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Pour Bruno Marie-Rose, DSI de Paris 2024 : « Un événement comme les JO ne se déroule pas toujours comme prévu »

Pour Bruno Marie-Rose, DSI de Paris 2024 : « Un événement comme les JO ne se déroule pas toujours comme prévu »
Bruno Marie-Rose, directeur de la technologie et des systèmes d'information de Paris 2024, a été élu Personnalité IT 2024 par les lecteurs du Monde Informatique. (Photo : Bruno Levy)

Le directeur de la technologie et des systèmes d'information du comité d'organisation des JO Paris 2024, Bruno Marie-Rose, a été élu Personnalité IT 2024 par les lecteurs du Monde Informatique. Il a répondu à nos questions sur le bilan IT de Jeux d'été, sur ses enseignements, et son héritage.

PublicitéAprès Olivier Vallet, Pdg de Docaposte en 2023, les lecteurs du Monde Informatique ont sacré Bruno Marie-Rose, directeur de la technologie et des systèmes d'information de Paris 2024, Personnalité IT de l'année. L'ancien athlète partage le podium avec Emilie Sidiqian, présidente de Salesforce France, et Philippe Luc, co-fondateur d'Anozr Way. La rédaction a recueilli les impressions de celui qui a piloté le volet informatique du comité d'organisation des JO de Paris.

Le Monde Informatique : Les lecteurs vous ont nommé Personnalité IT 2024, quel est votre sentiment ?

Bruno Marie-Rose : Je suis évidemment très fier et très honoré de cette nomination. J'ai déjà eu l'occasion d'avoir eu des récompenses dans le monde sportif mais, dans le domaine professionnel, celle-ci montre l'évolution du regard sur le sport ces dernières années. On peut être sportif et avoir des responsabilités de haut niveau dans le monde professionnel. Le comité d'organisation symbolise un peu tout cela sous l'impulsion de Tony Estanguet qui a su donner une vision. Je suis par ailleurs ravi d'avoir été dans la liste auprès de candidats de renom comme Emilie Sidiqian, de Salesforce France [NDLR : deuxième du classement], avec qui nous avons beaucoup travaillé. Il s'agit aussi d'un succès collectif avec des équipes formidables qui m'ont supporté pendant 6 ans, avec un niveau d'exigences certainement lié à mon passé de sportif de haut niveau.

Les Jeux olympiques et paralympiques 2024 ont été un succès. Est-ce que cela a été un succès aussi dans le domaine IT ? Est-ce que tout s'est bien passé ?

Il s'agit de grands événements et aucun grand événement ne se déroule à 100% comme prévu. Nous avons des outils pour remonter les événements et nous en avons géré environ 15 000 pendant les Jeux. Ceux classifiés sévérité 1, qui nécessitent une escalade et une mobilisation, ont été au nombre d'une quarantaine. Pour ceux nécessitant une mobilisation de gestion de crise, il y en a eu deux. Le 14 juillet, nous avons eu un incident télécom qui a été résolu par l'opérateur, mais cela a touché l'ensemble de l'écosystème olympique. Cela nous a permis de gérer une crise liée à l'IT.

Le second est lié à la panne Microsoft/Crowdstrike avec un impact opérationnel, car toutes les délégations étaient arrivées. Par exemple, le centre des accréditations était devenu inopérant avec des queues qui débordaient sur les trottoirs. C'est dans ce type de situation que l'on voit la capacité des équipes à réagir, à ne pas paniquer et les bénéfices d'une préparation en amont. Juste avant la cérémonie d'ouverture, nous avons eu quelques frémissements dans le domaine du spectre [radio] avec des incompatibilités de fréquences et des réorientations d'antennes. Une fois ce cap passé, nous sommes entrés dans la compétition et ce qui prime dans l'IT, c'est la technologie de l'évènement avec des sujets à gérer autour du scoring, de l'affichage.

PublicitéAvez-vous vu une augmentation des accès aux sites web et de la consommation des contenus ?

Oui. Il y a eu une très forte demande d'accès à nos outils numériques avec une multiplication par 10 ou 15 par rapport aux JO de Tokyo. Cela montre l'appétence de plus en plus forte pour ces outils. Un autre enseignement est que les utilisateurs consomment de plus en plus de data. Cela a généré quelques difficultés sur le flux des résultats, mais cela ne s'est pas vu lors des compétitions. Des situations qui ont demandé aux équipes IT de réagir, de redimensionner et de surveiller. C'est là où l'on voit l'importance d'avoir un centre des opérations avec la capacité de travailler en équipe. Et il faut miser sur la capacité humaine à réagir plutôt que de vouloir tout anticiper.

Est-ce que l'ensemble de ces événements vont faire l'objet de retour d'expérience pour apprendre et se perfectionner ?

Oui cela fait un mois que nous préparons des retours d'expérience et nous les avons présentés à Los Angeles, qui accueillera les Jeux olympiques et paralympiques en 2028. Il s'agit d'un transfert de connaissance comportant, notamment, une partie technologique. Il faut arriver à trouver ce qui potentiellement peut être récurrent et donc se reproduire lors de prochains évènements versus d'autres choses qui étaient spécifiques à Paris. Nous avons l'humilité d'y aller pour transmettre les ingrédients pour livrer des jeux, mais pas en donneur de leçon.

Vous êtes partis sur une architecture cloud, a-t-elle a donné satisfaction ?

Oui, même si, dans l'histoire, nous avons dû opérer un cloud privé pour gérer les données sensibles [NDLR : en parallèle du cloud public d'Alibaba Cloud, partenaire du CIO]. L'architecture cloud et les compétences qui vont avec permettent de libérer du temps d'ingénierie pour se consacrer à autre chose. Un autre élément qui montre la force de la marque olympique, nous avons réussi à geler des mises à jour majeures de certains acteurs pendant la durée des jeux pour éviter un risque, comme dans le cadre de Crowdstrike.

Sur les compétences et les ressources humaines, combien étiez-vous au plus haut de la compétition et quelle est l'expérience qu'en retirent les équipes ?

Sur l'ensemble du périmètre de la technologie au moment des Jeux, ce sont 5 300 personnes, dont le gros des troupes est venu des partenaires. Environ 1 500 personnes ont participé au pilotage des équipes tech sur l'ensemble des sites. Aujourd'hui, il en reste une trentaine. Les personnes ont vécu une expérience extraordinaire. C'est probablement le projet d'une carrière, mais qui demande un accompagnement fort pour l'après. Paris 2024 a travaillé sur ce sujet en accompagnant notamment les jeunes, qui veulent majoritairement continuer dans le sport. Mais au-delà de l'aventure professionnelle, ils ont vécu une aventure humaine et on sent une véritable entraide, une ouverture de réseau pour échanger sur les opportunités et les CV.

En matière d'innovation, quels éléments retenez-vous ?

La 5G privée, la billettique numérique, tous ces éléments ont permis la livraison de l'évènement. Après des choses comme l'utilisation de la tablette d'accessibilité lors de la finale de cécifoot par un chanteur non-voyant [Gilbert Montagné] et des ministres ont donné une notoriété différente à la technologie. Il y a aussi des éléments d'innovation qui nous ont aidés, mais qui étaient moins visibles, comme les premières briques d'intelligence artificielle pour la sélection des CV des volontaires ou les solutions de nos partenaires en cybersécurité pour la détection et l'élimination des faux-positifs.

On parle beaucoup de l'héritage des jeux, pouvez-vous nous en dire plus ?

Par exemple, dans le domaine de la cybersécurité, nous avions mis en place avec nos partenaires, et en collaboration avec l'Anssi, une protection à l'état de l'art. Nous n'avons pas eu d'attaques majeures, mais quelques sujets de préoccupation, comme des campagnes de DDoS et l'arrestation de Pavel Durov [le CEO de Telegram] entre les deux olympiades a provoqué quelques mécontentements. Certaines fédérations sportives ont été attaquées et nous avons pu les aider. Cela participe à l'héritage. Avec un évènement comme le nôtre, nous disposions de compétences pointues et il faut qu'elles se diffusent. C'est valable aussi sur le développement durable, où des éléments sur la part du numérique vont être bientôt dévoilés et les bonnes pratiques sont inscrites maintenant dans la feuille de route du CIO pour les prochains comités d'organisation.

En temps que DSI, quels sont les enseignements que vous retirez de cette aventure ? Y a-t-il des choses que vous regrettez ?

Le sujet cloud privé a pénalisé pendant plus d'un an la feuille de route technologique afin de trouver une solution sur le sujet RGPD et la souveraineté des données. Sur une feuille de route de 6 ans, sans ce blocage d'un an, nous aurions pu aller plus loin dans un certain nombre de domaines, de préparations, d'anticipations. Sinon, c'est du côté du management que j'en retire des enseignements, il y a un côté équilibriste permanent, c'est-à-dire prendre des décisions sans être à sûr 100% et capitaliser sur l'expertise de gens. Tout en les challengeant sur un environnement qui change très vite. Il faut être capable de détecter tout ce qui tourne autour du questionnement.

Par ailleurs, il y a eu des interrogations sur comment travailler auprès du comex. Quelles sont les actions internes mises en place pour créer un cercle de confiance entre l'IT et les métiers, et faire en sorte de trouver un terrain commun ? Et ce cercle de confiance va au-delà de l'entreprise, notamment celui que nous avons pu bâtir avec les parties prenantes de Paris 2024, les partenaires, l'État... C'est finalement la question de la gestion du changement qui est posée avec l'identification en interne - quel que soit le niveau hiérarchique - d'agents du changement. Enfin, à titre personnel, j'ai eu plaisir à établir ce lien entre mon passé sportif et le monde de l'entreprise tout en montrant que la DSI apporte une valeur ajoutée et n'est pas un centre de coût.

Quelles évolutions imaginez-vous dans l'IT et quel sera votre avenir ?

Sur mon avenir, je vais relever d'autres challenges dans le domaine de l'IT et du sport dans les prochains mois. Sur les évolutions, je pense que les apports de l'IA vont être clef à plusieurs niveaux. Les entreprises vont vouloir gagner en efficacité avec des interrogations sur la confidentialité et la sécurité des données. Le CIO y réfléchit aussi. Si nous avions eu un LLM en interne pour pouvoir l'interroger avec des questions du type 'je suis à 4 ans de l'évènement, peux-tu m'aider ?', cela nous aurait probablement renforcé notre accompagnement. Par ailleurs, il y a un défi sur l'IA avec les données des jeux, car nous allons être de plus en plus dans l'optimisation de la ressource au sens large et, sans aide, nous allons systématiquement les dimensionner pour des pics avec des dérapages de coût. Il va donc y avoir plus d'IA pour les jeux à Los Angeles et encore davantage à Brisbane [en Australie] en 2032.

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