Réussir sa transformation digitale : quatre grands groupes témoignent - partie 1/2


De l’industrie aux services, les leviers de la transformation digitale
Transformation digitale ou transformation numérique ? La question ne porte pas sur le vocabulaire mais sur le périmètre de la transformation. Nous vous proposons dans ce CIO.focus d'en avoir la démonstration au travers de témoignages de DSI d'entreprises aussi bien industrielles que de services....
DécouvrirLa transformation digitale est aujourd'hui bien entamée dans les entreprises. Nous avons souhaité faire un point d'étape, en nous intéressant au chemin déjà accompli. Issus de l'industrie, des services financiers ou de la distribution spécialisée, plusieurs acteurs européens ont accepté de partager l'expérience acquise lors des premières étapes de leur transformation. Partie 1/2.
PublicitéDans les années 2010, l'arrivée de nouveaux acteurs aux modèles entièrement basés sur des plateformes numériques change complètement la relation avec les clients finaux. Le digital rebat les cartes, et aucun secteur d'activité n'y échappe. Toutes les entreprises, hormis celles nées avec cette culture, se retrouvent confrontées aux mêmes choix : se transformer, ou prendre le risque de se faire tôt ou tard devancer par un concurrent qu'elles n'auraient pas vu venir. Face à ces concurrents agiles, qui disposent d'une connaissance privilégiée sur les attentes des clients et savent la mettre à profit, la transformation digitale est alors sur toutes les lèvres. À cette époque, la plupart des grands groupes (pour ne pas dire tous), lancent des initiatives visant à digitaliser leur organisation. En 2020, où en est-on ? Avec le recul, quels sont réellement les facteurs qui comptent pour le succès ?
Dans des entreprises d'envergure internationale, établies de longue date, la transformation digitale se heurtait à différents obstacles : une culture interne façonnée par l'histoire, la présence de silos organisationnels, un legacy important, des facteurs d'échelle qui compliquent la mise en place de démarches agiles... Autant de défis que ces organisations ont dû surmonter pour pouvoir opérer leur mutation. Ce dossier revient sur les parcours de quatre d'entre elles : Michelin, Bosch, Adeo et Edenred.
Transformation digitale ou numérique : de quoi parle-t-on ?
Avant d'entrer dans le coeur du sujet, il convient de préciser quelques fondamentaux. Dans un billet récemment publié sur son blog personnel, Yves Caseau, auteur de plusieurs livres sur l'architecture organisationnelle, par ailleurs DSI du groupe Michelin, présente deux ouvrages consacrés à la transformation digitale. Il reprend à cette occasion une distinction entre la transformation digitale et numérique, établie par les auteurs de « Designed for Digital : How to Architect Your Business for Sustained Success ». Pour ces derniers, la transformation numérique consiste à utiliser la technologie pour optimiser l'efficacité opérationnelle de l'entreprise, tandis que la transformation digitale cherche à créer de la valeur pour les clients, en mettant la technologie au service de l'offre. « La transformation digitale n'est pas la numérisation de l'entreprise, c'est une transformation stratégique qui s'ajoute à la nécessaire optimisation par le numérique », écrit Yves Caseau.
Autre considération importante, évaluer la réussite ou l'échec d'une transformation digitale est un exercice délicat. D'une part, les indicateurs de succès dépendent étroitement du contexte de chaque organisation, de sa culture initiale et de sa cible, elle-même mouvante. « Le premier défi de la transformation digitale est d'absorber un flux continu de changement. », écrit Yves Caseau, qui prend l'image d'un train en mouvement pour décrire la transformation digitale.
PublicitéD'autre part, dans l'ensemble des cas étudiés, la transformation est toujours en cours. S'il est parfois possible de déterminer à quel moment elle a débuté, les témoins interrogés s'accordent pour dire que la transformation digitale n'a pas vraiment de fin. Un constat ainsi formulé par Yves Caseau : « Le train ne s'arrête pas, la transformation est permanente. La transformation digitale est donc l'histoire d'une adaptation continue ». « En réalité, il s'agit de devenir des entreprises apprenantes, qui ne vont pas arrêter de se transformer. Nous ne savons pas quand ni si la transformation va s'arrêter », souligne Franck Cazenave, Directeur de la transformation digitale Villes et Immobilier chez Bosch France, pour qui c'est seulement sur le long terme que l'on peut savoir si la transformation a porté ses fruits. Tous nos interlocuteurs ont cependant déjà pu observer de premiers résultats concrets au sein de leurs organisations respectives.
Transformer des entreprises avec une histoire
Avec des racines remontant à 1889, le groupe Michelin, qui emploie aujourd'hui plus de 114 000 collaborateurs dans le monde, est emblématique de ces organisations qui ont abordé la transformation digitale avec une longue histoire derrière elles. Sa transformation digitale a fait l'objet d'une étude de cas réalisée par l'institut IRI (Innovation Research Interchange). C'est en 2015 que le fabricant de pneumatiques, qui propose également des services de mobilité et des solutions pour le secteur du tourisme, a pris le tournant du digital, sous la direction de Jean-Dominique Senard. Dans le cas de Michelin, il s'agissait davantage de préparer l'entreprise à maintenir sa compétitivité future que de répondre à des menaces immédiates. Néanmoins, l'entreprise a d'emblée placé le sujet digital parmi ses priorités, en en faisant l'un des quatre axes d'une transformation plus globale, visant également à simplifier l'organisation, à l'aligner sur ses clients et à travailler sur les enjeux environnementaux. « Une telle transformation ne se fait pas en l'espace d'une nuit », écrivent les auteurs de l'étude de cas. En l'espace de cinq ans, ils estiment cependant que les actions mises en oeuvre chez Michelin ont déjà permis de créer des centaines de millions de dollars de valeur.
Tout comme Michelin, le groupe Bosch a vu le jour au XIXe siècle, plus précisément en 1886. Cet industriel détenu par la fondation Robert Bosch est présent notamment dans le secteur automobile (Bosch est le premier équipementier mondial), les biens de consommation, les équipements et services pour l'industrie, les villes et le bâtiment. Il emploie environ 400 000 salariés dans le monde, dont 7000 en France. Le cas du groupe allemand est intéressant à double titre, car l'entreprise est à la fois acteur et témoin de la transformation digitale. L'industriel a en effet entamé sa transition vers l'industrie 4.0 dès 2013, tout en accompagnant la mise en place de solutions digitales chez ses clients : constructeurs automobiles, collectivités, acteurs de l'immobilier...
Adeo possède également une longue histoire. C'est en 1923 que les créateurs de l'enseigne Leroy Merlin fondent leur premier magasin, marquant ainsi les débuts du groupe de distribution spécialisé qui en 2007 prendra le nom d'Adeo. En 2020, celui-ci emploie près de 114 000 collaborateurs à travers 32 entreprises autonomes et une quinzaine d'enseignes. Il possède environ 800 points de vente dans une quinzaine de pays. Dans cette entreprise caractérisée par une organisation très décentralisée, la transformation digitale s'est traduite par l'adoption d'une culture agile, d'abord mise en place dans la filiale brésilienne, avant d'être progressivement déployée à l'échelle du groupe depuis 2018.
Edenred est quant à lui un acteur important des services financiers, proposant des solutions de paiement aux entreprises privées et publiques. Le groupe compte aujourd'hui 10 000 salariés dans 46 pays. Le premier service qui a fait le succès d'Edenred, le célèbre ticket restaurant, est né en 1962. L'entreprise elle-même est plus récente, résultant de la scission des activités services prépayés et hôtellerie du groupe Accor en 2010. Le parcours d'Edenred affiche quelques similitudes avec celui d'Adeo. Certaines filiales du groupe sont en effet passées au 100% digital très tôt, dès 2008 pour l'Amérique Latine, tandis qu'en France, l'arrivée des services digitaux remonte à 2014. « Aujourd'hui, nous sommes vus comme une société digitale, à la croisée des banques et des FinTech, sans être ni l'un ni l'autre », constate Konstantinos Voyiatzis, directeur scientifique du groupe Edenred.
Comprendre les attentes des clients
Tous ces acteurs s'inscrivent parfaitement dans la définition de la transformation digitale donnée par Yves Caseau, en travaillant non seulement sur l'optimisation des processus internes, mais aussi et surtout sur les services proposés aux clients. Ce terme de « client » est à considérer au sens large : il peut tout aussi bien s'agir des consommateurs que des entreprises qui leur proposent leurs services, des collaborateurs et des métiers, ou encore des partenaires et fournisseurs.
« Ma préoccupation, c'est de résoudre un problème que rencontrent mes clients. C'est en ciblant des problèmes précis qu'on peut avoir un impact », témoigne par exemple Franck Cazenave. « Actuellement, je travaille sur les problématiques des villes et centres commerciaux. Ces acteurs sont confrontés à la concurrence d'Internet et perdent de la fréquentation. Il s'agit de trouver des solutions pour les rendre plus attractifs. Pour cela, il est possible de travailler sur la connaissance du parcours client grâce à des capteurs optiques, pour connaître par exemple le nombre de passages devant chaque boutique, savoir ce qui attire les clients dans un centre commercial ou les incite à venir en centre-ville. » Pour l'expert de Bosch France, « le digital n'est pas le Graal, mais il permet de répondre à des problématiques qui peut-être auparavant ne pouvaient pas être adressées. Les projets qui échouent, ce sont les produits digitaux conçus seulement pour digitaliser en façade, sans résoudre de vrais problèmes ou amener un service supplémentaire. Toutes les démarches de Design Thinking commencent d'ailleurs par déterminer le problème à résoudre. »
« Nous avons utilisé l'IT, aussi bien la technologie que l'innovation, afin de répondre à nos clients », affirme de son côté Konstantinos Voyiatzis. Edenred a développé plusieurs plateformes, qui facilitent par exemple la commande de cartes ou leur chargement pour les DRH. « Nous avons également mis en place des contrats avec les restaurateurs, pour les rembourser beaucoup plus vite. Avant, c'était une fois par mois, avec la carte Ticket Restaurant, nous leur versons les montants payés chaque jour. » Cette stratégie convainc, comme en témoigne la capitalisation boursière du groupe, qui entre 2016 et 2019 a quasiment triplé.
Matthieu Grymonprez (Adeo) : « se mettre à la place d'un client, du collaborateur ou d'un fournisseur enlève tout débat sur ce que devrait être un outil ».
« Adeo est un omnicommerçant un peu spécial, car nous ne faisons pas la totalité des ventes sur des produits récurrents, nos clients viennent aussi pour des projets uniques, comme l'aménagement d'une chambre d'enfant ou d'une nouvelle maison », explique Matthieu Grymonprez, Chief Digital Officer et CIO du groupe Adeo. « C'est un monde très technique, avec des vendeurs très spécialisés. Tous nos clients consultent le site puis viennent en magasin, car ils ont besoin de toucher les produits, d'échanger avec des experts. Nous avons donc une approche omnicanale très puissante, où l'accent est mis sur le passage de l'expérience online à celle dans les points de vente physiques. Au lieu de partir d'un système d'information pour la distribution physique et de construire la plateforme digitale à côté, nous avons fait l'inverse, en développant un système e-commerce utilisable par nos vendeurs en magasin. » Dans ce contexte, l'expérience utilisateur est vraiment cruciale. « C'est le premier moteur de la transformation : se mettre à la place d'un client, du collaborateur, d'un fournisseur, cela enlève tout débat sur ce que devrait être un outil, on redevient pragmatique. Cela permet de rendre la création de valeur beaucoup plus Lean : on crée ce qu'il faut faire, pas ce qu'on imagine, ni ce qu'on aurait aimé », affirme le DSI d'Adeo.
Michelin développe quant à lui une offre de services autour des pneus connectés depuis 2015. En étudiant les besoins des clients, l'entreprise a pu mettre à profit l'avancée des technologies IoT pour construire des solutions de produits en tant que services, qui tiennent compte des différences d'usage. Ainsi, dans l'aéronautique, les pneus connectés comptabilisent le nombre d'atterrissages pour indiquer quand un remplacement est nécessaire, tandis que sur les machines utilisées dans l'industrie minière, l'usure est évaluée en fonction de la quantité cumulée de minerais extraits. Depuis 2014, le groupe élabore également toute une offre de services autour de la gestion de flottes à l'aide d'acquisitions ciblées. Enfin, avec l'arrivée d'Éric Chaniot, Chief Digital Officer du groupe Michelin depuis 2016, de nombreuses initiatives digitales ont permis de renforcer la proximité avec les clients.
La transformation digitale, d'abord un enjeu humain
Pour Éric Chaniot, Chief Digital Officer (CDO) du groupe Michelin, « 95% de la transformation digitale doit porter sur les aspects humains, et 5% sur les aspects technologiques ». Un constat partagé par Franck Cazenave : « la transformation digitale a nombreuses facettes différentes : la gestion des ressources humaines et des savoirs de l'entreprise représente un pan important. Cette transformation ne porte pas que sur les outils, mais aussi sur les manières de travailler. »
L'un des enjeux humains est de trouver les bons ambassadeurs du digital. « À l'époque des grands projets, les métiers se disaient qu'il fallait tout faire tenir sur un an, car c'était leur seule fenêtre de tir avec l'IT pendant longtemps. Il faut casser cet état d'esprit, et démarrer la transformation avec ceux qui en ont envie », conseille Matthieu Grymonprez. L'engagement du comité exécutif est indispensable. « On ne peut pas déléguer la transformation digitale. Je suis au comité exécutif. Nous sommes tous dans la même salle, et nous discutons tous les jours de la stratégie de l'entreprise », relate le DSI d'Adeo.
Il faut également prévoir les relais permettant de répercuter la vision à tous les niveaux de l'organisation, d'autant plus quand celle-ci est globale et décentralisée. « L'approche top down ne marche pas, on ne décrète pas une culture agile », prévient Matthieu Grymonprez. « Celle-ci passe à la fois par des investissements et par des personnes capables de promouvoir un état d'esprit et de faire face aux critiques qui accompagnent souvent le changement. » Chez Michelin, plusieurs facteurs clefs ont aidé à promouvoir cette nouvelle culture. Un comité de conseil digital, constitué de dirigeants seniors, a par exemple été mis en place pour trouver le bon équilibre entre les forces historiques du groupe et les opportunités offertes par le digital. Le CDO a également pris le temps de bâtir son équipe, en choisissant comme adjoints directs des représentants internes qui connaissaient bien le groupe, tandis que les autres niveaux étaient en majorité constitués d'experts et de digital natives. De cette façon, ses plus proches collaborateurs étaient capables de retranscrire les initiatives de l'équipe digitale dans un langage familier pour le reste du groupe. Enfin, une étroite collaboration entre le CDO, le DSI et le Chief Data Officer permet de coordonner les efforts et contribue fortement au succès des initiatives.
Ces constats s'appliquent également aux clients, comme le souligne Franck Cazenave. « Il faut trouver des pionniers, ceux qui veulent aller de l'avant : des entreprises, des territoires qui ont compris qu'ils devaient se transformer. Les clients vont à des vitesses différentes : les plus rapides aideront à rassurer les autres. » Celui-ci conseille également d'être vigilant sur les Proof of Concept (POC). « Il faut que le donneur d'ordres s'investisse. L'absence d'engagement est le meilleur chemin pour aller à l'échec. Il faut toujours qu'un POC ait des contreparties. Celles-ci peuvent être financières, mais il peut également s'agir de mettre à disposition des ressources, pour co-construire et faire grandir les solutions. Le co-développement est un facteur de réussite. »
Acquérir des compétences digitales, l'affaire de tous
Un autre pan important de la transformation concerne l'évolution des compétences, qui concerne à la fois les équipes IT et les métiers. Côté IT, Adeo a ainsi mis en place un vaste plan de formation pour former en masse à l'agilité, au Design Thinking, ainsi qu'à des technologies comme Python, R ou Node JS. Côté métier, les membres des comités dirigeants de toutes les entreprises du groupe ont suivi pendant une semaine une formation au code, y compris le directeur général, Philippe Zimmermann. « Cela a facilité le dialogue avec l'IT, en aidant les métiers à mieux percevoir ce qu'impliquaient leurs demandes et à les formuler de façon plus claire », souligne le CIO. De façon similaire, des représentants de l'IT ont été envoyés à la rencontre des utilisateurs dans les entrepôts ou les magasins, afin de mieux comprendre leurs besoins. Plus récemment, Adeo a aussi organisé une journée Go transform avec Google, durant laquelle plus de 600 leaders métier ont pu se familiariser avec les concepts de l'intelligence artificielle et de l'analyse de données. « Nous voulons passer d'une organisation Excel-driven à data-driven, avec des données disponibles en temps réel pour nourrir les décisions. Dans ce but, il est important que les managers comprennent ce qu'on peut et ne peut pas faire avec les technologies analytiques et l'IA », estime Matthieu Grymonprez.
Michelin a également lancé un grand programme de formation ciblé sur les employés côté métier. À ce jour, plus de 9000 collaborateurs ont ainsi reçu une certification sur la transformation digitale, et plus de 5500 salariés dans les fonctions de vente, le marketing et le support aux clients ont suivi un programme de formation dénommé « Engage », pour les aider à fournir une vision unifiée de l'entreprise aux clients. Enfin, pour développer la culture interne autour du digital, le groupe organise régulièrement des sessions d'entraînements par les pairs, les Digital Weeks, dans les différentes régions où il est implanté.
L'acquisition de compétences digitales passe aussi par le recrutement. Sur ce terrain, les entreprises se retrouvent face à la concurrence d'acteurs issus de tous les secteurs, y compris les géants de la Tech. Attirer les talents devient donc un enjeu stratégique pour les organisations en train de se transformer. « Il est préférable de faire la transformation digitale quand l'entreprise se porte bien, pour avoir les moyens d'attirer les bons talents. Il faut aussi avoir des projets intéressants, car les meilleurs profils ont le choix. Un bon développeur front-end en vaut dix mauvais », avertit le CIO d'Adeo.
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Article rédigé par

Aurélie Chandeze, Rédactrice en chef adjointe de CIO
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