Philippe Doublet (Pomona) : « priorité à la fiabilité avec des investissements à long terme »


Délivrer le meilleur service pour les métiers
L'IT est un service support transverse. Son utilité est donc de délivrer le meilleur service aux utilisateurs. Le rôle de l'ITSM est évidemment essentiel. Mais cela ne suffit pas : démonstration au travers de témoignages de DSI qui ont mis l'utilisateur au coeur de leur stratégie, dans des...
DécouvrirDepuis 2012, Philippe Doublet est le DSI de Pomona, l'un des plus importants distributeurs B2B alimentaires pour la restauration et les détaillants, membre du Cigref et de l'USF. Il est un DSI chanceux, de son propre aveu, bénéficiant d'une politique d'investissement à long terme avec une grande cohérence. Et une exigence fondamentale : la fiabilité. Ce qui ne veut pas dire que le Digital ne se fraie pas un indispensable chemin, apportant de l'agilité dans un SI évoluant régulièrement avec des cycles en V. Le système d'information de Pomona, largement basé sur SAP, comprend également de multiples applications métier.
PublicitéCIO : Comment s'organise le groupe Pomona et, plus particulièrement, la responsabilité de son système d'information ?
Philippe Doublet : Pomona est un Groupe indépendant très décentralisé avec des Directions Régionales dont les dirigeants sont de vrais chefs d'entreprises, même s'ils sont salariés, largement autonomes pour la GRH, les finances, les achats, la logistique, les ventes, etc. Ils s'appuient évidemment sur les expertises du siège.
Par contre, l'informatique est totalement centralisée, y compris pour la définition du poste de travail. Nous n'avons pas de soucis d'installation de logiciels ou d'utilisation de SaaS discrètement par une direction métier : ce n'est pas la culture maison. Récemment, un fournisseur IT a démarché la DAF. Le Président l'a immédiatement renvoyé vers la DSI.
CIO : Comment est construit votre système d'information ?
Philippe Doublet : Concernant le back office, 80 % du chiffre d'affaires est géré sous SAP ECC 6 sur base Oracle. Notre déploiement a démarré en 2006 et nous sommes aujourd'hui l'un des grands clients de l'éditeur dans l'alimentaire en France. Nous sommes membres de l'USF [club des Utilisateurs de SAP Francophones, NDLR]. Nous utilisons aussi quelques progiciels très verticaux pour des petites activités avec un vrai soucis de pragmatisme.
En surcouche, nous utilisons des outils périphériques tels que la GRC Selligent. Nous disposons également de logiciels métier très particuliers, par exemple le logiciel de gestion de tournées de nos camions.
CIO : Et côté front-office, votre client a-t-il un accès à votre système d'information ?
Philippe Doublet : Nous sommes en pur B2B. Or ce secteur est en retard par rapport au B2C en matière de digital, d'accès direct par les clients au Système d'Information de leurs fournisseurs.
Ce qui présente des avantages et en particulier celui de pouvoir tirer les leçons des erreurs commises en B2C : ainsi pour notre site e-commerce, développé sous Magento et lancé il y a six mois, avons-nous dès le départ prêté une grande attention à ce que ce nouveau canal propose au client une expérience strictement identique à celle qu'il expérimente quand il passe ses commandes à travers nos télévendeurs ou vendeurs route, avec bien sûr une plus grande souplesse d'horaires. Notre gros enjeux était que le client retrouve ses gammes, ses tarifs avec ses négociations, etc. Le calcul des tarifs a ainsi été l'une des grosses difficultés du projet. Le tarif n'est pas stocké mais déterminé à la volée par un algorithme. Pour réaliser ce gestionnaire de tarifs, nous avons utilisé la plate-forme Cassandra, plutôt orientée Big Data.
Nous sommes actuellement en train de travailler sur une documentation très fine de notre système d'information pour en préparer l'ouverture via des API. Il s'agit aussi pour nous de récupérer des informations chez nos fournisseurs pour un projet très important, le référentiel produits.
Publicité
CIO : Pourquoi ce projet de référentiel produits est-il important et en quoi consiste-t-il ?
Philippe Doublet : Le référentiel produits consiste en l'ensemble des fiches consacrées chacune à un produit. On y trouve des informations très structurées mais aussi des éléments tels que des photographies. Une fiche produit précise la composition, les allergènes... Ce sont des informations essentielles pour nos clients.
Notre secteur, la RHD (Restauration Hors Domicile), est de ce point de vue en retard sur celui de la GMS (Grande et Moyenne Surfaces). Ce n'est que très récemment que GS1, qui édicte les normes telles que celles des codes EAN, a publié un standard auquel nous avons contribué. L'idée est bien d'échanger des informations entre fournisseurs, distributeur et clients. Nous allons récupérer la fiche produit chez le fournisseur, l'enrichir le cas échéant (photographie ou libellé commercial par exemple) avant de la pousser à notre client.
CIO : Quelles grandes évolutions voyez-vous pour le coeur de votre système d'information ?
Philippe Doublet : Nous sommes en train de migrer SAP/BW, avec ses 15To de donnés, sous HANA. Concernant SAP ECC, une éventuelle migration de la base Oracle vers la base HANA sera étudiée lors du renouvellement du matériel (les serveurs et les baies de disque arriveront en fin de vie vers 2018/2019). Pour l'instant, une migration vers S/4 HANA n'est pas envisagée car cette nouvelle version n'a pas encore le niveau fonctionnel requis. Par contre nous avons d'ores et déjà commencé à utiliser FIORI pour améliorer l'ergonomie de certaines fonctionnalités, en particulier pour la Vente.
Si nous migrons vers Hana, l'un des objectifs sera évidemment de supprimer la maintenance sur les bases Oracle, particulièrement onéreuse. Mais, si Hana est très performant en lecture pour la BI, nous sommes plus circonspects concernant l'écriture, donc pour l'ensemble des autres modules. Une alternative pourrait être d'opter pour du stockage flash avec une base de données classique.
C'est un vrai enjeu car nous parlons là d'une informatique de production où nous avons avant tout besoin de robustesse.
CIO : Envisagez-vous le recours au cloud ?
Philippe Doublet : Une panne de deux heures poserait de très gros problèmes. Nous avons avant tout besoin de robustesse, et la fiabilité du back office prime sur l'agilité. Nous faisons souvent des évolutions sur notre SAP à la demande de nos clients (par exemple, très récemment, pour indiquer les dates limites de consommation sur les bons de livraison) mais avec des cycles en V. L'agilité est réservée au Digital. Notre infrastructure pour le coeur du SI est totalement maîtrisée dans deux datacenters redondants nous appartenant avec nos propres groupes électrogènes, etc.
A l'inverse, nous avons opté pour le cloud dans la bureautique avec Microsoft Office 365. Après la migration de Lotus vers Outlook réalisée en 2015, nous sommes maintenant en train de mettre progressivement en place une bonne partie des outils proposés par Microsoft, et tout particulièrement One Drive, Sharepoint, Skype et Yammer. Avec deux sujets majeurs à traiter : celui de la sécurité (en particulier dans le cadre du BYOD) et celui des usages : quel outil utiliser dans quel contexte de communication ou de collaboration ?
Pour des sujets particuliers sans spécificité Pomona, nous n'hésitons pas à recourir à du SaaS, par exemple pour la gestion des formations. Mais, pour le coeur du SI, la priorité est la fiabilité grâce à un maximum d'investissements propres à long terme.
CIO : Comment gérez-vous la traçabilité et la logistique, gros enjeux dans l'alimentaire ?
Philippe Doublet : Nous avons trois circuits différents : les fruits/légumes/poissons d'une part, le frais (viande, laitage ...) et les surgelés d'autre part, ainsi que, enfin, l'épicerie à température ambiante. Si un client achète à chaque unité, il a affaire à trois vendeurs et est livré par trois camions. C'est un choix volontaire et parfaitement assumé car, d'une part, nos volumes sont suffisants pour le justifier et, d'autre part, nous pouvons ainsi disposer d'une force de vente parfaitement compétente sur chaque gamme et des camions adaptés au type de transport.
Nous disposons de notre propre flotte de véhicules pour livrer nos clients, que nous gérons totalement. Le plan de transport est construit en amont des livraisons et adapté quotidiennement en fonction des besoins réels.
Les préparateurs utilisent des PDA avec commande vocale pour réaliser la préparation de chaque commande. Nous savons ce que nous préparons et dans quel camion telle commande est prise en charge pour quel client. Nous suivons ensuite le camion grâce à un boîtier GPS embarqué. Nous démarrons actuellement la traçabilité via un PDA durci confié au chauffeur. Nous pouvons ainsi savoir que telle commande est arrivée à telle heure chez tel client grâce à tel camion.
CIO : Mais, de ce fait, vous ne tracez pas chaque produit ?
Philippe Doublet : Non, en effet. Réglementairement, nous avons l'obligation de pouvoir faire des rappels de lots. Par exemple, si nous devons rappeler un lot de yaourts, nous devons savoir à quels clients nous en avons livrés. En général, les palettes reçues de nos fournisseurs sont homogènes. A réception, nous identifions avec une saisie manuelle les lots d'après la lecture humaine des informations portées sur les lots. L'outil assure un contrôle de cohérence des informations saisies. La grande difficulté reste l'erreur humaine mais cette manière de faire nous permet un contrôle précis. Désormais, les dates limites de consommation sont notées sur les bons de livraison, ce qui facilite la mise à l'écart d'un lot par les clients eux-mêmes dès lancement d'un rappel.
CIO : Envisagez-vous, à l'instar d'industriels de l'alimentaire, de trouver un contact avec le client final via le digital ?
Philippe Doublet : Collecter de la data sur les habitudes de consommation, oui cela nous intéresse. Mais sur le client final, non. Ce dernier ne s'intéresse aucunement au fait que ce soit Pomona qui ait livré son détaillant ou son restaurant. Par contre, il va s'intéresser au fait que ce qu'on lui sert ou lui vend provient bien de tel producteur local. Tracer cette information a de la valeur.
D'une manière générale, notre objectif est d'aider nos propres clients -par exemple les restaurateurs- à vendre à leurs clients. D'où un travail avec une start-up qui propose une app pour accorder mets et vins, deux catégories de produits que nous vendons.
CIO : Vous travaillez donc avec des start-up ?
Philippe Doublet : Tout à fait. Nous contribuons à une pépinière baptisée Smart Food Paris aux côtés d'Elior, de la division tourisme de Michelin, etc. Nous organisons des rencontres entre start-up et métiers pour voir quels intérêts pourraient avoir quelles innovations. Je peux donner quelques exemples récents comme une app pour gérer la traçabilité, une autre pour la mise en relation entre des extras et des restaurants... et celle permettant d'accorder mets et vins afin de vendre des vins correspondants aux stocks des restaurateurs.
Du point de vue SI, la question est simplement de savoir si l'on pourrait créer de la valeur avec tel ou tel genre d'app ou telle innovation de telle start-up.
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
Commentaire
INFORMATION
Vous devez être connecté à votre compte CIO pour poster un commentaire.
Cliquez ici pour vous connecter
Pas encore inscrit ? s'inscrire