Stratégie

Report CSRD: une perspective inquiétante, mais les projets data demeurent

Report CSRD: une perspective inquiétante, mais les projets data demeurent
L'ombre du report, voire de la suppression, plane sur les directives RSE européennes. Malgré tout, les projets data devraient perdurer pour des raisons stratégiques et de résilience. (Image : Pixabay / Wikipedia)

Depuis début janvier se font entendre des voix pour reporter, voire supprimer certaines directives RSE européennes comme la CSRD ou la CS3D. De quoi inquiéter les organisations qui ont travaillé sur la data pour ces reportings, mais pas geler leurs projets. L'outil reste stratégique.

PublicitéSe dirige-t-on vers un report, voire une suppression de certaines des directives RSE de la Commission européenne ? Le 26 février prochain, cette dernière doit présenter une législation dite Omnibus, visant à simplifier l'ensemble des règlements RSE. Comment ? Jusqu'où ? Difficile de savoir. Mais les attaques au plus haut niveau se multiplient depuis le début de l'année, qui laissent à penser que l'on pencherait vers des coupes radicales dans le « pacte vert ». Un revirement qui rassure une partie de l'économie, mais perturbe les organisations qui ont déjà entrepris des projets data pour répondre aux exigences des différentes directives.

Pavé dans la mare, volontaire ou pas, c'est la déclaration de Stéphane Séjourné, vice-président exécutif de la Commission européenne à la prospérité et à la stratégie industrielle, le 20 janvier sur France Inter, qui a déclenché la tempête. Au détour d'une phrase sur « un choc de simplification massif » en matière de « bureaucratie », il a évoqué sur les ondes une « suppression du reporting », sans plus de précision. De quoi faire souffler un vent d'inquiétude tant du côté de ceux qui portent en particulier la directive CSRD (corporate sustainability reporting directive), entrée en vigueur le 1er janvier 2025, que du côté des directeurs RSE et des DSI impliqués dans le travail sur la data indispensable au reporting associé.

Faisceau d'attaques contre les directives RSE européennes

Depuis, d'autres voix se sont élevées contre ces directives, invoquant des obstacles à la compétitivité des entreprises européennes, dans un contexte concurrentiel international particulièrement difficile. Encore davantage depuis l'élection présidentielle aux États-Unis. Une note du gouvernement français à la Commission a ainsi fuité. Elle demande entre autres le report de 2 ans de la CSRD, « un report sine die de l'entrée en vigueur de la directive » sur le devoir de vigilance européen pour les entreprises (CS3D) et un rehaussement des seuils de taille des entreprises concernées. La CS3D demande aux grandes organisations la surveillance des impacts négatifs de leur activité et de celle de leur chaîne de valeur sur les droits de l'homme et l'environnement. Dans ce document, les autorités françaises réclament ainsi non seulement une « pause réglementaire massive », mais aussi « la révision des législations, même adoptées récemment ».

Demande qui ouvre donc la porte à une remise en cause possible de la CSRD, voire de réglementations plus ancienne comme Reach (Enregistrement, évaluation et autorisation des produits chimiques). Dans une lettre envoyée à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, également révélée par les médias le 6 janvier, le chancelier allemand Olaf Scholz demande lui aussi un report de deux ans de la CSRD (l'Allemagne n'a pas transposé la directive). Le 24 janvier, c'est Éric Lombard, ministre français de l'Économie et des Finances, qui a, lors de ses voeux, appelé à une suspension de la CS3D.

PublicitéUn outil stratégique de comparaison, plus qu'un reporting

En tant que directeur RSE du transporteur routier Sterne, Loïc Chavaroche pilote depuis 5 ans la collecte de data et le reporting CSRD. La déclaration de Stéphane Séjourné l'a quelque peu assommé, même s'il essaie de prendre du recul et préfère attendre les décisions de l'Europe fin février. « On doit probablement convenir d'une copie moins pléthorique, plus réaliste, reconnaît-il. Les aspects sociétaux ou l'intégration de la sous-traitance sont très difficiles à traiter dans notre métier du transport. La CS3D sera aussi très difficile dans notre secteur. Il y a une masse importante de travail à accomplir... »

Reste qu'au-delà de la conformité à une régulation, « les établissements bancaires vont demander à comparer les performances RSE de notre activité face à celle d'autres entreprises », rappelle-t-il. Et nombre de directions RSE d'entreprises affirment voir dans les directives comme la CSRD, une opportunité et non une contrainte (c'est le cas de DBSchenker, par exemple). Citée dans Ouest France, la directrice générale d'Harmonie Mutuelle, Catherine Touvrey, abonde dans ce sens, puisqu'elle estime, elle aussi, que la CSRD « est le seul dispositif permettant à une entreprise de dévoiler, de façon comparable, les éléments permettant d'apprécier sa véritable performance, à savoir la performance économique, sociale et environnementale ». Des points de vue qu'appuie Delphine Gibassier, consultante experte CSRD au sein du cabinet Dix Septembre : « ce n'est pas qu'un enjeu légal ou de conformité, mais un enjeu économique et de durabilité des entreprises dans le temps ».

Le travail sur la data reste valide

Le « choc de simplification » porté entre autres par Stéphane Séjourné devrait passer par une directive Omnibus appelée à « reprendre plusieurs normes, éviter les normes sectorielles, réduire le nombre d'indicateurs, résume Loïc Chavaroche. Nous avons lu en détail la directive Omnibus. Cela n'a pas empêché l'évocation de la suppression du reporting d'être une énorme surprise ! Mais il ne faut pas céder à la panique ». Si, dans ce cadre, « on donne un corps aux quatre plus gros textes [CSRD, CS3D, taxonomie verte, SFDR (sustainable finance disclosure regulation)], poursuit le directeur RSE, notre travail sur la data n'est pas du tout perdu ! ».

Et de prendre l'exemple de la résilience vis-à-vis des risques liés aux conditions climatiques extrêmes : « Cela fait partie de l'analyse temporelle dans la directive, précise Loïc Chavaroche. Les risques d'inondation, d'incendie, d'effondrement de terrain, de submersion sont des risques important à connaitre pour des questions de sauvegarde des bâtiments, mais aussi de potentielles destructions du savoir ou encore d'assurance, etc. C'est le travail sur la double matérialité qui va nous donner ces informations et va augmenter la résilience de l'entreprise ».

1200 indicateurs, pas tous obligatoires

De son côté, Delphine Gibassier, se dit peu convaincue. « Pour commencer, suppression du reporting, cela ne veut rien dire, selon elle. Il y a des reportings dans Reach, à l'Ademe, sur le sujet de l'eau, etc., et pas uniquement au niveau de la CSRD ». Entre 2020 et 2022, la consultante a travaillé sur cette directive au sein des deux project task forces de l'Efrag (European financial reporting advisory group), où elle a participé à la définition des normes de reporting de durabilité ESRS (european sustainability reporting standards). Elle réfute la plupart des arguments évoqués par ceux qui souhaitent un report, une suppression ou une altération des directives RSE européennes. « La question des petites entreprises ou du nombre d'indicateurs n'est vraiment pas le sujet, affirme-t-elle. Pas plus que les indicateurs sectoriels. »

De plus, comme elle le rappelle, « quand certains évoquent 1200 indicateurs pour la CSRD, ils oublient de rappeler que tous ne sont pas obligatoires ». Et comme l'a souligné Loïc Chavaroche pour CIO récemment, une entreprise peut justifier qu'un indicateur ne la concerne pas. Par ailleurs, « un tiers [des indicateurs] est plutôt de l'ordre d'une action rédactionnelle itérative, seuls deux tiers sont des données chiffrées ». Delphine Gibassier estime qui plus est que « certains indicateurs sont déjà remplis, avec des outils de mesure qui existent, car ils sont exigés par ailleurs. C'est le cas de l'empreinte carbone, par exemple ».

Urgent d'attendre le 26 février

D'un point de vue purement système d'information, la consultante estime qu'il n'est pas nécessaire d'investir dans des solutions spécifiques, et qu'Excel suffit la plupart du temps. Mais elle pointe néanmoins le manque d'accompagnement des entreprises en la matière. « Les autorités européennes auraient dû mettre à disposition des bases de données accessibles et gratuites, sur des sujets comme la biodiversité, par exemple. Mais cela implique de financer certaines recherches spécifiques. Nous avions aussi proposé de financer la première année d'un directeur RSE pour les ETI ». Ne reste plus à tous les acteurs qu'à attendre le 26 février. « Mais je préférerais que la Commission fasse des propositions pour améliorer les directives, espère Delphine Gibassier, pas pour les détricoter ou enlever des data points ».

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