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Pascal Martinez, AG2R La Mondiale : « redéfinir nos fondamentaux tout en traitant l'urgence sur la relation client »

Pascal Martinez, AG2R La Mondiale : « redéfinir nos fondamentaux tout en traitant l'urgence sur la relation client »
Pascal Martinez, en charge des SI et du digital d'AG2R La Mondiale : « nous entendons réduire notre patrimoine applicatif de 1300 à environ 400 applications, dont une grande partie sera en SaaS. » (Photo : Thomas Léaud)

En charge des SI et du digital au sein du comité exécutif d'AG2R La Mondiale, Pascal Martinez pilote un projet de refonte massif, sur lequel le groupe va investir près de 630 M€ en 6 ans. Bilan d'étape deux ans après le lancement de ce chantier majeur.

PublicitéArrivé en 2022 au sein du groupe de protection sociale - après 7 années passées chez Covea, dont 4 en tant que DSI -, Pascal Martinez a rejoint le comité de direction d'AG2R La Mondiale pour piloter les systèmes d'information et le digital. A commencer par un grand programme de transformation de l'ensemble du socle technologique du groupe. Un investissement de 629 M€ sur 6 ans, amorcé lui aussi en 2022.

Cette transformation profonde de l'ensemble des systèmes d'information de ce groupe de près de 15 000 personnes touche tant les back-office que les applications clients et s'appuie sur une logique de plateformes connectées via des API. Pour assurer cette modernisation massive, les effectifs de la DSI - environ 780 personnes en interne - ont pratiquement doublé au moment de cet entretien, essentiellement par le recours à des prestataires. Alors que se profile la fin d'une année charnière - avec un total d'environ 150 M€ engagés sur le programme en 2024 -, Pascal Martinez dresse un bilan d'étape de ce chantier, mené selon les principes de l'agilité à l'échelle.

CIO : Qu'est-ce qui a décidé l'entreprise à consentir l'investissement massif nécessaire à la modernisation de ses systèmes d'information ?

Pascal Martinez : AG2R La Mondiale est le fruit de nombreux rapprochements successifs, notre informatique s'est ainsi construite avec le groupe. Nous avions donc une juxtaposition de différents SI. En effet, si les fusions juridiques et d'organisation avaient été menées à leur terme à la suite de ces opérations de rapprochement, celles des systèmes d'information étaient restées moins abouties, générant des doublons. Le groupe comptait ainsi cinq référentiels clients et une quinzaine de CRM. Un même commercial pouvait avoir à consulter quatre ou cinq CRM pour traiter le cas d'un unique client et un opérateur en interne pouvait avoir à ouvrir une quarantaine d'applications pour répondre à une demande d'un client.

Pour nos collaborateurs, partenaires et clients, cette imbrication de systèmes était difficilement lisible. Du côté DSI, la juxtaposition des systèmes, leurs faibles évolutivité et capacités d'ouverture poussaient à répondre aux nouveaux besoins par l'ajout de nouvelles applications, plutôt que de modifier l'existant. Ce qui contribuait à alourdir les coûts de maintenance.


« La situation [des systèmes d'information] a été qualifiée de risque majeur par la direction du groupe. » (Photo : Thomas Léaud)

En 2022, le groupe a pris pleinement conscience de cette réalité et de ses conséquences potentielles, notamment sur nos indicateurs de satisfaction client. La situation a été qualifiée de risque majeur par la direction du groupe. C'est pourquoi nous avons lancé notre projet de plateformisation. Avec l'ambition de gérer l'urgence de la multiplicité des systèmes et de leur obsolescence, tout en rattrapant le retard sur la relation client. Cette plateformisation vise aussi à ouvrir notre SI, par exemple pour proposer nos produits d'assurance par l'intermédiaire d'autres distributeurs ou, à l'inverse, pour intégrer dans nos outils de distribution des produits tiers. C'est le sens de notre partenariat avec MAIF sur l'IARD, par exemple. Le tout est porté par une vision unifiée du client.

PublicitéL'ensemble du secteur de l'assurance en France semble s'orienter vers des architectures similaires. Dès lors, où vont se situer les facteurs de différenciation entre les différentes compagnies ?

Effectivement, du côté de la gestion de produits, des contrats, des offres ou de la tarification, on observe une certaine standardisation, notamment en raison de la réglementation. L'effort doit être porté sur la relation client, avec des systèmes digitaux offrant aux clients - et, en miroir, aux collaborateurs - une gestion multicanale, sans rupture des processus entre les canaux. Avec un traitement des demandes le plus rapide possible, éliminant les délais de gestion grâce à une automatisation des transactions. Aujourd'hui, quand nous recevons par courrier, e-mail libre ou depuis l'espace client un devis ou une facture, un collaborateur saisit la facture, vérifie les droits du demandeur et déclenche le paiement. Nous avons commencé à automatiser ce processus en ayant recours à une application mobile permettant de prendre en photo les factures, de les traiter automatiquement et d'interroger par API le système enregistrant les droits des demandeurs. Aujourd'hui, nous reconnaissons 30% des factures de façon automatique.

Ces programmes pluriannuels de transformation sont, par essence, risqués. Comment encadrez-vous ces risques ?

La gestion des risques fait partie des attributions du bureau du programme, qui pilote et coordonne cette transformation. Le programme est par ailleurs subdivisé en huit plateformes, chacune ayant sa propre gestion des risques, qui ne se limite pas aux seules problématiques de développement informatique, mais s'étend aux impacts sur les processus et sur les volumes traités. En deux ans, par exemple, nous avons multiplié par trois les transactions sur le digital. Autre exemple : quand nous réalisons une automatisation, cela modifie le travail de bout en bout, ce dernier se recentrant alors sur la gestion des exceptions.

Les risques de cette nature sont pris en charge par un plan d'accompagnement du changement, qui est lui-même segmenté par plateforme. Nous n'avons pas voulu opter pour un accompagnement au changement global, prenant en compte l'ensemble des dimensions. Nous décentralisons dans les différents programmes et entités la gestion des risques et l'accompagnement du changement, un peu comme dans la data ou les API. Nous faisons du « mesh » un peu partout, associée à une gouvernance globale !


« Le programme est organisé en une dizaine de trains agiles, fonctionnant le plus indépendamment possible les uns des autres. Le besoin de coordination est assuré par un système dit de Large Release Management. » (Photo : Thomas Léaud)

Comment gérez-vous la trajectoire de ce programme ?

Tous les semestres, nous redéfinissons les priorités des 12 prochains mois. Si on prend l'image du bocal rempli de cailloux, chacun de ces cailloux représente un projet à mener obligatoirement sur la période, les huit plateformes ayant ensuite la liberté de combler les vides autour de ces cailloux en fonction de leurs ressources. Nous avons donc mis en place une gouvernance centrale, tout en laissant un degré d'autonomie aux différentes composantes. Le tout est organisé via une dizaine de trains agiles, fonctionnant le plus indépendamment possible les uns des autres. Le besoin de coordination est assuré par un système dit de Large Release Management, consistant à construire trois versions majeures par an qui gèrent les communications entre les différents trains. Ce niveau étant peu décrit par la méthode Safe, nous avons dû définir notre propre approche sur la synchronisation entre les trains ou sur la gestion d'environnements permettant d'effectuer les mises en production dans ce contexte. Nous avons d'ailleurs un programme au sein du programme, lui-même organisé en train, chargé de définir le modèle de delivery, le Target Operating Model (TOM).

Ce qui signifie que l'intégralité de la DSI est passé aux méthodologies agiles ?

La DSI est organisée, pour l'essentiel, en mode produits depuis mai 2023, le train étant un objet plus éphémère regroupant des produits pour en assurer l'évolution. Notre organisation était auparavant plutôt tournée vers les projets, qui pouvaient engendrer la création de dettes technologiques. En organisation produit, chaque fois qu'une équipe crée une dette, elle sait qu'elle devra la gérer dans l'avenir. La règle que nous nous sommes fixée, c'est qu'une dette ne doit pas durer plus de 18 mois, sinon elle devient prioritaire dans les développements incrémentaux.

Comment avez-vous séquencé ce programme pour transformer cet existant complexe ?

Nous avons d'abord défini nos fondations technologiques afin de les mettre en place le plus rapidement possible car elles sont nécessaires pour atteindre la cible. En parallèle, nous devions traiter l'urgence sur le digital et la relation client. Ce qui a abouti à quelques compromis, certains systèmes ne rejoindront nos fondations technologiques que dans un second temps. En effet, la première chose à laquelle nous nous sommes attachés a été de décorréler les systèmes de gestion de la couche de présentation, via l'ajout d'un concentrateur de données. Ce qui permet de gérer plus simplement les mises en production et les décommissionnements tant côté systèmes de gestion que sur le volet CRM ou applications digitales.


« La cohérence de la trajectoire est un des aspects les plus complexes de ce genre de programme et elle ne peut pas être abordée uniquement de façon théorique. » (Photo : Thomas Léaud)

L'autre système clef, c'est le référentiel des clients. À mon arrivée, il y avait près de 5 référentiels de clients dits 'uniques' ! Si nous avons encore plusieurs référentiels et un concentrateur de données, nous travaillons à mettre en place ce nouveau référentiel maitre. Aujourd'hui, ce sont les systèmes de gestion qui sont maîtres sur les référentiels de clients, nous voulons que ce soit le système de la relation client qui le devienne et alimente les systèmes de gestion. En fin d'année, ce sera le cas avec la mise en production du nouveau CRM unique, basé sur Salesforce. Il concernera tous les collaborateurs en charge de la relation client, les commerciaux du réseau entreprise basculeront quant à eux en 2025.

Durant la période de transition qui nous mène à la mise en oeuvre du SI cible, nous avons positionné un certain nombre d'échafaudages pour maintenir l'ensemble, constitué d'anciens systèmes voués à être décommissionnés et d'applications nouvelles. La cohérence de la trajectoire est un des aspects les plus complexes de ce genre de programme et elle ne peut pas être abordée uniquement de façon théorique, faute de quoi les changements sont imperceptibles des clients et des collaborateurs pendant trop longtemps.

Quel sera le profil de la DSI une fois la cible atteinte ?

Par rapport aux effectifs rassemblés pour mener à bien le programme de transformation, nous allons maintenir nos effectifs internes et amorcer une décroissance sur le volet des prestataires. Nous avons aussi défini les profils dont nous aurons besoin, car la généralisation de l'agile et la mise en place des plateformes modifient les métiers de la DSI. Nous utiliserons ainsi un certain nombre de plateformes SaaS, en remplacement de développements internes. Ce qui signifie moins de tâches de maintenance, mais davantage de paramétrage et d'intégration avec notre référentiel de clients ou avec nos systèmes digitaux.

Notre politique générale consiste à continuer à développer les systèmes digitaux, que nous considérons comme des éléments de différenciation, et à nous fournir en systèmes de gestion sur le marché. Nous menons donc, en proximité avec la DRH, un travail d'adaptation des ressources de la DSI. Par exemple, aujourd'hui, nous employons des ingénieurs mainframe or nous allons décommissionner, dans les prochaines années, cet environnement. Il est donc primordial de former ces collaborateurs aux nouvelles technologies de la DSI.

Est-ce que cette évolution va également remettre en cause votre politique en matière d'hébergement ?

Aujourd'hui, environ 80% de nos VM sont exploitées sur des infrastructures internes, hébergées par Equinix, et 20% sur le cloud. En fin de transformation, nous estimons que nous serons plutôt sur un ratio inversé. Même si nous n'avons pas de projet volontariste de move-to-cloud, cette évolution doit être étudiée dès maintenant. Comme je l'ai déjà mentionné, nous mettons en oeuvre des plateformes en mode SaaS et, pour les applications qui resteront hébergées en interne, se posera, à la fin du programme, la question de la rentabilité d'une migration vers le cloud.


« Le programme permettra d'engendrer des économies sur le run et aura, également, un effet sur le nombre de projets que nous menons. » (Photo : Thomas Léaud)

Via le programme de transformation, nous entendons réduire notre patrimoine applicatif de 1300 à environ 400 applications, dont une grande partie sera en SaaS. Celles qui resteront développées en interne fonctionneront probablement en IaaS. Reste à savoir si ce sera sur un IaaS interne ou externe. On peut d'ailleurs imaginer un fonctionnement hybride, avec des environnements internes pour la production et de l'externe pour le développement, les tests et les recettes. Les différentes options restent ouvertes. Nous avons quelques mises en oeuvre en mode full Cloud comme GCP, dans sa déclinaison offerte par S3NS, pour notre environnement data, Informatica pour le référentiel des clients, Salesforce pour le CRM ou encore la plateforme de pilotage financier avec Oracle.

À l'horizon de la fin du programme, en 2028, prévoyez-vous une réduction des coûts du SI ainsi transformé ?

Ce programme permettra d'engendrer des économies sur le run. La simplification recherchée aura, également, un effet sur le nombre de projets que nous menons. L'exemple emblématique étant le réglementaire : si vous devez adapter 5 ou 10 systèmes à une évolution de la législation, vous devez mener autant de projets. C'est évidemment plus simple avec un SI plus cohérent et basé sur des standards de marché. Pour le même budget dédié au projet, nous pourrons effectuer davantage de réalisation, grâce à la réduction du portefeuille applicatif, à la rationalisation de l'architecture sans oublier les gains qu'apporte l'IA dans le développement. Près de 80 de nos développeurs testent Copilot de GitLab depuis environ 6 mois, avec des résultats intéressants.

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