Pour inspecter ses ouvrages confinés, Eau de Paris combine drones et IA

Afin de renforcer la sécurité de ses équipes chargées d'inspecter les galeries souterraines, Eau de Paris a expérimenté l'usage de drones associés à de l'intelligence artificielle, faisant appel à Lynxdrone pour développer une solution sur mesure.
PublicitéEau de Paris est l'entreprise publique chargée de produire et de distribuer l'eau potable qui alimente la capitale. Elle veille à la fois à la qualité et à la quantité d'eau fournie. Pour acheminer l'eau, l'entreprise gère plus de 2 000 km de canalisations dans Paris intra-muros, qui passent à la fois dans des galeries lui appartenant et dans les égouts de Paris. Les galeries en propre représentent environ 125 km de linéaires, auxquels s'ajoutent 470 km d'aqueducs en dehors de la capitale. Les missions d'Eau de Paris incluent également l'entretien de ce patrimoine, qui est régulièrement inspecté pour vérifier la présence de fissures, infiltrations d'eau et autres signes de vieillissement. Ces inspections peuvent néanmoins se révéler risquées ou difficiles pour les collaborateurs, en particulier dans les milieux confinés. Souhaitant minimiser les risques pour ses employés, l'entreprise a lancé en 2019 un défi innovation afin de trouver des solutions plus sécurisées. Remporté par la société Lynxdrone, ce défi a permis à Eau de Paris d'expérimenter l'usage de drones pour visiter les galeries, couplés à de l'intelligence artificielle (IA) afin de détecter automatiquement les défauts. Sébastien Popot, responsable de l'unité de projet diagnostic au sein du pôle diagnostics et génie civil d'Eau de Paris, ainsi que Jad Rouhana, fondateur et PDG de Lynxdrone, reviennent sur cette collaboration, les enjeux rencontrés et les réponses apportées.
Pour assurer ses différentes missions, Eau de Paris est organisé en plusieurs directions. La gestion du réseau et les travaux d'une certaine importance sont confiés à la direction d'ingénierie et de patrimoine (DIP), tandis que l'entretien courant est réalisé par les directions exploitantes (production et distribution). Au sein de la DIP, l'unité chargée des diagnostics est sous la responsabilité de Sébastien Popot. Elle compte huit personnes, dont l'objectif principal est de visiter les ouvrages confinés. « Ceux-ci présentent des risques spécifiques, comme le manque d'oxygène ou la présence de sulfure d'hydrogène et d'autres gaz toxiques », explique Sébastien Popot. Quand Eau de Paris a lancé son défi innovation, l'enjeu était de pouvoir inspecter ces galeries confinées sans y envoyer d'agents, tout en repérant et localisant les défauts sur les ouvrages de génie civil. Pour détecter les fuites sur les canalisations, Eau de Paris dispose en effet déjà d'une technologie acoustique efficace. Dans ce contexte, les drones sont rapidement apparus comme la solution la mieux adaptée, mais ils devaient répondre à un certain nombre de critères. Il fallait notamment une autonomie suffisante pour parcourir entre 100 et 150 mètres de galeries, dans des conditions plus difficiles que dans les espaces extérieurs : absence de luminosité, humidité, etc. Les drones devaient également pouvoir géolocaliser les défauts sans disposer de GPS, mais aussi les reconnaître automatiquement à travers un traitement d'image.
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L'objectif de l'expérimentation menée par Eau de Paris avec Lynxdrone était de sécuriser l'inspection des galeries pour les agents.
Comprendre le milieu où les drones évoluent
Au total, une dizaine de réponses ont été reçues. Parmi les propositions, le jury qui rassemblait des représentants d'Eau de Paris et d'autres services de la ville a retenu celle de Lynxdrone. Celle-ci répondait aux critères en termes d'autonomie et de géolocalisation, mais elle se différenciait des autres en proposant de développer un drone spécifique plutôt que d'utiliser une solution existante. « Ce qui nous intéressait, c'était le résultat plutôt que la technologie », pointe Sébastien Popot. Une fois le choix effectué, les deux entreprises se sont lancées dans une expérimentation conjointe. Initialement prévue sur un an et demi, celle-ci a été prolongée en raison de la crise sanitaire. Durant celle-ci, deux équipes ont travaillé en parallèle. L'une s'est concentrée sur le drone, testant celui-ci sur des galeries courantes d'Eau de Paris afin de comprendre les enjeux et les problématiques. L'autre s'est penchée sur la reconnaissance automatique des défauts, en s'appuyant sur la base de données de photos de dégradations d'Eau de Paris. Lynxdrone a testé l'ensemble des solutions techniques existantes en termes de communication, de relais ou d'acquisition de données, alternant le développement et les tests. « Nous avons dès le début décidé de faire des itérations de type test & learn », explique Jad Rouhana. « Cela nous a permis de tester une panoplie de technologies qui marchaient dans les milieux classiques, mais pas du tout dans des galeries souterraines. Il était très important de comprendre le milieu dans lequel évolueraient les drones, pour faire évoluer la solution vers quelque chose de plus robuste. »
Cette approche a permis d'abandonner un certain nombre de préjugés techniques, pour construire une solution vraiment adaptée aux contraintes d'Eau de Paris. Un des critères était de pouvoir rajouter des capteurs sur les drones, pour détecter par exemple la présence de gaz H2S et géolocaliser les zones dangereuses, en vue de préparer et sécuriser les futures descentes. « Un tel capteur peut être remplacé par d'autres en fonction des besoins », note Jad Rouhana. La finalité est en effet de concevoir une solution industrielle, capable de répondre à un usage quotidien. Dans cette optique, le traitement des données est tout aussi important que la dimension hardware. « Les deux vont de pair : les capteurs définissent un grand nombre de paramètres qui influencent ensuite fortement l'intelligence artificielle », souligne Jad Rouhana. La précision sur la reconnaissance des défauts dépend aussi de l'endroit où se trouve le drone, la collecte et la capture d'images se révélant plus difficiles dans certaines circonstances. Il était donc essentiel d'entraîner l'IA pour différents milieux. Un autre enjeu était de pouvoir traiter en temps réel certains éléments. Un premier niveau de traitement intervient en local, afin de détecter immédiatement des fissures et autres défauts. Un second niveau est effectué sur les flux vidéo retour. « Pour gagner du temps pendant les missions, une personne surveille les retours vidéo et crée les rapports directement. Ces agents sont assistés par IA, grâce à une base de données locale sur ordinateur. Chaque inspection est classée et répertoriée afin de faciliter les interrogations ultérieures, le but étant aussi de s'interfacer à d'autres outils de digitalisation dans le futur », détaille Jad Rouhana.
Un pilotage en mode semi-autonome
Du côté des agents d'Eau de Paris, l'expérimentation a été perçue comme une évolution du métier plutôt que comme un changement complet. Pour différentes raisons, les drones sont pilotés par un agent en surface, tandis qu'une antenne est descendue dans la galerie pour étendre le signal réseau, qui utilise la fréquence classique de 2,4 GHz. En fin de mission, le drone peut être récupéré au même endroit ou à un autre point d'accès aux galeries, mais dans tous les cas il y a un pilote. « Nous avons fait en sorte de simplifier au maximum le pilotage. Plusieurs capteurs sont ajoutés afin que le drone soit semi-autonome, de façon que les agents puissent se concentrer sur le diagnostic », indique Sébastien Popot. Ces capteurs capturent en 3D l'environnement dans lequel évolue le drone, en vue d'automatiser au maximum le pilotage. « Nous travaillons sur le fail safe, afin de permettre la prise de décision au moment précis où le drone rencontre une difficulté. Dans des environnements très complexes comme les galeries, il faut étudier toutes les possibilités. L'enjeu est d'éviter que le drone soit bloqué et qu'il puisse revenir à sa base, d'où ce mode semi-autonome », commente Jad Rouhana. Pendant l'expérimentation, les équipes de Lynxdrone ont développé un simulateur pour le pilotage de drone, afin que les équipes appréhendent la technologie et vérifient que la simplicité est au rendez-vous.
Aujourd'hui le drone, dénommé Lynx1, est en phase d'industrialisation. Eau de Paris commence à exploiter les données collectées pour affiner la reconnaissance des défauts en temps réel. La brique d'IA est déjà utilisée dans d'autres cas d'usages, notamment l'inspection des égouts, afin de tester et renforcer le modèle sur des images encore jamais rencontrées par l'algorithme et des défauts différents. Les deux partenaires se sont également rapprochés de sociétés fabriquant des capteurs, Eau de Paris testant d'ailleurs certains produits en avant-première. L'orientation adoptée dès le début, avec un développement par briques technologiques, se révèle clef pour faire évoluer les solutions, voire construire différentes solutions répondant aux mêmes objectifs. « Ce que nous avons appris avec le drone volant, nous pouvons le recycler et le répliquer par exemple dans un drone roulant, capable d'avoir plusieurs kilomètres d'autonomie », illustre le PDG de Lynxdrone. La digitalisation de l'inspection des ouvrages ouvre aussi la voie à la maintenance prédictive, en mettant à disposition des données qualifiées. « L'idée est de suivre le vieillissement de nos ouvrages grâce à ces technologies, plus précises que les relevés visuels », explique Sébastien Popot. Aujourd'hui, le degré d'ouverture et les dimensions des fissures sont laissés à l'appréciation des agents. Le projet peut apporter des données plus objectives sur l'évolution des dégradations dans le temps. « Nous voulons intégrer ces données à notre système d'information géographique afin de pouvoir effectuer un suivi, quel que soit l'agent qui a fait l'inspection, avec une précision accrue dans les relevés », poursuit le responsable.
Un intérêt pour d'autres publics
Pour Eau de Paris, de tels drones répondent en premier lieu à l'exigence de sécurité pour les collaborateurs. Jusqu'à présent, chaque inspection mobilisait en effet cinq agents, deux en surface pour sécuriser les accès et les trois autres dans les galeries, qui inspectaient 200 à 300 mètres de galeries par demi-journée. Le prototype mis en oeuvre permet d'ausculter plus de cent mètres linéaires de galerie, avec une autonomie d'environ 20 minutes. À terme, le dispositif pourrait également permettre de visiter davantage de linéaires de galeries avec la même équipe. Si la solution s'adresse aux agents chargés des diagnostics, elle présente aussi un intérêt pour les équipes d'exploitation, afin qu'elles aussi puissent réaliser des visites et couvrir davantage de linéaires. « Les exploitants ne sont pas forcément experts dans la dégradation des ouvrages, mais grâce aux drones et à l'IA embarquée, ils pourront nous faire remonter des informations », souligne Sébastien Popot. Si les drones visent principalement à inspecter les galeries souterraines, ils peuvent aussi répondre à certains besoins sur le réseau d'aqueducs. Si la visite de ces ouvrages ne présente pas le même niveau de risque, certains aqueducs secondaires disposent de galeries dont la hauteur sous plafond ne dépasse pas 1m40. Le recours aux drones éviterait ainsi aux agents de travailler dans des conditions inconfortables. Le projet est également suivi de près par la section de l'assainissement de Paris, qui faisait d'ailleurs partie du jury initial. « De leur côté, il s'agit également de surveiller l'état du génie civil, ainsi que le bon fonctionnement hydraulique des ouvrages, en détectant par exemple la corrosion sur des pièces de ferronnerie. Aujourd'hui l'IA a été entraînée pour reconnaître des fissures ou des traces d'oxydation apparentes sur le béton, mais elle peut être entraînée pour intégrer la reconnaissance de vannes ou d'autres éléments », estime Sébastien Popot.
Article rédigé par

Aurélie Chandeze, Rédactrice en chef adjointe de CIO
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