement de grands ouvrages comme le Viaduc de Millau mais aussi des chantiers bien plus modestes.
Mais, par contre, notre DSI est aujourd'hui complètement centralisée. Nous l'avons voulu ainsi en 2006 à l'occasion de la mise en chantier d'un ERP groupe unique, en l'occurrence PeopleSoft intégré par CSC. La DSI a alors fédéré les IT des branches. De ce fait, aujourd'hui, il n'existe plus de forces informatiques dans les branches en dehors de référents et, bien entendu, de maîtrises d'ouvrages.
La DSI a donc, bien sûr, une activité groupe mais aussi des activités pour les branches, parfois avec des impacts métier directs. Par exemple, nous avons développé pour notre activité de promotion immobilière une application de réalité virtuelle permettant de choisir l'équipement et l'aménagement des ventes en état futur d'achèvement. Nos clients n'achètent plus sur plan mais en immersion. Nous sommes aussi en train de réaliser un logiciel pour piloter le pesage des camions sortant de nos carrières ou un autre gérant l'éclairage public d'une ville. Nous avons une certaine taille qui nous permet de mener des projets ambitieux mais aussi pour disposer de capacités suffisantes mutualisées. Par exemple, certains applicatifs ont été partiellement recyclés dans d'autres activités. Je pense au logiciel mobile pour gérer la maintenance des lignes TGV qui a été partiellement réutilisé pour la maintenance des éclairages publics. Nos équipes sont communes, sans silo.
CIO : Comment gérez-vous vos infrastructures et leur pérennité ?
Stéphane Rousseau : Nous avons bien sûr une paire de datacenters redondants, etc. Je suis arrivé à l'été 2014 et je voulais faire un test de PRA. A l'époque, on m'a dit que tout n'était pas prêt. J'y suis revenu plusieurs fois et, fin 2016, on a fait un vrai test de PRA avec aller-retour.
Aujourd'hui, la notion de PRA est toujours intégrée dans tous les projets, avec un budget dédié prévu. C'est un point sur lequel nous sommes de plus en plus audités. La gestion de crisé doit être anticipée, planifiée, décrite et son efficacité prouvée. La gestion de crise IT doit en plus être totalement intégrée dans la gestion de crise de l'entreprise dans sa globalité.
CIO : Vous avez cependant recours à du SaaS, par exemple Microsoft Office 365... L'avez-vous installé dans un hébergement dédié ?
PublicitéStéphane Rousseau : Non. Nous utilisons Office 365 dans le cloud public. Nous avions Exchange Online depuis un moment ainsi qu'une implémentation dans une ferme locale de SharePoint. Et on se posait la question d'évoluer vers Office 365 depuis un certain temps.
Chez nous, il existe des milliers de sites -comme les chantiers- où des gens font le même métier mais ne se connaissent pas. Nous avons donc déployé, dans Office 365, Yammer afin de faciliter le partage de bonnes pratiques. Et les professionnels sont parfois surpris d'avoir rapidement une réponse à une question, grâce à un pair. Office 365 est en train de transformer l'entreprise. La DSI a réalisé un « Office 365 Tour » avec des stands dans différents locaux pour parler des outils et de leurs usages. Aux différentes cérémonies de voeux des branches, les dirigeants de ces branches parlent d'Office 365 ! Les personnels sont ravis d'avoir au bureau des outils aussi bons qu'à la maison ! C'est, ne nous en cachons pas, aussi un sujet de marketing de la DSI.
Quant à Sharepoint, c'est pour nous un moyen de développer de nombreuses applications métiers en mode PaaS.
CIO : Vous avez aussi adopté le SaaS Workday. Pour quelle raison ?
Stéphane Rousseau : Nous utilisons PeopleSoft mais pour notre gestion. Nous sommes d'ailleurs en train de le déployer dans des filiales étrangères. Par contre, pour les nouveaux process, nous ne voulions pas les développer sur PeopleSoft. Nous utilisions pour notre paye Arcole, un produit en voie d'obsolescence qui était installé sur de vieilles instances par branche. Nous avions donc, de toutes façons, besoin de relancer un appel au marché.
Mais notre Président voulait aller bien au delà de la paye, avoir une véritable gestion des talents, des mouvements, et des autres process RH. Nous avons donc voulu remplacer notre logiciel de paye par une gestion complète des ressources humaines. Nous avons lancé une consultation dans ce sens.
Pour la paye elle-même, nous avons choisi un service managé, GXP Link chez ADP. Et, pour la GRH, nous avons donc opté pour Workday à cause de son déploiement simple (c'est du SaaS) et de son ergonomie moderne avec un usage simple pour les managers. Nous sommes donc là doublement dans le cloud avec une circulation de données de cloud à cloud.
CIO : Est-ce que la multiplication des clouds ne met pas en danger la DSI ?
Stéphane Rousseau : Absolument pas. C'est une autre manière de gérer les projets, les recettes, etc. Cela implique des besoins de nouvelles compétences, un mode de travail plus agile. Mais la DSI n'est pas déresponsabilisé du tout. Elle demeure l'intégrateur de l'ensemble.
Je suis un DSI informaticien. Je viens de la technique. Et je suis donc tout à fait persuadé de l'importance des infrastructures. Mais le cloud fait partie de l'infrastructure. Nos datacenters sont installés sous forme de cloud privé. Et il n'y a pas d'opposition mais un continuum entre notre cloud privé, le cloud hybride, le cloud public, le SaaS...
Nous avons aussi mis en place une sauvegarde dans le cloud Azure au lieu de baies propres. C'est moins cher, plus sécurisé et plus flexible. Nous utilisons aussi le cloud pour du développement afin de bénéficier d'infrastructures flexibles. Parfois, le développement spécifique est moins cher que l'achat d'un logiciel couplé à de l'intégration. Des DSI sans développeur, c'est tout simplement fini.
Dans l'avenir, nous allons regarder attentivement le cloud brokering pour choisir à la volée entre Azure, AWS, Google... Il est indispensable d'être agnostique en matière de cloud afin de garder la maîtrise de ec que l'on fait. Et, de ce fait, nous sommes en train de découvrir des métiers au croisement de l'IT, du contrôle de gestion IT et des achats IT.
CIO : Le cloud brokering vise-t-il à réduire les coûts ?
Stéphane Rousseau : La question des coûts est fondamentale. Comme m'a dit mon président : « réduire les coûts de 15 %, tout le monde peut le faire. Mais -40 % ou -60 %, c'est une rupture ». Et c'est un vrai indicateur de la performance de la DSI.
Vous avez remarqué que Eiffage n'est pas une banque. Notre geste métier n'a rien d'informatique. La DSI est donc un service support même si elle régalienne sur des sujets comme la paye, l'ERP ou la sécurité. Bien entendu, la DSI est aussi une source de propositions et de progrès technologique auprès des métiers, ce qui accroît notre visibilité auprès d'eux.
Par exemple d'informatique arrivant de plus en plus dans les métiers, on peut citer le cas d ela maintenance des voies ferrées. Les agents qui marchent le long des voies avec un carnet, c'est terminé. Maintenant, ils ont des tablettes qui leur permettent de prendre des photos géolocalisées.
CIO : Avez-vous un autre exemple de transformation de vos métiers par le numérique et le collaboratif ?
Stéphane Rousseau : Nous avons développé « Safety Force ». C'est une application mobile qui s'adresse à tous les collaborateurs du groupe. L'objectif est de sensibiliser tout le monde dans l'entreprise aux risques sur les chantiers. Chacun est responsable de la sécurité. Si je viens, moi DSI, sur un chantier, peux signaler un mauvais cheminement piéton, un trou non-protégé, etc. L'application ne prend pas de photo pour des raisons réglementaires. Ensuite, il y a une évaluation du chantier sur un mode Trip-Advisor avec géolocalisation, partage social... Puis les informations sont consolidées, ce qui permet de mettre à l'honneur les meilleurs chantiers. Il y a 3500 utilisateurs actuellement. La vocation de Safety Force est positive : il s'agit d'améliorer la sécurité. Ce n'est pas un audit de sécurité mais un accompagnement du progrès, une promotion des bonnes pratiques.
Nous développons d'autres applications mobiles dans d'autres cadres métiers mais avec le même genre de logique. Par exemple, nous une application pour gérer le workflow de factures. Nous faisons du développement en natif à chaque fois.
CIO : Vous avez participé à l'Open CIO Summit 2017. Quelle est votre stratégie Open-Source ?
Stéphane Rousseau : L'open-source est une belle promesse, une façon de reconquérir notre indépendance face aux éditeurs. Nous n'avons pas de stratégie déclarée de type « open-source first » chez nous pour l'instant. Mais l'open-source fait clairement partie de l'éco-système de façon incontournable. Il n'existe plus de réticences ou de craintes spécifiques concernant l'open-source. C'est un modèle qui s'est imposé dans les operating systems (Linux, Android), la supervision (Nagios), le Middleware (Apache Camel ou Tomcat), etc. Pour l'instant, nous ne montons pas encore de logiciels open-source au contact des utilisateurs finaux.
Les risques principaux sont identiques dans l'open-source et dans le logiciel propriétaire : la pérennité, la flexibilité... Mais je suis persuadé que l'open-source est un vrai champ d'innovations grâce à la richesse et la diversité des communautés, sans l'attitude protectionniste des éditeurs. Les freins, actuellement sont d'abord la réticence des éditeurs à certifier des environnements open-source (typiquement la base de données PostgreSQL) et ensuite la compréhension des modèles (ce n'est pas un simple acte d'achat et il faut être plus structuré).
CIO : Avez-vous d'autres grands chantiers en cours ou prévus dans les prochains mois ?
Stéphane Rousseau : Nous sommes en train de réaliser une gestion de chantiers allant de l'étude de prix / chiffrage à la constatation des coûts et la gestion budgétaire. Le chef de chantier bénéficiera d'une gestion dématérialisée globale des engins de chantier, de la consommation de fournitures (bitume, granulats...) et du personnel.
Pour les métiers à forte conception (construction métallique...), nous développons une maquette numérique avec un suivi unique de la conception à la production et à l'installation (de type BIM) sur un mode PLM. Nous nous basons pour cela sur le logiciel de maquette numérique 3D TeamCenter de Siemens.
CIO : Nous n'avons pas encore parlé de recrutement. Rencontrez-vous des difficultés en la matière ?
Stéphane Rousseau : Nous avons bien sûr besoin de compétences, mais pas seulement sur des profils ingénieurs, aussi sur des profils plus intermédiaires. Il est tout de même ennuyeux que l'accès à la ressource humaine redevienne difficile malgré des millions de chômeurs. Le secrétaire d'Etat Mounir Mahjoubi a demandé que nous poussions davantage nos formations comme celles de receteur, d'assistants, d'installateurs, pas seulement celles destinées aux experts de haut niveau.
Bien entendu, la féminisation permet d'éviter de se couper de 50 % des ressources humaines disponibles. Or, actuellement, il y a une régression dans les filières numériques avec environ 10 % de femmes.
Donc, si je dois conclure par un message, c'est : « venez dans le BTP ! L'emploi intéressant n'est pas un monopole des start-ups ! »
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
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