Raphaël de Andréis (Havas Media Group) : « les données génèrent de la croissance organique du chiffre d'affaires »


Comment les entreprises se transforment par le numérique
Des entreprises aussi différentes que Havas Media, Axa, le Crédit Agricole ou les Editions Lefebvre Sarut ont su transformer leurs modèles économiques ou développer leurs affaires grâce au numérique. Le rôle de la DSI va, dans ces cas, bien au delà du fournisseur de tuyaux et de serveurs....
DécouvrirRaphaël de Andréis est directeur général de Havas Media Group. Ce groupe a mis en oeuvre la stratégie DDOG (Data Driven Organic Growth) : les données traitées permettent, dans une logique Big Data, aux clients de l'agence média de générer de la croissance de chiffre d'affaires, au delà de seules économies.
PublicitéCIO : Havas Media Group a mis en oeuvre la stratégie DDOG. Pouvez-vous nous expliquer en quoi elle consiste ?
Raphaël de Andréis : DDOG signifie Data Driven Organic Growth. Nous croyons en effet à la capacité de générer de la croissance organique du chiffre d'affaires de nos clients à partir des données que nous traitons. Il ne s'agit pas seulement d'améliorer le retour sur investissements ou de baisser les coûts mais bien -j'insiste- de générer de la croissance de chiffre d'affaires, de générer de la valeur.
L'analyse de données est le coeur historique d'une agence média. Il s'agit en effet de définir les cibles d'une communication, puis l'affinité de supports avec ces cibles pour y acheter de l'espace publicitaire. Il faut définir, par exemple, si l'on va s'adresser aux clients réguliers, aux prospects ou aux clients irréguliers puis de savoir quel moyen va être le plus adéquat pour toucher la cible voulue. Il s'agit donc de dépenser un budget défini à l'avance de la manière la moins maladroite possible alors que la précision des données traditionnelles est très faible. Jadis, il fallait se contenter des mesures d'audience assez basiques sur les grands médias.
Notre métier a été clairement transpercé par le digital.
CIO : Justement, si le traitement de données est le coeur historique de l'activité de toutes les entreprises de votre secteur, en quoi DDOG est-il spécifique ?
Raphaël de Andréis : Le digital permet de gérer plus finement le comportement du consommateur et sa consommation des supports (comme son parcours sur un site web par exemple). Nos concurrents misent sur l'augmentation de la précision des données. Bien sûr, nous faisons de même mais, en plus, nous mettons l'accent sur l'intégration des données on-line/off-line. Sur un budget classique d'un grand compte opérant auprès du grand public, le off-line représente encore aujourd'hui le plus souvent 70-80% du total et c'est donc évidemment important.
DDOG consiste à embrasser toutes les sources de données : l'audience des médias, les données de surf sur mobile, la probabilité de croiser un panneau dans la rue, etc. Les données sont par principe très hétérogènes. A partir de ces données, nous raffinons des scénarii petit à petit en modélisant les comportements et en vérifiant les modèles au fur et à mesure.
CIO : A qui appartiennent ces données et ces modèles ? Sont-ils vos actifs ?
Raphaël de Andréis : Non. Nous avons une logique de conseil dédié. L'apprentissage issu des données appartient au client qui commandite notre intervention. Nous avons acquis il y a deux ans une start-up, MFG Labs, qui a parmi ses fondateurs un titulaire de Médaille Fields. Nous avons ainsi obtenu une capacité à produire des algorithmes pour faire parler des données très hétérogènes en les agrégeant de la façon la plus pertinente possible. A partir de là, nous fournissons à nos clients ce qui va l'aider à prendre une décision.
Les données de base peuvent parfois nous appartenir, parfois appartenir à nos clients, ou encore, plus classiquement, appartenir à des tiers comme Médiamétrie ou Google.
PublicitéCIO : Concrètement, constatez-vous des effets réels de cette exploitation des données ?
Raphaël de Andréis : Havas Media Group travaille avec une quarantaine de marques avec DDOG. Selon les cas, on a obtenu de 5 à 12% du budget en gisements d'économies ou de pertinence pour accroître le chiffre d'affaires généré par ces clients.
Nous pouvons ajuster nos achats d'espaces publicitaires pour toucher les profils hautement qualifiés les plus pertinents et réduire les investissements ailleurs. Sur le digital, nous pouvons réagir en temps réel, notamment aux enchères. Nous avons réinventé notre métier en devenant de ce fait le partenaire de la performance de nos clients.
Et nous avons la chance de travailler dans un groupe intégré, avec notamment des agences de publicité. Si nous connaissons de plus en plus la personne à qui l'on parle, on peut aussi adapter le message qui lui est adressé. Si un jeune père d'un troisième enfant a visité trois fois des sites web vendant des monospaces, peut-être faut-il lui adresser un message plus incitatif que la publicité grand public sur l'un ou l'autre des monospaces.
CIO : Qu'attendez-vous du DSI d'Havas Media Group pour vous aider à mettre en oeuvre votre stratégie ?
Raphaël de Andréis : J'attends de lui que le back office permette une intégration de données en totale fluidité et en parfaite sécurité. Mais ceux qui sont vraiment à la manoeuvre sur les données elles-mêmes sont les data scientists, pas le DSI.
On peut résumer ma demande de la manière suivante : les problèmes informatiques ne doivent en aucun cas impacter des problématiques métier par nature toujours nouvelles.
J'attends également de notre DSI qu'il sache, lorsque c'est pertinent, travailler en mode start-up.
CIO : Comment se déroule votre intégration de données ?
Raphaël de Andréis : Nos systèmes peuvent parfois se connecter aux systèmes d'information de nos clients. Il s'agit toujours de prises de flux mais sans jamais d'action en retour. Par exemple, il peut s'agir des stocks ou des tickets de caisse.
La connexion peut être temps réel ou en mode batch. Parfois, il suffit de décaler de deux heures l'arrivée d'un flux au lieu de le prendre en temps réel pour éliminer 90% des problèmes, notamment de sécurité, sans qu'il y ait de véritable incidence métier. Il faut savoir faire ce genre de compromis. En effet, il vaut mieux commencer rapidement avec une solution pas nécessairement parfaite (mais tout de même dix fois meilleure que tout ce qui se faisait avant) que de risquer de se faire doubler par une start-up qui aura simplement fait plus vite.
CIO : Si vous devez faire le choix entre une nouvelle fonctionnalité et une meilleure sécurité, que choisissez-vous ?
Raphaël de Andréis : Sans hésiter, la nouvelle fonctionnalité. 80% de l'information est faussement stratégique. Par exemple, en quoi le stock en automobiles du concessionnaire de Melun est-il réellement stratégique ? Pourtant, cette information va nous permettre de mettre en avant des messages appropriés pour accroître les ventes sur les véhicules en stock localement.
Par contre, 20% de l'information est réellement stratégique. Il faut arrêter de diluer les efforts de sécurité sur 100% de l'information et se concentrer sur ces 20%. Cela permet, en plus, de laisser de la flexibilité sur les 80% pour créer de la valeur. Si l'on sécurise tout partout, on ne fait plus rien !
A l'heure de l'open-data, il y a davantage de gens qui croulent sous les données que de personnes risquant de se faire voler des données sensibles.
CIO : En dehors des data scientists, pensez-vous nécessaire de distinguer un responsables des données (CDO, Chief Data Officer) du DSI (ou CIO, Chief Information Officer) ?
Raphaël de Andréis : Chez nous, la réponse est oui. Il faut en effet distinguer deux regards complémentaires sur les données. D'un côté, il y a le monde du marketing autour de la donnée. De l'autre, il y a des enjeux et des capacités techniques pour avoir un système d'information fluide, agile et sécurisé.
Pour servir une Formule 1, faut-il un pilote ou un mécanicien ? La réponse est : il faut les deux.
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
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