Repenser la stratégie du système d'information
Lorsque le DSI est invité à la table de la construction de la stratégie, il reste encore trop marqué par une vision "projet informatique". Il existe pourtant des pistes de progrès.
PublicitéNe confondons pas les deux assertions suivantes : "le système d'information est stratégique" et "la stratégie s'appuie sur le système d'information". Tel pourrait être l'un des éclairages sur les débats actuels autour du SI et de la stratégie. Chaque métier, dans une entreprise, pense ou souhaite être stratégique. En réalité, chacun l'est à un moment ou à un autre. Si l'entreprise intègre un métier, c'est qu'elle en a besoin. Gardant à l'esprit qu'un dirigeant est concentré principalement sur la réalisation de la stratégie décidée en haut lieu, pourquoi financerait-il un métier dont il pourrait se passer ? Gageons d'un vrai savoir-faire des dirigeants pour s'entourer des bonnes personnes, faire les bons investissements et se séparer des composants qui ne serviraient pas la stratégie. Dans ce contexte, le système d'information se trouve, comme les autres fonctions telles la finance ou les ressources humaines, une des clés de réussite d'une stratégie. Les dirigeants améliorent d'année en année leur perception de l'intérêt du SI, mais le DSI doit affronter leurs expériences passées ponctuées d'insuccès et d'attentes non servies. La théorie veut que la stratégie soit la réponse aux attentes des parties prenantes, à la mise en évidence d'un avantage concurrentiel et à la création de valeur. Concrètement, il s'agit de construire le meilleur chemin sur son domaine d'activité en prenant en compte le maximum de paramètres externes (marché, concurrents, lois, règlements...) et internes (capacités, ressources...). La pratique montre que la stratégie n'est pas ce chemin stable dessiné à l'avance qui permet à chaque cadre de l'entreprise de vivre sa spécialité dans un environnement confortable. Elle doit répondre à la fois au long terme en projetant une vision claire et s'adapter en permanence aux aléas immédiats et à la réalité de la vie. Cette instabilité apparente est démultipliée par un volume important d'informations qui crée chaque jour des hypothèses nouvelles et fait émerger des scénarios à risques. Cette réalité impose à chaque direction une réactivité croissante qui peut induire la réaffirmation d'une décision prise aussi bien que sa remise en question. Le DSI vit cela non seulement pour sa propre unité mais aussi en étant au service des autres directions, auxquelles il apporte des solutions et des services. Il est, par nature, au carrefour de tous ces mouvements et pourrait avoir une impression d'absence de stratégie là où se déploie une forte capacité de réaction. Le progrès est ici de développer une stratégie d'agilité et de services plus que d'investissements lourds qui seraient décalés par rapport à la réalité de l'entreprise. L'entreprise évolue soit par volonté, soit par obligation. En termes d'organisation, elle voit évoluer le modèle hiérarchique et démultiplie les unités locales autonomes. Le modèle hiérarchique dans lequel les décisions viennent d'en haut fait place progressivement à un modèle plus relationnel dans lequel plus d'acteurs, jusqu'aux opérationnels, participent à la stratégie tant lors de sa définition et durant son exécution que pour remonter une vision du terrain indispensable aux arbitrages. La démultiplication d'unités de services spécialisées qui bénéficient d'une forte autonomie pour adresser une demande locale donne réponse à la transition générale vers le tertiaire ; vendre et déployer des services personnalisés plutôt que des produits. Ces effets combinés donnent l'impression d'une distance grandissante entre le comité de direction et l'opérationnel. Une unité locale telle qu'un magasin de vente ou une filiale commerciale est plus en prise directe avec son terrain qu'avec la stratégie globale. Cela peut même conduire à la définition de stratégies locales, qui enrichissent de manière adaptée voire contournent la stratégie groupe. Il en va ainsi pour une DSI. Souvent proche géographiquement du siège, elle vit un éloignement implicite du fait de la différence de métier avec l'entreprise, de son langage issu de la technologie et du rythme de ses ruptures que l'entreprise ne comprend pas toujours. Pour éviter de définir son propre devenir indépendamment d'une stratégie groupe, la DSI doit déployer un savoir-faire propre en alignement afin de placer le SI comme un des éléments de la chaîne de valeur de l'entreprise. La DSI doit créer un processus itératif et continu au travers duquel le portefeuille projets est mesuré par sa valeur pour les métiers et sa plus-value à court terme ou long terme. Pour que ce processus fonctionne et profitant de sa position transversale, la DSI doit fédérer des partenariats internes permettant de valider les priorités et la valorisation du portefeuille. Ce processus n'est pas seulement budgétaire, il est déployé tout au long de l'année et passe par une gestion équilibrée du portefeuille d'activité et par une traduction du coût du SI dans le contexte de l'unité d'oeuvre gérée par l'entrepriseen termes, par exemple, de paires de chaussures ou encore de véhicules assemblés. On peut, pour faire simple, fixer à trois temps les phases qui conduisent à une stratégie réussie. Acte 1 : la réflexion stratégique La phase de réflexion stratégique est importante car elle constitue ce moment privilégié ou "tout est possible" et où "rien ne coûte". On peut tout envisager, tout imaginer, la seule limite de ce moment-clé est l'imagination des membres du comité de direction. Il y a cependant un piège pour chaque responsable opérationnel car la tendance naturelle de chacun consiste à se positionner dans son environnement et à traduire les différents échanges dans son périmètre de responsabilités. Ce n'est pas le moment. Il s'agit, pour les membres du comité de direction, de se positionner au même niveau : l'entreprise. Les informations utilisées sont le marché, les clients, les concurrents, les ruptures technologiques, les fournisseurs, et les outils sont le diagnostic stratégique, l'avantage concurrentiel ou encore l'analyse métier (business analysis). Ces éléments, souvent mal connus des responsables opérationnels, amènent la direction générale à se sentir isolée et à ne pas profiter de ce que chacun peut lui apporter. Le DSI doit partir de ces informations et de la vision de l'entreprise pour apporter à la fois une veille avancée sur les technologies potentiellement créatrices de valeur, mais aussi la valorisation des technologies déjà intégrées. Il faut montrer ce que l'on a "sous le pied" tout en ne parlant que de l'entreprise. Les DSI font des investissements dont la face cachée est plus importante que ce qui est visible. C'est le moment de trouver la bonne façon d'exprimer les opportunités apportées par les technologies déployées et les capacités internes déjà développées. Mais attention, ce n'est pas une expression technique mais une expression en valeur pour l'entreprise qu'il s'agit de promouvoir ! Acte 2 : la déclinaison opérationnelle Ce que l'on appelle couramment et improprement la stratégie opérationnelle consiste à traduire la stratégie métier (business strategy) dans le périmètre de sa spécialité. Le cas du DSI est spécifique en ceci qu'il doit à la fois le faire dans le cadre de son équipe mais aussi en tenant compte des autres métiers ou fonctions qui, de leur côté, mènent leur propre déclinaison opérationnelle en s'appuyant sur le SI. Le facteur-clé de succès d'une stratégie réside dans son modèle d'exécution. Le rôle d'un manager est, de ce fait, de créer un système opérant qui garantisse, autant que cela est possible, que la stratégie globale réussisse. Pour cela, il doit adapter à la fois son organisation, ses processus et ses ressources allant jusqu'à envisager des solutions opérationnelles telles que l'externalisation si celle-ci a un sens pour l'entreprise. L'objectif est de passer d'un planning stratégique à un planning stratégique du SI, du commercial, de l'industriel... Il ne s'agit pas ici de la définition des jalons d'un projet mais bien de ce qu'il faut mettre en oeuvre dans une organisation pour permettre la réussite de la stratégie d'entreprise. Le DSI doit ici faire face à un planning à long terme d'investissement en infrastructure et celui, à court terme, consacré aux projets. C'est en mixant l'optimisation, la consolidation avec le développement et la création de valeur que sa déclinaison opérationnelle répondra aux attentes de la direction générale. Acte 3 : le management de l'exécution L'opposition entre stratégie et exécution est dépassée. Comme cela a été montré plus haut, l'évolution de l'entreprise demande un management opérationnel capable de réagir et de réviser la stratégie aux bons moments. Pour cela, les progrès attendus portent sur la professionnalisation et l'optimisation. La professionnalisation touche tous les métiers, y compris la DSI. Devenir professionnel pour les équipes de la DSI consiste à définir des processus qui soient compréhensibles à l'échelle de l'entreprise et qui assurent au modèle d'exécution par services un fonctionnement optimal mesuré et optimisé. L'optimisation impose, quant à elle, à tout manager de baisser ses coûts en même temps qu'augmente sa maturité. Cela fait maintenant plus d'un siècle que l'homme se préoccupe de baisser le coût de la productivité. Cela reste toujours vrai et représente un élément-clé du management d'un acteur responsable dans l'entreprise. Le progrès doit porter sur l'expression de la productivité du SI qui n'est pas clairement définie dans toutes les entreprises, surtout dans le contexte de budget SI qui évolue faiblement et indépendamment de l'augmentation réelle des volumes de traitement, des besoins en télécommunications et du volume du stockage et de données gérées. Pourquoi est-ce si difficile pour bon nombre de DSI d'être invités à la table de la construction de la stratégie ? La direction générale est observatrice de la valeur ajoutée de la DSI par les retours qu'elle obtient des directions métiers. A ce titre, il importe que la DSI ait noué des partenariats équilibrés avec les équipes métiers afin de créer un réseau interne qui témoigne au quotidien des valeurs du SI pour l'entreprise. Pour cela, il faut, d'une part, engager toute l'équipe DSI dans un mode relationnel nécessitant de traduire la technologie en un langage d'entreprise, et l'investissement en valeur ajoutée. Et d'autre part, dépasser l'esprit d'ingénieur indispensable à la DSI mais qui attend des hypothèses de départ parfaitement définies et stables dans le temps. Dans le business, ni l'un ni l'autre n'est acquis ; avoir des hypothèses parfaitement posées au départ coûterait très cher et donnerait une fausse impression d'assurance. Réussir un objectif trois ans après sans avoir pris soin de valider la stabilité du contexte externe reviendrait à gagner une bataille mais pas la guerre. Chaque marché a vu récemment un nouvel entrant conquérir une part de marché que certains considéraient comme acquise. Ce réseau permettra à la DSI de mettre à profit sa position transversale pour apporter une information unique sur l'activité de l'entreprise qui sera alors indispensable à la construction de la stratégie
Article rédigé par
François Koehl, Associé du cabinet de conseil Advese
Associé du cabinet de conseil Advese, cabinet de conseil en management des systèmes d'information, et membre de l'ISACA. Il a été directeur technique de la SSII DECADE pendant plus de 7 ans.
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