Olivier Lepeltier, chief enterprise architect de Pernod Ricard : « Je me considère comme un conseiller en patrimoine »

Les métiers de la DSI. L'architecte d'entreprise est à la fois le garant de l'alignement stratégique du système d'information et le porteur d'une vision à long terme de celui-ci. Olivier Lepeltier, qui assure cette fonction chez Pernod Ricard, compare son rôle à celui d'un conseiller en patrimoine.
PublicitéCIO : Vous êtes chief enterprise architect au sein de la DSI de Pernod Ricard. Une fonction atypique que l'on a beaucoup vue il y a quelques années, et qui fait son retour. Quel est votre rôle exactement ?
Olivier Lepeltier : Le SI d'une entreprise, c'est un portefeuille d'actifs numériques avec des applications, des infrastructures, des données... Et pour aider l'entreprise à investir, le chief enterprise architect les étudie au regard de leur valeur, de leur coût et de leur potentiel de rendement.
Le rôle d'une DSI n'est pas d'acheter les dernières technologies pour bâtir un patrimoine solide, mais d'aligner ce portefeuille d'actifs avec la stratégie de l'entreprise. Pour définir mon rôle, je fais plutôt le parallèle avec un conseiller en patrimoine. Pernod Ricard a choisi de créer ce poste d'architecte d'entreprise, garant de cet alignement. L'entreprise a préféré confier ce mandat spécifique à une personne plutôt que d'en diluer la responsabilité. L'enjeu, c'est de s'aligner avec la stratégie d'entreprise qui induit les contraintes sur la stratégie technologique. C'est pour cela que mon rôle et l'équipe ont été créés, il y a un an.
C'est aussi le moyen de gérer le temps long ?
Oui. La plupart des rôles au sein de la DSI cherchent à créer de la valeur à horizon 3, 6, 12 ou 18 mois, mais il faut aussi des temps plus longs. La DSI construit sur un modèle d'innovation incrémentale, mais il faut le faire cohabiter avec une vision à long terme pour mieux intégrer l'innovation de rupture.
Comment est constituée votre équipe ?
J'ai une quinzaine de personnes dans mon équipe, avec deux types d'expertises : des business architects et des solution architects. Les premiers ont la responsabilité de la cohérence des processus métiers. Ils accompagnent les équipes métiers pour harmoniser et standardiser les approches, afin de les faire vivre dans le SI. Les architectes de solutions font ensuite en sorte de tirer le meilleur parti des technologies pour implémenter ces processus métiers. Ils construisent des briques, que les business architects vont assembler, avec une granularité adaptée.
Quel est le profil d'un architecte d'entreprise ?
On a longtemps considéré que leur rôle était normatif. Ils viennent donc souvent de la méthodologie et de la définition de standards. Mais se limiter à cela empêche de s'engager sur le résultat, d'en prendre la responsabilité. En ce qui me concerne, je ne viens ni d'un bureau d'étude, ni du monde des normes et standards. J'ai passé l'essentiel de ma carrière dans le consulting tech et j'ai passé 5 ans dans une startup. Cela me donne un regard un peu plus orienté vers le résultat métier et la rapidité d'exécution.
PublicitéComment vous et votre équipe intervenez-vous concrètement dans l'application de la stratégie, dans les projets ?
Nos premiers interlocuteurs sont les équipes métiers. Il est fondamental pour nous de comprendre leur ambition afin de définir la stratégie à mettre en oeuvre pour y répondre. Pour déterminer quelles applications, quelles infrastructures, quelles data sont nécessaires pour atteindre cet objectif. Nous travaillons au sein des squads qui livrent les produits, au service de ces squads. Nous sommes une petite équipe plutôt investie sur les projets transformationnels et nous avons à la fois besoin d'une vision panoramique des ambitions métiers et d'une vision à focale courte pour la mise en oeuvre.
Mais nous avons aussi un rôle transverse de définition de méthodologies, et une mission de gestion de la dette technique. C'est l'image du conseil en patrimoine technologique. Si la dette technique n'est pas gérée, elle peut asphyxier l'entreprise. Et nous devons rester vigilants au rythme actuel des technologies, pour éviter les impasses. Les technologies actuelles et futures vont s'appuyer sur les fondations du SI existant. Et si le niveau de dette est trop important, l'entreprise se coupe des nouvelles technologies.
Cela signifie que la veille joue un rôle important pour l'architecte d'entreprise ?
Chez Pernod Ricard, nous appliquons une logique de prospective technologique. Et nous sommes les garants de l'activation des technologies. Prenons le cas de la GenAI. Il faut mettre en oeuvre les conditions de son épanouissement, pour en tirer profit, pour créer de la valeur. Autre exemple, le calcul quantique. Ce n'est pas encore une réalité en entreprise, car cela reste difficilement accessible. Mais à l'horizon 3 à 5 ans, cela deviendra davantage une commodité, comme la GenAI. Nos actifs existants doivent donc être capables d'accueillir ces technologies dans 3 ans.
Quels sont vos projets majeurs actuellement ?
Ce qui nous occupe le plus, c'est un programme de simplification de la colonne vertébrale de nos processus dans le manufacturing, la supply chain et la finance, qui passe par la mise en oeuvre de Rise with SAP. C'est un projet intense d'un point de vue technologique, et nous y contribuons de manière quotidienne. Nous avons adopté une approche articulée autour d'une design authority, une gouvernance qui réunit la tech et les métiers [manufacturing, supply chain, finance], pour co-construire les processus et les solutions technologiques associées. Nous devons ancrer ce nouvel ERP dans le SI.
Le projet a démarré début 2024 et les premiers pilotes sont prévus mi-2026. Nous avons besoin de cette phase pour générer l'adoption et le changement dans les équipes métiers, et préparer le volet technique. Ce modèle de gouvernance permet de discuter les décisions chaque semaine. Et si cette transition vers Rise with SAP représente le saut le plus important pour l'entreprise actuellement, nous appliquons aussi ce modèle à tous les programmes de transformation.
Quels sont ces autres projets programmes de transformation ?
Nous avons un programme transversal de simplification pour décommissionner certaines applications et être certains de grandir sans grossir. Une forme de gestion de la bonne santé du SI en revisitant nos capacités. Les cycles des technologies sont en effet de plus en plus rapides, et sur certaines fonctions, nous avons forcément généré au fil des ans des redondances et déployé plusieurs solutions qui répondent aux mêmes besoins.
Enfin, nous avons un 3e enjeu autour de la data, en lien avec la GenAI. La qualité des data et la rapidité d'accès à celles-ci conditionnent la pertinence des résultats de l'IA générative. Nous avons donc un programme pour nous assurer de cette qualité et pour éclairer les décisions sur les opportunités et les risques de l'IA. C'est une façon de reconnaitre et d'acter que la valeur de l'IA est conditionnée par la qualité des data. Ces 3 sujets [Rise for SAP, dette technique, data] se nourrissent mutuellement. Ils sont accélérateurs les uns des autres.
Sur le projet data, travaillez-vous avec un chief data officer ?
Non, nous n'avons pas de CDO. Nous abordons la data par la gouvernance. Nous avons un data management officer qui s'occupe de la qualité des données au sens métiers, de l'aspect fonctionnel de la data et de la gouvernance associée. Et c'est notre CTO qui est responsable des moyens techniques associés. Du côté de l'architecture d'entreprise, notre responsabilité concerne le bon alignement des programmes data avec les autres programmes de l'entreprise, et la cohérence de ces programmes avec les technologies associées.
Article rédigé par

Emmanuelle Delsol, Journaliste
Suivez l'auteur sur Linked In,
Commentaire
INFORMATION
Vous devez être connecté à votre compte CIO pour poster un commentaire.
Cliquez ici pour vous connecter
Pas encore inscrit ? s'inscrire