Sandrine Lorne, CNAM : « 92% de la relation client passe aujourd'hui par le compte ameli »
Premier service public de France, le compte ameli de l'Assurance Maladie a connu une progression spectaculaire. Sans jamais être imposé. Et en s'inscrivant résolument dans une démarche multicanale, avec l'accueil téléphonique ou en caisses. Sandrine Lorne, qui a piloté ce programme depuis son origine, revient sur cette transformation de la relation client au sein de la CNAM.
PublicitéA la tête de la direction relation clients et marketing de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), Sandrine Lorne a piloté la montée en puissance du compte ameli, qui est aujourd'hui un des tous premiers services publics en France, utilisé par 43 millions de Français. En 2021, 77% des assurés avaient ouvert leur compte en ligne, soit 20 points de plus qu'en 2018. Depuis sa création fin 2007, le compte lui-même s'est beaucoup enrichi, et aligne environ une cinquantaine de services différents aujourd'hui. Cette montée en puissance des téléservices a profondément transformé la relation entre les caisses d'assurance maladie et les assurés.
La directrice de la relation clients et du marketing revient sur la construction des téléservices au sein de la CNAM, confiée à un programme intégré qu'elle dirige, et sur les projets d'évolution du compte ameli, en particulier via l'enrichissement des services, la personnalisation de la relation et une plus grande proactivité.
Pouvez-vous définir les contours du service que vous dirigez et sa place dans l'organisation de la CNAM ?
Sandrine Lorne : La direction relation clients et marketing de la CNAM est une direction opérationnelle qui s'est structurée en trois étapes. Avec d'abord, en 2008, la responsabilité de la maîtrise d'ouvrage sur les outils de la relation client. Puis, la création en 2010-2012 d'un programme intégré réunissant MOE et MOA sur la relation client multicanal. C'est le programme 1, un programme stratégique inclus dans le schéma directeur informatique de 2010, visant à développer les services en ligne avec le compte ameli. Depuis, je suis à la fois responsable hiérarchique d'équipes MOA et MOE et responsable fonctionnelle de toutes les personnes travaillant sur la relation client, y compris des agents des caisses primaires au contact des assurés sur le terrain, ce qui est un vrai plus dans notre domaine. Enfin, depuis fin 2018, j'ai aussi la responsabilité d'un département métier chargé de faire vivre la relation client avec les caisses, sur l'ensemble des canaux. Ce qui inclut la stratégie d'accueil, la relation téléphonique et e-mail, le discours client ainsi que le marketing. Depuis cette période, la direction est la seule à proposer des nouveautés et intervenir sur tous les aspects de la relation client, de la stratégie à l'outillage, et regroupe toutes les personnes travaillant sur le sujet, soit une centaine d'agents auxquels s'ajoutent des prestataires. Nous gérons l'ensemble des outils sur l'ensemble des canaux, à destination de trois publics : les assurés, les employeurs et les professionnels de santé. Avec un focus très fort sur les premiers, car le compte ameli figure dans le périmètre de nos responsabilités.
Dans un organisme comme la CNAM, l'emploi du mot marketing peut surprendre...
PublicitéD'emblée, le postulat a été de considérer que la relation de service aux assurés était challengée car comparée à celle qu'ils entretiennent avec n'importe quelle société. D'où notre volonté de proposer des outils dans les standards du marché, donc une relation client réellement multicanale. Et l'importance, dans notre fonctionnement, du marketing, des statistiques et de la connaissance client. Cette posture a aussi des conséquences sur les plans technique et opérationnel. Nous avons ainsi décidé de placer la fiche client au coeur du système et d'aller de plus en plus vers de la personnalisation et du ciblage. Par exemple, une segmentation clients a été mise en oeuvre autour de 8 profils types, car les attentes des assurés dépendent de leur profil. Enfin, je souligne que le compte ameli n'a jamais été rendu obligatoire. Nous devons donc tout faire pour le rendre attractif, afin d'en favoriser l'usage. La satisfaction des utilisateurs sur les stores d'applications, l'ergonomie des services, les résultats des tests utilisateurs sont, de ce fait, scrutés avec soin.
« Nous avons ainsi décidé de placer la fiche client au coeur du système et d'aller de plus en plus vers de la personnalisation et du ciblage. » (Photo : Bruno Levy)
Votre service intègre MOA et MOE, ce qui était peu courant au moment où cette décision a été prise. Qu'est-ce que cela change à vos yeux ?
Cela a créé une dynamique pour concevoir les services en ligne et mettre en place la relation multicanale. Dans ce genre d'équipe, tout le monde comprend l'objectif commun et reste très proche des utilisateurs. L'autre bénéfice, c'est que les services en ligne ont été développés dans une optique multicanale, et non de façon séparée. Toutes les opérations sur ces services peuvent ainsi être tracées dans notre outil de gestion de la relation client, baptisé Medialog+. Autrement dit, les téléservices ont été développés en conservant des liens étroits avec les services historiques développés par les caisses. Ainsi un agent d'une caisse peut visualiser ce qu'a fait un assuré dans son compte ameli.
L'intégration de la MOE et de la MOA au sein d'un programme unifié nous permet, enfin, de travailler dans l'esprit des méthodes agiles, avec des services construits par itérations successives. Les téléservices, l'application mobile, notre outil de gestion de la relation client (GRC) Medialog+ sont gérés via ces principes. Pour le compte ameli par exemple, nous avons mis en place une équipe projet pour les nouveaux développements et une équipe produit pour les services en évolution et les corrections. Même si, sur les mises en production, nous ne sommes pas, la plupart du temps, dans cette logique, du fait des architectures sous-jacentes. Quand un de nos services attaque les bases de back-office internes par exemple, nous savons qu'il va falloir en passer par une intégration lourde.
Quels choix d'architecture avez-vous opérés pour développer vos services ?
Les services du compte ont été développés dans une architecture permettant de factoriser les développements. Les composants d'un service conçus pour le Web sont ainsi réutilisés au maximum pour l'application mais aussi sur les bornes multiservices, voire directement dans l'outil de gestion de la relation client. Nous travaillons dans une architecture urbanisée, axée sur un middle office réutilisable, connecté à nos différents canaux d'exposition et assurant le lien avec les services back-office. C'est cette architecture qui démultiplie nos capacités et nous assure une cohérence transverse.
Avant le lancement du programme 1, les données relatives à la relation client étaient dispersées. La première étape a été de créer une vraie fiche client, réellement structurée et associée à un système statistique. C'est ce qui a donné naissance à Medialog+, offrant à la fois une traçabilité sur les contacts en multicanal et une interface unique sur la situation client, issue de données que renferment d'autres systèmes. C'est sur cet outil que s'interfacent l'ensemble des canaux. A côté de Medialog+, nous avons développé une GRC analytique permettant une exploitation statistique de l'ensemble de ces données, afin de comprendre le comportement client et piloter le multicanal. L'objectif est de nous assurer que nos services soient toujours au rendez-vous des attentes de la population. Par exemple, nous suivons de très près le taux d'itération multicanal, soit notre capacité à répondre en une fois aux questions des assurés, ou encore le taux de dématérialisation - qui s'élève par exemple à 97% pour l'attestation de droits. Ces nombreuses statistiques nous amènent à un pilotage assez fin sur l'ensemble des canaux.
Schéma général de fonctionnement de la relation multicanale au sein de l'Assurance Maladie.
Le suivi des indicateurs nous sert ainsi à piloter l'offre de services des caisses. En 2022, pour la première fois, afin de réduire les écarts entre les unes et les autres, nous leur avons toutes demandé d'atteindre la moyenne observée l'année précédente sur sept indicateurs clefs de la stratégie multicanale. Avec un bonus en cas de dépassement et rien en dessous, plutôt qu'un pourcentage d'atteinte par rapport à une cible calculée sur le niveau observé dans chaque caisse. Et ça a fonctionné ! L'Assurance Maladie peut s'appuyer sur une réelle culture de l'indicateur dans les caisses, en appui de la stratégie.
Pour que ce dispositif fonctionne, le référentiel de données est clef. Notre base d'e-mails ou celle des numéros de téléphone est, par exemple, unique et liée au compte ameli dans tous les cas où un assuré a ouvert celui-ci. Ces règles assurant l'unicité des données de référence ont été pensées dès le début du programme. En parallèle, nous avons ouvert notre identité numérique via FranceConnect ainsi que des API de données, comme celle des droits. Si ces dernières restent peu utilisées à ce jour, nous sommes aujourd'hui le premier ou second fournisseur d'identités FranceConnect, devant ou derrière les impôts en fonction des périodes.
Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?
Nous avons commencé à capter les courriers locaux que les caisses envoient aux assurés et à les rerouter soit vers le compte ameli, à chaque fois qu'un assuré dispose de ce service, soit vers des rotatives pour impression nationale si ce n'est pas le cas. Nous développons également la prise de rendez-vous, une fonction accessible via le compte ameli et gérée dans Medialog+. Ces rendez-vous sont confirmés par SMS directement via l'outil. Et un autre outil, dédié à la gestion de file d'attente, facilite la venue en accueil de caisses, l'agent ayant directement à l'écran la fiche de l'assuré qui s'est identifié à l'entrée et qui va se présenter dans son box. Par ailleurs, les agents gèrent de plus en plus de rendez-vous téléphoniques, toujours via le compte ameli et Medialog+. Des scénarios qui ne seraient pas envisageable sans notre organisation en mode programme, car ils impliquent un grand nombre d'interactions entre différents outils.
Nous avons également la volonté d'élargir le dépôt de pièces directement dans le compte Ameli. Par exemple afin de réunir tous les documents en amont d'un rendez-vous. Nous avons essayé, pendant la période post-Covid, de proposer un service de dépôt plus générique, pour l'envoi des feuilles de soin papier. Mais, comme l'outil était moins cadré, les assurés y ont glissé toutes sortes de documents. Ce qui, compte tenu de nos volumes de traitement, s'est traduit par de multiples transferts à l'intérieur d'une caisse, mais aussi entre caisses. Nous allons donc continuer à associer dépôt de pièces et téléservices pour conserver un cadre assurant la qualité de traitement des demandes et l'orientation d'emblée des documents vers les bonnes corbeilles de traitement.
Mais ce qui est réellement nouveau au sein de la CNAM et que nous développons de plus en plus, c'est une connaissance des assurés afin d'aller au-devant de leurs demandes, dans une démarche proactive et personnalisée. Les rapprochements de données nous servent ainsi à faire de la communication égrenée, permettant par exemple de confirmer le traitement du dossier d'un assuré par SMS, mais aussi des campagnes de masse, intégrant une dimension de personnalisation. Nous voulons développer la communication sortante pour éviter les situations d'urgence.
« Nous travaillons sur une refonte technologique du compte ameli, pour garantir flexibilité, personnalisation et robustesse dans un contexte où le nombre de contacts a beaucoup progressé » (Photo : Bruno Levy)
Cette trajectoire est-elle associée à des objectifs d'efficience ?
Bien sûr, mais ce n'est pas le premier objectif. Le but n°1 du programme consiste à améliorer la qualité de la relation client, via le développement des services en ligne mais aussi via tous les canaux. De fait, cela crée de l'efficacité, mais pour y parvenir, nous avons investi sur tous les canaux, y compris l'accueil en caisse. Car je ne pense pas qu'il soit possible de faire 100% des démarches en ligne. Pour les dossiers complexes nécessitant de nombreuses pièces justificatives, un rendez-vous en caisse est plus efficace qu'une procédure dématérialisée. Globalement, 92% de la relation client passe actuellement par le compte ameli, mais le nombre de personnes affectées à la relation avec les assurés n'a pas varié car les questions qui demeurent sont plus complexes et nécessitent un accompagnement. Nous voulons jouer sur la complémentarité des canaux.
Sur le compte ameli, les usages ont donc beaucoup progressé. Est-ce que cela vous conduit à en revoir l'architecture technique sous-jacente ?
Nous travaillons actuellement sur une refonte technologique du compte, pour garantir flexibilité, personnalisation et robustesse dans un contexte où, effectivement, le nombre de contacts a beaucoup progressé. Nous sommes, en termes d'usage, parmi les tous premiers services publics en ligne de France. Par exemple, l'outil de gestion d'e-mail est le même que celui qu'utilisent des banques ou d'autres services publics. Mais nous gérons en un mois le volume de courriels que reçoivent ces sociétés en un an ! C'est une complexité inhérente à notre activité, comme le sont les questions de sécurité, de gestion de données personnelles ou encore d'interfaçage au back-office. Car ce dernier n'a pas une architecture orientée client et n'avait pas été développé en nouvelles technologies. Par ailleurs, de larges pans de ce back-office n'opèrent pas à un niveau national ; historiquement, chaque région disposait en effet de son propre SI. Donc notre DSI gère un nombre très important d'interfaces sur un SI qui n'était pas ou n'est pas encore en architecture web services. La conséquence ? Développer un nouveau téléservice de bout en bout passe très souvent par la réécriture de certaines parties du back-office ou la mise en place des passerelles pour exposer ou injecter des données. Nous ne sommes clairement pas une start-up.
Une refonte du back-office est d'ailleurs en cours, sur les indemnités journalières et les remboursements de soins. Ce sera une avancée majeure pour le suivi des dossiers, qui reste incomplet actuellement. Dans le compte, actuellement, des notifications de l'avancée d'une demande existent déjà, mais nous voudrions en proposer bien davantage et nous montrer plus proactifs, par exemple pour demander une pièce manquante afin de traiter un dossier. Mais pour ce faire, nous avons besoin d'applications back-office orientées événements.
Article rédigé par
Reynald Fléchaux, Rédacteur en chef CIO
Suivez l'auteur sur Twitter
Commentaire
INFORMATION
Vous devez être connecté à votre compte CIO pour poster un commentaire.
Cliquez ici pour vous connecter
Pas encore inscrit ? s'inscrire