Rapatrier vos applications depuis le cloud, plus facile à dire qu'à faire
Après avoir poussé à fond les applications et les données vers le cloud au cours de la dernière décennie, certaines entreprises, déçues des résultats, envisagent maintenant une migration inverse, au moins pour une partie des applications. Une opération qui doit être étudiée avec soin.
PublicitéLa plupart des responsables IT ont transféré certains de leurs actifs vers le cloud pour obtenir des services de calcul et de stockage plus performants ou moins chers. Ils espèrent également bénéficier de l'expertise des fournisseurs de cloud, expertise qu'il n'est pas facile pour les entreprises de développer et de maintenir en interne, à moins d'être soi-même un fournisseur de technologie.
« Si la puissance de calcul et les coûts du matériel sont moins élevés sur le cloud, votre approche ne vous permettra peut-être pas de profiter de ces économies », nuance toutefois Neal Sample, consultant et ancien DSI de Northwestern Mutual, une mutuelle américaine. « Par exemple, si vous déplacez le front-end d'une application vers le cloud, mais laissez le back-end dans votre datacenter, alors tout d'un coup vous payez pour deux infrastructures. »
Autre raison de la déception de certaines entreprises dans leur migration cloud : le choix d'une approche lift and shift, ne permettant pas aux applications de bénéficier des avantages du cloud, comme l'élasticité. « Une bonne application élastique n'arrive pas par magie, dit Neal Sample. Elle doit être écrite en natif pour AWS ou pour une autre plateforme ». Un écueil que souligne également Olivier Rafal, directeur du conseil stratégique de Weenvision, appartenant au groupe Sfeir : « Utiliser le cloud comme on avait recours à l'IT traditionnelle, via une approche lift and shift consistant à déployer des VM sur le cloud à l'identique, coûte forcément plus cher. »
Profiter du cloud signifie accepter une forme de dépendance
Le dilemme ? Vous ne bénéficiez jamais vraiment du passage au cloud sans utiliser des fonctions natives de ces plateformes. Et, dans ce cas, vous pouvez vous retrouver piégé, lié non seulement au cloud, mais à un fournisseur en particulier. « Il y a beaucoup de différences entre un AWS, par exemple, et un Azure, ajoute Neal Sample. Utiliser les fonctions natives de l'un ou de l'autre peut vous enfermer sur un environnement spécifique. Mais, d'un autre côté, vous ne profiterez pas réellement du potentiel du cloud tant que vous n'aurez pas réarchitecturé votre application pour celui-ci - et cela signifie utiliser des fonctions natives. »
Une troisième raison pour laquelle certaines entreprises se disent déçues de leur migration réside dans le manque de contrôle sur leurs systèmes d'information. C'est particulièrement vrai dans les secteurs fortement réglementés, tels que les services financiers et la santé, où les entreprises peuvent être tenues pour responsables en cas de non-conformité. De même, les grands agrégateurs de données ressentent le besoin de contrôler leur patrimoine informationnel, car ils ne veulent pas laisser leur activité principale entre les mains d'un fournisseur de cloud.
Publicité« La dernière chance pour optimiser la structure de coûts »
Dans l'ensemble, la déception provient d'une mauvaise planification la plupart du temps. Gartner a prodigué des conseils dans ce domaine - tout récemment dans The Cloud Strategy Cookbook, 2023 - qui peuvent être résumés comme suit : développer une stratégie de cloud, idéalement avant toute migration ; mettre régulièrement à jour ladite stratégie, en gardant une trace de ces évolutions dans un document vivant ; et aligner votre stratégie sur les objectifs commerciaux. De nombreuses entreprises qui ont ignoré ces conseils n'ont pas réussi à tirer parti les avantages espérés du cloud. En conséquence, certaines ont décidé de rapatrier des actifs sur leurs infrastructures, et nombre d'entre elles le font avec une planification tout aussi médiocre.
Le rapatriement d'applications depuis le cloud n'est pas un processus facile - quelle que soit la région où vous vous trouvez. « Il s'agit généralement d'un effort de la dernière chance pour optimiser la structure de coûts de l'entreprise », observe Sumit Malhotra, DSI de la société de technologie Time Internet en Inde. « Réussir une telle transition nécessite une compréhension technique approfondie des applications, des compétences dans plusieurs technologies et un sponsoring de la direction pour amortir l'éventuel impact négatif sur l'expérience utilisateur au moment de cette transition. Ce voyage n'est pas pour les âmes sensibles ».
Ne pas négliger le coût du changement
Il est particulièrement périlleux pour les petites entreprises, tout simplement parce que, à leur échelle, les économies ne valent souvent pas la peine. Pourquoi acheter de l'immobilier et du matériel informatique et payer des salaires supplémentaires uniquement pour économiser un montant relativement faible ? En revanche, les très grandes entreprises ont l'envergure nécessaire pour rapatrier des applications depuis le cloud, mais le veulent-elles ? « Est-ce que Visa, American Express ou Goldman Sachs veulent se préoccuper d'infrastructures informatiques ?, interroge Neal Sample. Veulent-ils essayer d'engranger un gain modeste en se risquant hors de leurs domaines de compétences ? ».
Et il ne faut pas oublier de comptabiliser le coût du changement dans le calcul économique. Un gain marginal sur le fonctionnement en production en rapatriant une application sur site peut être rapidement compensé par le coût du changement, qui comprend la perturbation de l'activité et la perte d'opportunités de consacrer les ressources mobilisées sur le projet à d'autres initiatives, potentiellement plus susceptibles de générer des revenus. Le retour sur site d'une application majeure peut également entraîner des temps d'arrêt, planifiés ou non. « Une transition sans heurts est rarement possible lorsque l'on revient à une infrastructure privée, estime Neal Sample. Et c'est une préoccupation majeure à une époque où les métiers s'attendent à une disponibilité 24/24, 7/7. »
Rapatrier : un sport réservé aux entreprises de la tech ?
Indépendamment de ces éléments, lorsqu'un grand nom rapatrie ses applications, l'information circule. Dropbox a ainsi fait parler du sujet lorsqu'il est sorti du service de stockage AWS au profit de sa propre infrastructure, conçue sur mesure à partir de 2015. L'entreprise a fait état d'une réduction des coûts de près de 75 millions de dollars dès les deux premières années suivant la transition (39,5 M$ d'économies en 2015 à 2016 et 35,1 M$ supplémentaires en 2017).
Plus récemment, en octobre 2022, la société de logiciels Web 37signals a suivi la même voie. Son directeur technique et cofondateur David Heinemeier Hansson a annoncé dans un billet de blog qu'elle allait transférer ses deux principales plates-formes - Basecamp (gestion de projet) et HEY (messagerie électronique par abonnement) - hors du cloud d'AWS. Cependant, Web 37signals n'a pas l'intention de gérer son propre centre de données, mais a fait le choix de travailler avec un hébergeur.
Deux exemples qui illustrent ce qu'Olivier Rafal considère comme un cas particulier : celui des sociétés spécialisées dans la technologie. « Quand on assiste à des rapatriements, ils sont généralement le fait d'entreprises de ce secteur, remarque-t-il. Pour les autres, il n'y a pas de valeur ajoutée à prendre en charge les couches technologiques basses : pourquoi perdre des mois à mettre en oeuvre sa propre infrastructure Kafka par exemple ? Sans oublier que cela signifie que, sur le marché de l'emploi, il va falloir se battre avec les fournisseurs de cloud notamment pour recruter les compétences spécialisées. »
Une vaguelette, pas un tsunami
« Je pense que ce phénomène de sortie du cloud va continuer à se produire, mais ce sera plus une vaguelette qu'un tsunami, prédit Neal Sample. Les entreprises continueront à déplacer des applications dans le cloud sans être prêtes à le faire. Elles seront alors tentées de faire machine arrière. » D'autant que, dans le même temps, le cloud se fait plus flexible et la portabilité entre cloud plus pratique. A mesure que la technologie s'améliorera, le tentation du rapatriement risque bien de s'amenuiser.
Article rédigé par
Par Brans, IDGNS (adapté par Reynald Fléchaux)
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