Rationaliser le portefeuille applicatif, un levier pour accélérer la transformation digitale

Pour éviter les gaspillages de ressources et les réinvestir là où c'est pertinent, de nombreux décideurs IT lancent des initiatives de rationalisation des applications. Ils réduisent ainsi leurs coûts opérationnels tout en améliorant la résilience et l'agilité de leur organisation, comme l'illustrent ces témoignages recueillis par CIO.com.
PublicitéDans un contexte où les budgets IT tendent à se resserrer, nombreux sont les DSI qui mènent des programmes de rationalisation de leur portefeuille applicatif. Ces initiatives permettent de réduire la dette technique et d'optimiser les coûts opérationnels, une façon pour l'IT de regagner de l'agilité et une marge de manoeuvre financière. Pour CIO.com, plusieurs décideurs IT ont partagé leur expérience sur ce type de programme et les résultats obtenus.
Au printemps dernier, quand Kristin Myers est devenue CIO du groupe médical Mount Sinai Health System, l'une de ses premières tâches a consisté à examiner son portefeuille d'applications, avec ce mantra pour guide : « les vieux systèmes dehors, place aux nouveaux outils ». Pour Kristin Myers, vice-présidente exécutive, CIO et conseillère chargée des technologies de l'information du groupement de santé, il s'agissait d'un « excellent exercice de réduction des coûts, car beaucoup d'applications legacy restent en place et vous continuez de payer des frais de maintenance et de support pour celles-ci. » En outre, « beaucoup d'applications déployées sur des plateformes qui n'ont pas été mises à niveau peuvent potentiellement devenir des risques en matière de cybersécurité », ajoute-t-elle.
L'IT a inventorié et classé l'intégralité du portefeuille applicatif de Mount Sinai en trois catégories : « décommissionner », « investir » et « préparer la retraite ». Cette dernière signifie que les décideurs ne feront plus d'investissements lourds dans la plateforme et l'examineront tous les ans pour voir si elle doit passer dans les catégories « décommissioner » ou « investir ». Kristin Myers a commencé ce travail dans son rôle précédent, en tant que vice-présidente senior des applications dans le groupe de santé. Elle le qualifie de « composant clef du programme de tout DSI. » Les conséquences financières négatives de la pandémie de Covid-19 ont fourni l'élan nécessaire pour étendre le programme quand elle est devenue CIO. « D'un point de vue financier, la Covid-19 a indéniablement eu un impact très négatif sur toutes les institutions de santé », souligne Kristin Myers. « Vous devez donc absolument passer le budget en revue ligne par ligne pour élaborer des budgets qui permettent d'aller de l'avant. » À cela s'ajoutaient les implications en matière de cybersécurité. Même si Kristin Myers travaille avec son CISO, « à terme, celle-ci relève de ma responsabilité en tant que CIO, et j'estime que nous devons réduire les risques autant que possible. »
À la fin de cette année, l'IT aura retiré 59 applications d'un portefeuille total de 824. Kristin Myers indique avoir prévu de réduire l'ensemble du portefeuille applicatif de Mount Sinai de 38% d'ici fin 2024. Elle a pu économiser 6,5 millions de dollars dans le budget de cette année grâce au décommissionnement d'applications, une somme que « nous compensons ensuite par des investissements dans les applications qui correspondent à notre cible. » Bien sûr, quand on ouvre une boîte de Pandore, nul ne peut dire ce qu'on va y trouver. « Quand on commence un tel programme, l'un des défis est que l'on trouve de plus en plus d'applications au fur et à mesure que les gens prennent connaissance de la démarche », observe Kristin Myers, un effet encore amplifié depuis que Mount Sinai est également un centre de formation et de recherche médical.
PublicitéLa rationalisation des applications en hausse
Même si la tâche peut sembler ardue, de nombreuses organisations se sont engagées dans des programmes de rationalisation de leurs applications pour réduire les coûts opérationnels tout en améliorant leur résilience, leur agilité et leur efficience. Évaluer la viabilité d'une application et sa nécessité aide également l'organisation à rester innovante et compétitive dans une période où l'accélération de la transformation digitale est devenue la norme. « Dans beaucoup d'organisations, les systèmes ont proliféré au fil du temps pour contourner d'autres limitations, laissant un véritable fardeau en termes de dette technique, d'applications obsolètes et de palliatifs divers », pointe le cabinet de conseil Deloitte dans son rapport Tech trends 2021. « Basculer de tels empilements de systèmes vers le cloud peut favoriser (ou forcer) le processus longtemps retardé de rationalisation des composants redondants, d'élimination des dépendances inutiles et de modernisation des capacités. » Avec autant de systèmes coeur de métier qui passent dans le cloud, « les entreprises repensent à faire des mises à niveau afin de réduire la dette technique », observe Scott Buchholz, directeur exécutif chez Deloitte Consulting et directeur de recherche sur les technologies émergentes. « La capacité à agir rapidement devient de plus en plus importante pour l'avenir. »
Éviter le gaspillage à tout prix
Gary Brantley a découvert un gaspillage considérable quand il a démarré un projet de rationalisation des applications après avoir accepté le poste de CIO de la ville d'Atlanta. L'IT a trouvé un grand nombre de redondances, notamment quatre ou cinq systèmes CRM et deux ou trois messageries différentes, raconte-t-il. « Quand nous avons regardé les taux d'utilisation, vous pouviez avoir 26% d'utilisation sur un outil et 36% sur un autre, et je parle d'outils qui font pour l'essentiel la même chose », explique Gary Brantley. Comme pour Kristin Myers, il s'agissait de sa première initiative en tant que CIO, « car nous savions que nous pouvions faire économiser des millions de dollars à l'organisation », précise-t-il. « À ce jour, la simple élimination d'outils inutiles a permis à la ville d'économiser environ 4 millions de dollars sur une période de deux ans. » Toutefois, Gary Brantley prévient qu'il faut parfois « tolérer » certains systèmes, car « la trajectoire vers les technologies innovantes prend un certain temps. » Il faut également beaucoup de temps pour supprimer et fusionner des systèmes, ajoute le CIO.
Simon Pearce, CIO de Spirit of Tasmania, une compagnie de transports maritimes qui exploite des ferries entre l'Australie et la Tasmanie, relate que son équipe a également découvert un grand nombre de systèmes en doublons quand ils ont commencé à passer en revue le portefeuille applicatif de l'entreprise il y a deux ans. La compagnie possédait par exemple trois systèmes d'enregistrement des passagers, « qui en pratique faisaient la même chose. Nous étions d'avis qu'il fallait une véritable consolidation de nos applications. » Au lieu de regarder en quoi consistait chaque application, l'IT a examiné les besoins métiers en s'appuyant sur « un processus bottom-up », raconte Simon Pearce. « Une fois ceci fait, nous avons ensuite rapproché ces attentes de l'application qui y correspondait le mieux. Après quoi, les applications qui ne répondaient plus au besoin étaient supprimées. » Simon Pearce indique que son entreprise a réduit son portefeuille applicatif de 140 à 90 systèmes. Cela a permis des économies sur les frais de support et l'achat d'infrastructure, ajoute-t-il.
Greg Belshe, directeur de la division technologies de l'information à l'American Academy of Family Physicians (AAFP), association de médecins généralistes américains qui compte 136 700 membres, a démarré son programme de rationalisation d'applications dans le cadre d'un plan de transformation digitale sur trois ans. « La première chose que nous avons faite a été de créer un catalogue d'applications. Alors même que nous avions de l'information et de la documentation stockées un peu partout, cela n'avait jamais été fait », raconte-t-il. Greg Belshe a constitué une petite équipe qui s'est chargée de lister toutes les applications, ainsi que des informations clefs sur chacune d'entre elles, comme les divisions qui les utilisent, des statistiques sur leur usage et tout enjeu de maintenance notable. Ces éléments ont été stockés dans leur système de documentation Atlassian. L'IT a ainsi obtenu une liste de 90 applications et systèmes, divisée en différentes catégories : systèmes développés en interne, systèmes fournis par des éditeurs et gérés par l'IT, solutions d'éditeurs gérées par d'autres parties de l'organisation. L'It a également recensé les sites web dont elle assurait le support. « Pour la première année, une fois la liste réalisée, nous nous sommes donné comme objectif d'identifier cinq systèmes que nous pouvions retirer », indique Greg Belshe. « Nous avons atteint cet objectif et nous l'avons réitéré pour 2020 », ce qui représente une réduction de 10% des systèmes supportés par l'IT. « Même si ce n'est pas un nombre très impressionnant, cela nous place dans une démarche de réduction du portefeuille au lieu d'une dynamique d'expansion », souligne Greg Belshe. L'équipe a identifié des redondances, comme de multiples outils d'enquête qu'utilisait l'académie. Les responsables de l'AAFP en ont supprimé un et ont basculé tout le monde sur le même système. « Nous avons aussi trouvé des exemples de composants qui n'étaient plus vraiment utilisés depuis un certain temps, mais pour lesquels personne n'avait enclenché de processus de décommissionnement », ajoute Greg Belshe. « Il y a donc eu clairement un bénéfice immédiat à retirer certaines applications de la liste. »
Appliquer la règle des 80/20
Comme ses pairs, Anupam Khare, vice-président senior et CIO de l'équipementier Oshkosh, a demandé à l'IT de faire une évaluation méthodique des applications, ainsi que de ses infrastructures. Un portefeuille a été développé par entité métier, comme les ventes, le département d'ingénierie et la production, ainsi que pour l'infrastructure, incluant les postes de travail, le réseau et le stockage. « Sur la partie applicative, nous avons réalisé des évaluations fonctionnelles et techniques » pour déterminer quelles applications étaient techniquement fragiles, et lesquelles étaient fonctionnellement faibles, explique Anupam Khare. L'IT a également appliqué la règle des 80/20, pour découvrir que 20% des applications fournissaient 80% des fonctionnalités utilisées par l'entreprise. « Nous avons un portefeuille d'applications et toutes les applications sont importantes, mais toutes ne contribuent pas de façon équivalente du sommet à la base de l'organisation », observe-t-il. L'IT a également dû décider quelles étaient les applications importantes pour 2020, et où il fallait investir en priorité pour la modernisation des applications. L'équipe d'Anupam Khare a découvert que certaines applications devaient immédiatement être mises à niveau « car le support technique de l'éditeur était indisponible ou sur le point d'expirer ». Les responsables ont également constaté que certaines applications, qui avaient été acquises quand Oshkosh était encore une entreprise de petite taille, « devaient être mises à niveau pour répondre aux dimensions et à la complexité de l'organisation actuelle. »
Cette application doit-elle rester ou doit-elle partir ?
Certaines des applications que l'AAFP avait classées dans la catégorie « à retirer » semblaient des candidates assez évidentes, mais quand le processus s'est poursuivi, il est apparu nécessaire de disposer de meilleurs critères pour gérer le portefeuille de la façon souhaitée, et pour s'assurer que l'organisation disposait des bonnes applications, comme le relate Greg Belshe. Dans ce but, un architecte d'application est inclus dans l'équipe. Son rôle consiste à décider si l'IT possède la bonne application dans un domaine donné, et quels changements l'IT devrait faire pour mieux supporter les métiers. « C'est vraiment lui qui prend les décisions compliquées, détermine si des applications conviennent à l'entreprise ou si d'autres pourraient apporter davantage de valeur », précise Greg Belshe. « Il décrit cette mission comme du 'techscaping' (de l'aménagement technologique) et de l'entretien de notre jardin d'applications. Comme dans un jardin, quand vous voulez ajouter quelque chose de nouveau vous devez d'abord faire de la place », ajoute le directeur IT. Il était important pour l'académie de s'intéresser davantage à la dimension de retour sur investissement (ROI) que par le passé. « Il faut une grande discipline pour déployer une application, capturer le ROI et mettre en place les processus de suivi pour le futur », estime Greg Belshe. Il faut notamment être en mesure de déterminer si l'investissement a apporté les bénéfices qu'attendait l'IT ou pas, et pour quelles raisons. Une autre question à considérer est de savoir si le système en place n'est pas le bon, ou s'il y a d'autres éléments qui entrent en compte.
Pour Mount Sinai, l'objectif est d'aligner les différents cabinets médicaux acquis par le groupe sur les standards de sa plateforme de dossier médical partagé Epic, comme l'explique Kristin Myers. En 2021, l'IT va retirer environ 19 applications simplement en mettant en place Epic. Pour déterminer ce qui doit rester et ce qui doit partir quand le groupe hospitalier fait une acquisition, l'IT regarde des métriques comme le nombre d'utilisateurs qui se servent actuellement d'un système, les besoins auxquels celui-ci répond et les sites qui utilisent le système. « Nous découvrons parfois une application qui a dix utilisateurs sur un site alors que six autres sites utilisent une application similaire », explique Kristin Myers. « Nous devons ensuite impliquer la communauté des utilisateurs : il ne s'agit pas de services que vous pouvez immédiatement interrompre. Il faut une discussion, pour expliquer que le système médical a besoin d'une approche standardisée en termes d'applications. » Elle indique qu'une fois que l'IT a expliqué pour quelles raisons utiliser une application donnée, la plupart des acteurs concernés comprennent les bénéfices, en particulier les économies associées. « Parfois il faut plus de temps », note-t-elle, « mais je pense que la clef est de garantir à notre communauté d'utilisateurs finaux qu'ils obtiendront ce dont ils ont besoin. »
Le processus de rationalisation applicative
Mount Sinai a mis en place un comité d'arbitrage des applications, qui examine les fonctionnalités des nouvelles applications et regarde si le groupe médical possède déjà dans son portefeuille quelque chose pouvant répondre au même besoin. « Tous les responsables de l'infrastructure et les propriétaires d'applications se réunissent une fois par semaine et nous passons en revue toutes les applications à l'étude et leur coût - pas seulement le coût du logiciel, mais aussi les coûts nécessaires pour le maintenir », relate Kristin Myers. Comme l'objectif est aussi de déplacer vers le cloud autant d'applications que possible, le comité étudie également le cas d'usage pour chaque application et regarde si celle-ci a une version cloud, plutôt que de continuer avec des déploiements sur site. « Nous examinons tous ces aspects et bien souvent nous demandons des informations complémentaires sur le cas d'usage et regardons s'il est aligné avec la stratégie technologique », explique Kristin Myers. « Cette année nous avons eu moins de nouvelles applications, mais cela reste un processus qui a du sens. Son but n'est pas d'ériger une barrière, mais d'être un facilitateur, afin de nous assurer que nous menons une stratégie technologique réfléchie. »
À l'AAFP, c'est l'architecte d'applications qui a la responsabilité de décider si l'académie doit acquérir une nouvelle application, à travers un « processus de sélection en entonnoir », selon Greg Belshe. Quand l'académie se lance dans de nouveaux projets, « nous avons plusieurs étapes à franchir, durant lesquelles une équipe pose des questions, s'assure que nous avons étudié et mesuré le ROI et que nous avons rempli les autres cases à cocher. »
Selon Anupam Khare, la stratégie d'Oshkosh n'est pas de réduire son portefeuille d'applications. « Notre stratégie est d'avoir le bon portefeuille pour outiller les différents métiers. Cela implique que s'il faut davantage d'applications, ce n'est pas un problème », souligne le CIO. « Comme Oshkosh a adopté une stratégie cloud, nous trouvons des éditeurs de niche avec des fonctionnalités spécifiques dans le cloud », ajoute-t-il. Les responsables cherchent également à « connecter les différents systèmes, afin que les données circulent », indique Anupam Khare.
Conseils pour rationaliser les applications
Une fois qu'une organisation a décidé de démarrer un programme de rationalisation des applications, l'IT doit privilégier certaines approches pour en faciliter le déroulement. « Vous devez sans cesse investir dans votre feuille de route pour le portefeuille d'applications métiers », préconise ainsi Simon Pearce, de Spirit of Tasmania. « Assurez-vous de comprendre exactement ce que vous possédez et quel en est l'impact sur votre entreprise. Laisser les applications se multiplier augmentera non seulement vos coûts applicatifs, mais également les coûts d'infrastructure et de support associés. »
Pour Kristin Myers, il est important de commencer par faire l'inventaire de l'existant et de s'assurer que tout est bien catégorisé. « Faites en sorte d'avoir une vision claire de votre trajectoire technologique, à la fois par rapport au cloud et par rapport à un état cible. Établissez également un processus de gouvernance, avec un comité d'arbitrage applicatif, et collaborez avec la communauté d'utilisateurs et les représentants métiers. » Ces derniers ont besoin de comprendre le processus et de s'y sentir impliqués. Ils doivent percevoir la rationalisation des applications comme un levier pour avancer, non comme un frein, souligne la CIO de Mount Sinai.
Greg Belshe suggère quant à lui de désigner un interlocuteur comme point de contact. Comme l'IT ne mène pas ce type de programme en réponse à une demande ou un besoin spécifique, « cela permet d'attirer l'attention ». Le directeur IT de l'AAFP ajoute qu'il faut « sans cesse communiquer pour expliquer que le temps passé sur ce programme est bénéfique, pour s'assurer que l'organisation possède les bonnes applications, qui fournissent le maximum de valeur, et que l'IT ne perd pas du temps sur des composants qui n'apportent pas la valeur attendue. »
Ce type d'initiative ne doit pas être rattachée à l'agenda IT, selon Anupam Khare. « Lancez-vous avec l'esprit ouvert, et concentrez-vous sur les résultats pour l'entreprise quand vous réfléchissez à la modernisation et à la rationalisation des applications. » De la même façon, la valeur d'un tel programme ne doit pas se mesurer en regardant de combien l'IT a réduit ses coûts, « mais par rapport à son impact sur les métiers ou sur le chiffre d'affaires », ajoute-t-il.
Article d'Esther Shein / CIO États-Unis (Adaptation et traduction par Aurélie Chandèze)
Article rédigé par

La rédaction de CIO Etats-Unis,
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