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Stéphane Deux (Europcar Mobility Group) : « le marché de la mobilité est passionnant et ne peut que se digitaliser »

Stéphane Deux (Europcar Mobility Group) : « le marché de la mobilité est passionnant et ne peut que se digitaliser »
Stéphane Deux, DSI groupe d’Europcar Mobility Group, doit accompagner la transformation digitale d’un spécialiste de la location de véhicules en Europe devenu acteur global de la mobilité.
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°161 !
La transformation numérique n'est pas un vain mot

La transformation numérique n'est pas un vain mot

Mettre l'IT au service du business, assurer l'alignement stratégique de l'informatique, mettre en oeuvre une gouvernance IT alignée sur le business... Vous avez entendu mille fois ce genre d'injonctions. Même si celles-ci peuvent paraître surannées, elles n'en demeurent pas moins des nécessités....

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Le DSI groupe d'Europcar Mobility Group, Stéphane Deux, revient ici sur le rôle du numérique dans une révolution en cours de la mobilité. Et il détaille les transformations d'un groupe présent dans 130 pays qui ne peut plus se contenter de louer des voitures, avec la digitalisation de son business, de son organisation et de ses modes de travail ainsi que le développement de l'IoT. Bien entendu, le RGPD ne pouvait pas non plus être passé sous silence.

PublicitéCIO : Le groupe Europcar s'est récemment rebaptisé Europcar Mobility Group et vous venez de déménager. Pourquoi ce changement de nom est-il si important ?

Stéphane Deux : Nous voulions bien évidemment conserver le lien avec notre marque historique, Europcar, qui assure encore une part dominante de notre chiffre d'affaires mais nous voulions aussi marquer le fait que, désormais, nous disposons de nombreuses marques et de plusieurs modèles économiques, les nouveaux modèles étant en forte croissance. Aujourd'hui, dans 133 pays, Europcar Mobility Group propose bien sûr de la location de voitures classique notamment au travers de la marque Europcar. Mais nous disposons également d'un modèle plus low-cost sous les marques Goldcar, acquise l'an dernier, et InterRent que nous avions créée en 2014. Nous disposons également d'une Business Unit dédiée à la location d'utilitaires ainsi qu'une Business Unit International coverage dédiée à nos franchisés notamment.

Enfin, nous avons une Business Unit baptisée « New Mobility » [Nouvelles Mobilités] qui regroupe des offres d'auto-partage, des services chauffeur et de la location de voitures entre particuliers (peer-to-peer) Nous avons également pris des participations dans des plates-formes multimodales visant à organiser de manière optimale un trajet d'un point A à un point B, en comparant les moyens de transports possibles (train, bus, voitures de location...). Au travers de diverses marques, souvent des acquisitions de start-ups dans plusieurs pays, nous avons enrichi notre modèle historique avec des modèles complémentaires. Nous voulons ainsi coller aux évolutions du monde de la mobilité et aux nouveaux usages de nos clients. Cette stratégie devait se traduire par un changement de nom.

Il faut savoir que, en Europe, 85 % des trajets se font en véhicules dédiés. Cela signifie que trains, voitures louées ou partagées, etc. se partagent les 15 % restants. Alors, quelle stratégie faut-il adopter ? Se battre entre acteurs du 15 % ou bien tenter de « grignoter » les 85 % ? Nous savons que dès qu'une personne habituée à un véhicule dédié accepte de prendre un transport alternatif, il va plus facilement accepter d'en utiliser plusieurs autres. A ceci s'ajoute une tendance sociétale forte : l'abandon de la possession au bénéfice de l'usage. Posséder une voiture (ou un autre bien) n'est plus vécu comme nécessaire : ce qui compte est d'en disposer quand on en a besoin, souvent sous un modèle de type locatif.

CIO : Et vous voyez-vous acteurs du véhicule autonome ?

Stéphane Deux : La prochaine disruption, ce sera le véhicule autonome, Aller d'un point A à un point B en véhicule autonome prendra sans doute un de temps. Dans un premier temps, sur le modèle du régulateur de vitesse qui existe déjà, il y aura de plus en plus de fonctions de conduite autonome dans des véhicules ordinaires. Tous les constructeurs automobiles sont en train de préparer la sortie de ces fonctions.

PublicitéDonc, oui, mais cela va prendre du temps et beaucoup d'acteurs se positionneront. Personne ne sait ce que cela va donner. Mais il est important de se poser les bonnes questions dès aujourd'hui.

Le marché de la mobilité est passionnant et ne peut qu'être de plus en plus numérique, comme nous allons le voir.



CIO : Avant cela, il est nécessaire de revenir sur la structure de votre groupe et l'organisation de son IT. Votre SI est-il centralisé ou réparti, avec ou sans autonomie des divisions locales ?

Stéphane Deux : Je pilote la division IT de l'ensemble du groupe. Notre informatique est traditionnellement centralisée. Les modules transverses (PGI, SIRH, etc.) ont une cible SI unique et les sociétés sont petit à petit intégrées. Pour héberger notre SI, pour ce qui n'est pas dans le cloud, nous disposons de deux datacenters répliqués pour l'ensemble du monde, situés pour l'un au Nord de Paris, pour l'autre au Sud, sur deux bassins électriques et télécommunications différents et à une distance l'un de l'autre suffisante. Notre support est pour les deux-tiers assurés en Pologne, pour un tiers en Australie. Nous sommes en 24/7 « follow the sun ».

Concernant les métiers, nous assumons une complexité organisationnelle liée au développement du business. Chaque pôle a son propre plan de développement. Les SI suivent cette organisation. Nous avons globalement quatre SI métiers : un pour Europcar (géré à Paris), un pour le Low Cost, un pour les Nouvelles Mobilités et un pour Buchbinder, une marque de location de véhicules en Allemagne, qui n'est pas vouée à s'internationaliser. Quand nous avons acquis Goldcar, nous avons procédé à une intégration inversée : Goldcar (dont le siège est à Alicante en Espagne) va absorber, du point de vue SI, InterRent (dont le siège était à Madrid). L'opération est terminée pour le Portugal et le Royaume-Uni et s'achèvera d'ici la fin de l'année pour l'Italie, l'Espagne et la France. De plus, un loueur de voiture est aussi un e-commerçant, le record sur notre site Europcar est de 150 000 demandes d'offres en une minute.

CIO : Et le SI Nouvelles Mobilités ?

Stéphane Deux : Au départ, ce pôle a été largement constitué par des rachats de start-ups diverses. Nous avons décidé de construire une plate-forme unique à Barcelone, ville très digitale où il est facile de faire venir des talents. Cette plate-forme, « Business as a Service », va constituer le back-office de tous les services de nouvelles mobilités. C'est aussi à Barcelone que nous menons les intégrations des SI des sociétés de ce pôle, y compris Scooty, le service de scooters partagés récemment racheté en Belgique.

Qui dit plate-forme unique dit identifiant client unique. Nous aurons ainsi, à terme, trois pôles SI (en dehors de Buchbinder) : Paris (Europcar), Alicante (Low Cost) et Barcelone (Nouvelles mobilités).



CIO : Mais plusieurs SI métiers n'auraient-ils pas intérêt à bénéficier de cet identifiant client unique ?

Stéphane Deux : Tout à fait. Les architectes IT Europcar travaillent avec leurs homologues de Barcelone pour mettre en place un service unique d'identifiant client : le Customer Privacy Center. Ce service gérera bien sûr l'identification mais aussi les consentements, en application du RGPD. Cette gestion unifiée garantira le respect des volontés de nos clients afin de développer leur confiance.

Il ne faut pas oublier que la confiance est fondamentale dans notre métier.

CIO : Nous sommes dans vos nouveaux locaux en flex office. Qu'est-ce que cela signifie du point de vue IT ? Comment s'est déroulé le déménagement ?

Stéphane Deux : Nous avons une trajectoire vers un digital workplace 100 % Google. C'est le fondement du flex office qui suppose une digitalisation totale pour une agilité totale. Au-delà de la non affection d'un bureau dédié, cela signifie aussi une possibilité de travail ubiquitaire : le lieu n'a plus d'importance donc le travail peut être à distance. Même notre Présidente du Directoire n'a pas de bureau fixe.

Des grandes entreprises en flex office, vous en trouvez un certain nombre. Des entreprises 100 % Google, aussi. Des entreprises réunissant les deux, à notre échelle et au Siège, il y en a sans doute peu. Nous étions déjà fortement centralisés, ce qui a pu faciliter la bascule.

Le déménagement a été, du point de vue IT, une non-question. Tant qu'il y a du réseau, vous avez vos données.

CIO : Un point n'a pas encore été abordé : la data. En particulier, avant d'intégrer des véhicules autonomes, comment intégrez-vous les véhicules connectés et, plus généralement, l'IoT ?

Stéphane Deux : Vous avez compris que notre stratégie digitale se décline en B2B, B2C, B2E (Business to Employee : digital workplace, digital station), Big Data et IoT.

Pour le B2C, il s'agit de notre projet phare "Click & Go" qui consiste à Digitaliser sur Mobile tout le Parcours Client, de la réservation à la récupération de la voiture et au-delà.
Pour le B2B, nous avons déjà créé un portail ouvert à nos Clients pour générer leur compte en quelques clics, ainsi qu'un catalogue de services digitaux pour nos Commerciaux.
Le programme "Station Digitale" consiste à porter sur mobiles toutes les opérations à réaliser par nos Collaborateurs, et à basculer sur Chromebooks d'ici 2020 100 % des postes de travail non mobiles.

Concernant le Big Data, que ce soit Clients ou Véhicules, nous devons d'abord intensifier la collecte des données et améliorer la qualité des données par une gouvernance très stricte de la Data.

Pour ce qui est de l'IoT, c'est à dire surtout la voiture connectée, c'est à la fois dans notre stratégie et dans nos besoins. Quand on achète 400 000 véhicules par an et que ceux-ci sont de plus en plus souvent connectés d'origine, en sortie d'usine, le sujet est une évidence. Sur certains modèles économiques, comme le car-sharing, l'IoT est même indispensable, ne serait-ce que pour, par exemple, accéder au véhicule sans clé physique. Autre exemple : pour vérifier, par géolocalisation, que le véhicule est bien à l'endroit indiqué par le client afin d'éviter d'aller le chercher à un mauvais endroit, ce qui a un coût.

Nous avons réalisé un démonstrateur sur l'Irlande (République et Ulster) en connectant 100 % de notre parc de véhicules. Nous avons identifié une soixantaine de cas d'usage de l'IoT. Nous envisageons par exemple des détections d'accidents via les accéléromètres, la géolocalisation des véhicules pour contrôler que celui-ci ne sort pas de la zone prévue, etc. Là encore, la transparence totale sur les usages sera la base de la confiance de nos clients.

Nous travaillons sur une plate-forme de collecte unique de la data de tous les véhicules, quelles qu'en soient les marques, ainsi que les données d'équipements embarqués ajoutés. Cette plate-forme unique permettra ensuite d'exposer des services communs.

La prochaine étape, c'est la digitalisation des stations [agences de location de voitures, NDLR]. Elles basculeront, d'ici 2020, sur des chromebooks.



CIO : Et sur les autres programmes ?

Stéphane Deux : Comme je l'ai déjà évoqué, notre projet phare Click & Go vise à digitaliser sur Mobile tout le Parcours Client : gestion du compte y compris permis de conduire, passeport et moyen de paiement, réservation, identification du Client et de la réservation en station via la lecture d'un QR Code, accès rapide au contrat, à la clé et à la voiture, transparence en temps réel au retour du véhicule (niveau d'essence, éventuels dommages, et facture), ainsi que le suivi après location. Progressivement, seront intégrés à ce Parcours Mobile des informations provenant des Véhicules Connectés ainsi que des services accessibles par bornes automatiques.

Un autre sujet me tient à coeur, c'est l'amélioration continue de nos process internes dans une démarche de type Lean Management. En premier il s'agit de corriger les sujets d'irritation Client les plus récurrents avant de s'attaquer au reste. Cette amélioration des process doit s'appuyer sur les collaborateurs. Ils possèdent des smartphones, ils sont donc aptes à contribuer, sur un mode agile, au développement ou à l'amélioration de nos apps, celles qui leur sont destinées.

CIO : Enfin, pour terminer, une question plus générale et personnelle. Pour vous, qu'est-ce qu'un bon DSI ?

Stéphane Deux : La première chose, la priorité numéro un, c'est la légitimité sur les fondamentaux. Il faut une exécution en temps réel des process métier sans incident (e-commerce, SI métier, réseau, cybersécurité, ...). Sans cela, ce n'est pas la peine d'aller plus loin.

En deuxième lieu, il faut accompagner la transformation des business en cumulant une vision métier et une vision de la transformation digitale, efficace et si possible disruptive, en fonction d'abord des besoins métiers et bien sûr des différentes technologies disponibles. Il faut agir en co-construction avec les métiers. Le DSI doit donc être orienté à la fois métier et digital. Aux métiers, on parle usages, pas technologies. Par exemple, on parlera de travail ubiquitaire, de flex office, pas de Google ou de cloud.

Troisièmement, le DSI doit être un bon communicant. J'espère l'être... On ne communique jamais assez de toute façon.

Enfin, il doit bien sûr être un manager qui sait donner du sens à ses équipes, qui s'emploie à généraliser la co-élaboration et le travail en équipe, et qui va chercher les bonnes expertises en s'appuyant sur ses convictions et en oubliant ses certitudes.

Sur le même sujet, la CIOnférence Digital Workplace : transformer l'expérience utilisateur organisée par CIO aura lieu le 25/09/2018 à Paris.

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