Paul Cohen-Scali (DSI, Sacem) : « notre axe prioritaire est le service »


Le cloud n'est pas la panacée !
A lire de nombreux témoignages, on aurait tendance à croire qu'il suffit de migrer son système d'information dans le cloud public et tous les ennuis disparaissent comme par enchantement. Bien entendu, la magie n'existe pas. Certes, le cloud est utile. Certes, il résoud un certain nombre de...
DécouvrirPaul Cohen-Scali, DSI de la Sacem, détaille la stratégie IT de l'une des principales sociétés de gestion collective au monde. Face à la crise sanitaire et, surtout, aux évolutions du marché de la musique, il est nécessaire de réaliser des choix pragmatiques et raisonnés tout en innovant pour accompagner les bouleversements de l'écosystème de la Sacem. De plus, la société réalise actuellement le plus grand plan de recrutement de son histoire et il concerne l'IT.
PublicitéCIO : Pour commencer, pouvez-vous nous présenter en quelques mots la Sacem ?
Paul Cohen-Scali : La Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique est une société civile avec quatre missions.
La première, la plus centrale, est de collecter et de répartir les droits d'auteur liés à l'usage de la musique et à l'utilisation des oeuvres du répertoire de la Sacem (pour les auteurs-réalisateurs, les auteurs de doublage et de sous-titrage, les poètes et humoristes...). Ces droits sont ensuite redistribués de la manière la plus juste possible entre les différents créateurs.
La deuxième mission consiste à offrir à nos membres des services d'accompagnement individuel à chaque étape de leur carrière grâce notamment à une protection sociale complète et des offres de formation professionnelle
Ensuite, la Sacem s'engage pour assurer une création diverse et durable en menant une action culturelle en France et à l'international pour accompagner les membres dans la conduite de leurs projets artistiques et accélérer leur développement en lien avec l'ensemble du secteur
Enfin, nous protégeons et défendons les droits des créateurs dans un monde où ces droits sont régulièrement remis en question, notamment auprès du Législateur.
Pour donner quelques chiffres, nous analysons 100 000 milliards de streams (Deezer, Spotify, YouTube...) par an et, lors de chaque répartition trimestrielle, nous traitons 540 millions de lignes de décomptes, soit plus de deux milliards par an.
CIO : Depuis octobre 2021, Cécile Rap-Veber est la directrice générale gérante de la Sacem, ayant succédé à ce poste à Jean-Noël Tronc. Est-ce la gouvernance de l'IT a changé ? Avez-vous à rendre des comptes aux administrateurs élus par les membres ?
Paul Cohen-Scali : Il n'y a pas eu de changement à l'occasion de la nomination de Cécile Rap-Veber. La DSI est une part très importante du budget de fonctionnement de notre société et l'IT est très importante pour nos missions. Naturellement, je suis donc amené à intervenir auprès du conseil d'administration pour expliquer notre budget, donner la feuille de route de nos projets, etc. Je me dois d'adopter une approche pédagogique sur les choix structurants pour la Sacem et les administrateurs sont très intéressés par les explications fournies.
CIO : Quelles ont été les conséquences de la crise sanitaire sur l'activité de la Sacem ?
Paul Cohen-Scali : Bien entendu, les confinements ont interrompu ce que nous appelons le « spectacle vivant » mais aussi le cinéma, les discothèques, etc. En 2020, l'impact négatif sur la collecte s'élevait, , à 130,6 millions d'euros soit une baisse de 12% par rapport à 2019. Mais il faut admettre que, dans le même temps, la dynamique du streaming on line s'est encore renforcée : +26 % en 2020 par rapport à 2019.
En termes de système d'information, cela n'a pas eu de véritable impact (en dehors des classiques croissances de volumes de données liées au streaming) car tous les systèmes ont dû fonctionner, les collectes ont été opérées de la même façon. Ce sont juste les quantités de données qui ont changé d'un canal à l'autre.
Cependant, il nous a fallu rapidement monter des opérations particulières pour aider les sociétaires qui étaient brutalement privés de revenus. Par exemple, nous avons développé rapidement l'outil permettant de déposer un dossier de demande d'aide dans le cadre du plan de mesures d'urgence. Nous avons également décidé de rémunérer les livestreams gratuits réalisés sur Facebook, Instagram, YouTube et Twitch. Enfin, nous avons évidemment suspendu la facturation des commerces fermés.
PublicitéCIO : Et concernant les collaborateurs ?
Paul Cohen-Scali : Avant la crise sanitaire, il y a eu les Gilets Jaunes, les grèves dans les transports, etc. Dès la fin 2019, nous avions donc commencé à préparer des facilités pour le travail à distance, notamment en dotant certains personnels non-encore équipés d'ordinateurs portables. C'était un premier plan de continuité face aux événements qui a été accéléré car nous voyions bien, à l'étranger, que des mesures de confinement allaient s'imposer.
Les expériences pilotes ont permis de généraliser les accords de télétravail avec des dispositions variables selon les directions et les métiers. Il y a deux types d'accès à distance à notre système d'information : un PC portable et un VPN ou bien n'importe quel PC (personnel) avec un accès remote via la VDI de Citrix.
Nous avons donc basculé sans difficulté en télétravail et nous avons tenu malgré tout le calendrier des répartitions, y compris celle d'avril 2020. Nous avons connu une parfaite continuité d'activité. La seule évolution a été la croissance des usages collaboratifs et la bascule massive vers Teams (nous avons décommissionné Skype au passage).
CIO : Enfin, vis-à-vis des sociétaires ?
Paul Cohen-Scali : Nous proposons depuis longtemps des services en ligne à nos sociétaires, par exemple pour le dépôt des oeuvres. Mais nous disposons toujours d'un accueil physique auquel certains sont très attachés.
Durant les confinements, l'accueil a bien sûr été fermé. Il était cependant possible d'échanger en présentiel sur rendez-vous pris au préalable. Nous n'avons jamais voulu rompre le lien avec des sociétaires en situation compliquée.
Nous avons malgré tout constaté une croissance de la consultation en ligne du compte sociétaire mais il est difficile de dire si c'est lié à l'évolution naturelle constatée depuis des années, à l'amélioration continue du service ou aux conséquences de la crise sanitaire.
CIO : Revenons maintenant à votre système d'information lui-même. Quel en sont les grands principes d'architecture ? Etes-vous toujours dans des phases de refonte ?
Paul Cohen-Scali : Lors de ma nomination, on ne m'a pas demandé de refondre mais de réaliser les projets attendus pour accompagner l'évolution du monde de la musique. Le but est bien de garder notre leadership mondial parmi les sociétés de gestion collective.
Bien qu'il nous reste du Legacy, notre objectif numéro un, n'est pas de refondre mais de répondre aux enjeux business. Pour répondre aux différentes familles de droits à collecter, nous disposons de différents systèmes.
Pour la collecte liée au streaming (Deezer, Spotify, Netflix...), nous nous reposons sur une plate-forme hébergée et infogérée par IBM baptisée URights.
Pour les droits généraux (entreprises, points de vente...), nous sommes aujourd'hui sur des applications Java on-premise sur serveurs Linux. Il en est de même pour la collecte associée aux télévisions, cinémas, radios, etc.
Enfin, pour l'activité phonographie, qui est en fort déclin, la collecte est restée sur mainframe Unisys. Dépenser de l'argent et de l'énergie pour refondre ce système n'est clairement pas une priorité. Il y a d'autres points sur lesquels il est plus intéressant de porter nos efforts.
Nous sommes par ailleurs en train de développer des applications sur le cloud AWS pour de nouveaux systèmes, comme notre datalake avec Snowflake.
CIO : Pourquoi héberger ces nouvelles applications dans le cloud sur AWS ?
Paul Cohen-Scali : Il s'agit d'un véritable accélérateur pour nos projets et ce choix nous donne accès à des technologies innovantes avec un paiement à l'usage. Clairement, le stockage sur AWS coûte plus cher que on-premise mais nous allons beaucoup plus vite dans nos projets. Quand il y aura moins de projets et plus de stabilité, peut-être que nous ferons comme d'autres entreprises et que nous reviendrons au on-premise.
Pour l'heure, nous sommes encore dans une phase où nous gagnons en accélération.
CIO : Vous aviez un projet de migration de votre ERP dans le cloud. Où en êtes-vous ?
Paul Cohen-Scali : Nous utilisons Oracle e-Business Suite on premise pour gérer nos clients. Il y avait un projet de refonte qui est actuellement arrêté pour que nous nous concentrions sur nos besoins immédiats, notamment liés à la crise sanitaire. Face au problème de l'obsolescence de notre version, nous avons opté pour une TMA confiée à Rimini Street. La refonte s'annonce en effet comme un projet très lourd vues les spécificités de notre métier.
Nous avons quelques modules accessoires dans le cloud. Mais, pragmatiquement, nous agissons pour créer de la valeur.
CIO : Vous avez évoqué URights. Beaucoup d'ambitions avaient été annoncées autour de ce projet, notamment dans l'IA. Où en êtes-vous ?
Paul Cohen-Scali : URights est le nom d'une plate-forme qui traite le streaming musical, la vidéo à la demande, etc. Elle est réalisée avec IBM et ce fournisseur en assure l'hébergement et les évolutions.
Au départ, nous comptions la commercialiser auprès de sociétés homologues. Mais, dans les faits, nous avons plutôt développé les mandats de collecte pour autrui. Les sociétés de gestion de droits de plusieurs pays (Corée du Sud, Canada...) et certains éditeurs internationaux (Universal Music, Warner Chappell, Impel...) nous ont confié la gestion de leur collecte de droits pour le streaming. Le système des mandats a ainsi remplacé la commercialisation de l'outil lui-même.
Même si c'était envisagé au départ, nous n'utilisons pas pour l'instant IBM Watson ou d'autres technologies d'intelligence artificielle. Nous avons préféré procéder autrement pour améliorer la plate-forme. Le moteur de matching [reconnaissance d'une oeuvre et revendication des droits associés, NDLR] a été développé spécifiquement en propre. Nous n'avons pas été en mesure de prouver une valeur ajoutée à l'usage de l'intelligence artificielle. Maintenant que nous comprenons mieux les mécanismes pertinents pour cette activité, nous ne voyons pas à ce stade de cas d'usage à l'IA.
CIO : Et concernant les échanges de données avec tous ces tiers, recourez-vous à du temps réel via API ou à des échanges ponctuels ?
Paul Cohen-Scali : Les échanges sont très basiques, via des fichiers envoyés un par un via SFTP ou équivalent. Par exemple, il peut y avoir un fichier par pays et par plate-forme.
La logique de la collecte reste celle du « claim » [revendication de droits, NDLR]. Quand une plate-forme nous envoie des données, il faut que nous disions « ça, c'est à nous » et que nous générions une facture globale avant que nous puissions collecter les droits d'auteur. Nous n'allons évidemment pas toucher des milliards de virements de fractions de centimes ! Donc, l'agrégation et le traitement en lots est plus logique, moins complexe et surtout beaucoup moins coûteux.
Le traitement en temps réel n'est pas forcément une bonne idée même si nous essayons de traiter davantage au fil de l'eau.
CIO : En 2020, vous avez annoncé la création d'une cellule innovation pour renforcer la R&D et les relations avec les start-ups comme les écoles. Pourquoi avoir une telle initiative ?
Paul Cohen-Scali : Si nous n'avons pas, pour l'instant, besoin d'IA pour le traitement des diffusions de streaming des oeuvres dans URights, cela ne signifie pas que nous n'en aurions pas besoin ailleurs ! Il y a actuellement beaucoup d'innovations et d'évolutions dans le monde de la musique. Certaines sociétés se lancent avec, parfois, des ambitions de concurrencer les sociétés de gestion collective.
La Sacem a donc un intérêt évident à disposer de personnes dédiées à la veille pour nous aider à trouver de nouveaux services ou de nouvelles manières de mieux faire ce que nous faisons déjà ou encore anticiper les tendances futures. Par exemple, nous pouvons commencer à nous demander comment rémunérer les usages de la musique dans les métaverses.
Pour l'heure, cette cellule innovation dispose de cinq équivalents temps plein et elle a d'ores et déjà approché une centaine de start-ups. Nous avons récemment mené une expérimentation avec une start-up pour la reconnaissance automatisée des musiques diffusées dans les commerces. Lors de ces tests, il arrive, bien entendu, que certains d'entre eux ne soient pas nécessairement concluants mais cette étape fait partie intégrante du cercle de l'innovation et nous permet d'en tirer des enseignements intéressants pour d'autres projets à venir.
A travers cette cellule innovation, nous cherchons à renforcer notre place au sein de l'écosystème MusicTech et cela peut passer par la mise en place de partenariats pour mener à bien certains projets. C'est aussi le rôle de la cellule innovation d'y réfléchir.
CIO : Du coup, quels sont vos projets et enjeux pour les années à venir ?
Paul Cohen-Scali : Pour améliorer nos services aux mandants, collecter mieux et répartir plus vite, nous avons trois axes principaux.
Tout d'abord, au niveau des effectifs. La DSI de la Sacem, aujourd'hui, est composée d'une centaine de collaborateurs internes et d'environ deux cents externes. Notre but est d'embaucher en interne une trentaine de collaborateurs par an sur trois ans afin que, à terme, les proportions soient inversées : une centaine de prestataires et deux cents internes. Il s'agit en fait d'acquérir les compétences internes pour affronter l'avenir (le cloud, la data, l'IA...). Cent postes, il faut être conscient que c'est la plus grosse campagne de recrutement de l'histoire de la Sacem. Et elle concerne l'informatique.
Deuxième point, les process. Il s'agit de transformer la DSI et d'inclure celle-ci dans la transformation plus globale de la Sacem. Pour adopter l'agilité à l'échelle, il faut revoir nos modes de fonctionnement et mettre en oeuvre de nouveaux rôles et compétences (product owners...) et nous revenons au premier point.
Enfin, il nous faut préparer l'avenir. Bien sûr, il nous faudrait arriver à supprimer le mainframe et basculer une partie de notre SI historique dans le cloud. Il s'agit aussi de continuer à faire évoluer URights en gardant ses coûts sous contrôle. Pour terminer, il s'agit de baisser les coûts en simplifiant le SI, un peu trop modulaire et pas assez harmonisé.
Nous avons quelques projets clés sur l'espace sociétaires en ligne pour qu'ils comprennent toujours mieux comment leurs oeuvres sont utilisées ainsi que sur la documentation de la répartition. Nous travaillons aussi pour mieux structurer les relations avec nos sociétaires pour améliorer leur satisfaction.
Globalement, nous pouvons dire que notre axe prioritaire est le service.
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
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