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Nicolas Siegler (MAIF) : « notre fonctionnement agile nous a aidé à réagir rapidement. »

Nicolas Siegler (MAIF) : « notre fonctionnement agile nous a aidé à réagir rapidement. »
Nicolas Siegler (MAIF) : « constater que plus de 95% de nos projets pouvaient continuer avec le télétravail a été une bonne surprise. »
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°181 !
Ce que le Covid-19 a appris aux DSI

Ce que le Covid-19 a appris aux DSI

Pendant la crise sanitaire, le business continue. Indubitablement, la crise sanitaire du Covid-19 aura eu et va continuer d'avoir un impact, probablement durant plusieurs années, sur l'économie. Plutôt que de se replier sur soi, c'est le moment de remettre à plat les processus. C'est le moment...

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Nicolas Siegler, Directeur Général Adjoint Maif en charge des Solutions et Systèmes d'information, explique comment ses équipes et lui ont réagi face à la crise du Covid-19. De la mise en place du télétravail à la réorganisation du portefeuille de projets, en passant par la livraison d'un nouveau système pour gérer la redistribution de 100 millions d'euros à ses sociétaires, la société d'assurance a dû mener de front de nombreux chantiers IT. L'adoption d'un fonctionnement agile au sein de la DSI et plus largement de la Maif a joué un rôle clef pour relever tous ces défis.

PublicitéCIO : la MAIF travaille depuis plusieurs années déjà sur sa transformation digitale. Où en étiez-vous à la DSI avant que la pandémie ne survienne ?

Nicolas Siegler : De nombreux chantiers ont été engagés depuis plusieurs années concernant la transformation digitale de la Maif, et plus particulièrement de la DSI et du système d'information.

Nous avons travaillé sur l'agilité du système d'information, en développant l'usage des API, des micro-services et la plateformisation de nos applications. Côté infrastructure, nous avons lancé des travaux avec le Cloud public : nous avions déjà beaucoup de solutions en SaaS, et nous avons fait des premiers déploiements sur le PaaS. Nous sommes encore en phase de rodage et de capitalisation. Le but est d'être capables de déployer davantage de ressources quand ce sera le bon moment.

Nous avons également mené de gros travaux de fond sur l'expérience des utilisateurs (UX). Ceux-ci vont converger avec d'autres chantiers purement technologiques, comme le passage à Windows 10 qui est une contrainte imposée par Microsoft mais dont nous essayons de faire une opportunité notamment en repensant notre bureau électronique propriétaire pour aller vers des environnements de travail plus standardisés.

Enfin, nous faisons converger les méthodes de travail pour devenir une organisation agile. C'est un travail de fond entrepris il y a déjà quelques années et qui s'est accéléré en 2019 pour passer l'agilité de la DSI à l'échelle. L'agilité nécessite une organisation différente des équipes, en tribus et squads, avec des nouveaux rôles (Product owner, Tribe leader, etc.) qui émergent, et des équipages et des guildes qui se mettent en place. Il faut aussi repenser les processus transverses afin que cette organisation fonctionne. Pour les utilisateurs, ces modes de fonctionnement agile ont mis en évidence l'intérêt pour eux de s'impliquer dans les projets, afin d'avoir des produits qui leur conviennent beaucoup mieux. Nous utilisons des approches de type MVP (Minimum Viable Product) : c'est une nouvelle logique que les utilisateurs doivent s'approprier, en apprenant à avoir des applications qui démarrent « petit » et s'enrichissent régulièrement en fonction des feedbacks utilisateurs.

CIO : en quoi cette agilité vous a aidé dans la gestion de la crise ?

Nicolas Siegler : nous constatons que cette agilité nous a bien aidé lors du démarrage de la crise. Le travail de fond, notamment sur le plan culturel, porte aujourd'hui ses fruits et nous a permis d'être au rendez-vous.

Ainsi, il y a deux semaines, la MAIF a lancé une opération de redistribution de 100 millions d'euros à ses sociétaires, à la suite de la diminution drastique des accidents de la route. Grâce au travail effectué en amont, nous avons pu monter le système d'information nécessaire pour gérer cette redistribution en deux semaines : un site Web associé avec un serveur vocal pour la partie selfcare, et un couplage léger à notre système interne NORA (Nouvel Outil pour une Relation Attentionnée) à travers une API. NORA fournit l'interface utilisée par les conseillers et permet à ces derniers de traiter les appels.

PublicitéCIO : comment s'est passée la mise en place du télétravail massif à la MAIF ?

Nicolas Siegler : la mise en place du télétravail s'est bien passée. Entre 4000 et 5000 de nos salariés sont actuellement équipés pour travailler à distance, même s'ils n'entrent pas tous dans le cadre strict du télétravail au sens RH. Nous avons clairement bénéficié de travaux antérieurs, entamés il y a deux ans. D'un point de vue RH, la construction du télétravail avait déjà été abordée, et sur environ 7000 collaborateurs, un millier télétravaillaient déjà. D'un point de vue opérationnel, nous avions qualifié les solutions, déployés des outils sur les postes de travail pour la téléphonie, l'accès à nos applications...

CIO : et au sein de la DSI ?

Nicolas Siegler : Pour bien comprendre ce qui s'est passé, il faut avoir en tête que toutes nos équipes agiles s'appuient aujourd'hui sur des rituels réguliers, comme la revue du backlog ou des mêlées quotidiennes de 30 minutes maximum. Ces rendez-vous avaient déjà été outillés pour permettre aux télétravailleurs de la DSI d'y participer à distance. De ce fait, le jour où il a fallu passer 100% de l'équipe en télétravail, l'outillage était déjà prêt et beaucoup des collaborateurs IT étaient déjà familiarisés avec celui-ci.

Le télétravail a donc prolongé ce fonctionnement : avoir ce temps collectif chaque jour est important pour garder le contact, c'est bénéfique pendant la durée du confinement. Nos managers avaient également confiance dans cette organisation pour leurs collaborateurs. Le management et les équipes étaient sereins, car tous étaient déjà habitués à travailler dans une confiance mutuelle.

CIO : vos prestataires ont-ils également pu continuer ?

Nicolas Siegler : concernant nos prestataires, nous avons eu deux axes de travail avec la mise en place du confinement. D'une part, nous avons fait le point avec chaque entreprise pour connaître leur organisation sur le télétravail. D'autre part, nous avons identifié projet par projet les prestataires qui allaient pouvoir continuer à distance, un vrai travail de fourmi. Certains travaillaient sur Office 365, ce qui a facilité les choses. Dans d'autres cas, nous avons aidé à débloquer la situation en fournissant un accès VPN ou des PC portables. Cette démarche a reçu un accueil très favorable, pratiquement tous nos prestataires ont joué le jeu du télétravail.

Nous avons une relation de bonne intelligence avec nos fournisseurs, même si évidemment quelques aspects contractuels nécessitent d'être regardés, sur la volumétrie ou le décalage de certains projets.

CIO : pouvez-vous nous donner quelques chiffres sur votre département ?

Nicolas Siegler : en interne, nous avons environ 600 collaborateurs à la DSI, ainsi qu'une centaine de profils IT rattachés à d'autres directions. Nous avons également 500 prestataires, à la fois sur les projets et les opérations. Notre budget projets est d'environ 100 millions, ce qui équivaut peu ou prou au budget opérationnel de la DSI. Nous sommes donc pratiquement à 50/50 entre Build et Run.

CIO : avec vos équipes, comment avez-vous procédé pour organiser le travail à distance ?

Nicolas Siegler : nous avons commencé à nous inquiéter de la tournure prise par les événements fin février. À ce moment-là, nous avons mené un premier travail de recensement des PC portables disponibles dans l'entreprise en anticipant les contraintes potentielles en cas de télétravail massif. Au niveau de l'entreprise, une cellule de crise a été montée fin février début mars, à laquelle participaient la DSI et les autres directions. Nous avons assez vite identifié les différentes options envisageables. Quand le confinement a été annoncé, cela a permis à l'entreprise de choisir très rapidement de mettre tous les salariés - notamment ceux des plateaux téléphoniques - en travail à distance.

Au niveau de la DSI, nous avons abordé la gestion de cette crise sous plusieurs angles. Le premier problème concernait les postes de travail : fallait-il fournir des PC portables aux collaborateurs ? Les autoriser à emporter chez eux leurs postes fixes ? Ou encore, leur permettre de travailler sur leurs ordinateurs personnels ? Nous avons très vite exclu cette dernière option, car les familles de nos salariés pouvaient aussi en avoir besoin. Finalement, nous avons choisi l'option des PC portables, pour des questions de confort de travail. En effet, les PC fixes ne sont pas équipés de Wi-Fi et les collaborateurs auraient dû se brancher avec un câble sur leur box, ce qui n'était pas nécessairement simple ni souhaitable pour une organisation destinée à durer plusieurs semaines, voire mois. Une fois la décision prise, nous avons eu un gros travail avec les Achats pour acquérir des PC portables. Au total, nous avons acheté environ 1000 postes supplémentaires, en plusieurs lots.

La deuxième étape consistait à configurer ces postes pour le télétravail. Certains étaient des machines puissantes, sur lesquelles il était facile d'installer un VPN permettant d'accéder à notre système central, à nos outils métiers et à la téléphonie. Avec ces postes, les salariés retrouvaient chez eux un environnement identique à celui dont ils disposaient en plateau. Nous avons également pu acheter des machines plus bas de gamme, sans VPN ni softphone. Sur celles-ci, nous avons mis en place un nouveau type d'accès via Citrix, afin d'émuler localement les systèmes MAIF. La qualité était différente, mais cela fonctionnait. Pour la téléphonie, nos techniciens ont rapidement développé une solution permettant de renvoyer les appels reçus via notre système central sur de petits téléphones standard (pas des smartphones), au nombre d'environ un millier. Ensuite, des équipes se sont occupées de la logistique et de l'expédition, pour envoyer ce matériel chez nos collaborateurs. Nous avons enfin redimensionné notre VPN, qui en temps normal supporte 2500 connexions simultanées. Nous avons multiplié ce nombre par 4 en deux semaines, pour nous assurer que le VPN ne soit pas limitant pour le travail à distance.

Un autre volet concernait l'assistance aux utilisateurs : le nombre d'appels à l'assistance a été multiplié par 3, avec une majorité de demandes concernant la prise en main des outils de télétravail. Notre équipe d'assistance bureautique s'est mise en capacité - elle aussi à distance - de répondre à ces demandes.

CIO : quels outils utilisez-vous pour le travail à distance ?

Nicolas Siegler : pour les réunions en ligne, au départ nous avions plusieurs outils : notre visioconférence Cisco, Teams, Skype, le service d'Orange... Les deux premières semaines, nous avons testé les différentes solutions de façon massive, pour affiner notre choix, après quoi nous avons fait converger tout le monde sur Teams. Celui-ci a plutôt bien tenu, même si la qualité des communications est parfois assez dégradée. Certaines équipes qui utilisaient habituellement Slack ont aussi rencontré des limitations et sont également passées sur Teams pour la collaboration. Le projet de basculer sur Teams était dans les tuyaux, avec une volonté de standardiser les outils, mais la crise l'a accéléré.

Pour la bureautique et la messagerie, nous utilisons Office 365, ce qui a l'avantage de ne pas nécessiter de VPN. Nous avons partagé des consignes avec nos collaborateurs pour optimiser la bande passante sur celui-ci, en leur demandant de se déconnecter du VPN quand ils traitaient leurs mails ou étaient en réunion. Cela a aidé à maintenir le niveau de service pour ceux qui utilisaient les applications métiers.

CIO : est-ce que ce télétravail a eu un impact sur le SI métier ?

Nicolas Siegler : les outils métiers sont moins sollicités en ce moment, car l'activité assurantielle a diminué depuis le confinement, comme dans de nombreux secteurs. Nous ne sommes pas inquiets sur la capacité de nos SI coeur de métier à tenir la charge. Le seul point sensible a été le VPN.

Nous avons toutefois fait attention à ce que notre SI métier ne subisse pas d'incidents ni de bugs durant la mise en place du télétravail, avec un moratoire immédiat sur les mises en production, qui a duré 10 jours, le temps de bien mettre en place le télétravail et d'assurer la continuité des activités pour nos sociétaires. À l'issue de cette période, nous avons rouvert progressivement les mises à jour, avec un cadre renforcé pour l'acceptation des changements afin de ne pas prendre de risques. Nous avons également repris assez vite les patchs de sécurité pour ne pas prêter le flanc aux cyberattaques.

CIO : est-ce que la crise actuelle a nécessité de revoir les priorités au niveau des projets en cours ?

Nicolas Siegler : nous avons un très gros portefeuille de projets, avec environ 150 projets répartis en huit programmes, chacun avec un directeur de programme. Nous avons organisé le télétravail pour tous les projets, avec un avantage, la plupart de ces équipes projet étaient déjà équipées d'ordinateurs portables. Nous avons travaillé sur deux axes : l'organisation opérationnelle et les objectifs des différents projets, afin de les prioriser. Nous avons ainsi identifié 5 types de projets. Le premier, un peu à part, concernait deux projets qui ont été accélérés à fond en vue du confinement : le développement du télétravail et la mise en place d'outils de self-care sur l'espace personnel des sociétaires. Sur ce projet, nous avons avancé la date d'ouverture pour certaines fonctionnalités qui étaient en test, mais déjà bien rodées.

Ensuite, nous avons établi quatre grandes catégories : la première concernait les projets dont les équipes pouvaient poursuivre leur travail comme avant, et pour lesquels il n'était pas nécessaire de changer les dates de mise en production prévues, soit parce que celles-ci étaient lointaines, soit parce que les projets répondaient à des contraintes spécifiques. La deuxième concernait des projets similaires, mais pour lesquels il était nécessaire de regarder la date de mise en production, pour des questions d'accompagnement au changement. En effet, celui-ci ne peut se faire de la même façon si nous ne pouvons pas faire de formations en présentiel ou si la moitié de l'équipe seulement est disponible. Troisième catégorie, des projets qui pouvaient continuer normalement, mais sur lesquels nous pouvions libérer des ressources pour les prêter à d'autres en cas de perte de capacité significative. En effet, à ce stade nous n'étions pas capables d'évaluer l'impact de l'épidémie sur la santé de nos collaborateurs. Enfin, la dernière catégorie regroupait les quelques projets qui ont été suspendus, notamment des projets sur le réseau, des montées de version techniques un peu compliquées ou des réorganisations.

Seuls deux ou trois projets ont été suspendus. Constater que plus de 95% de nos projets pouvaient continuer avec le télétravail a été une bonne surprise : en effet, si notre première priorité était sanitaire, la deuxième était de servir les clients et la troisième, de ne pas prendre de retard sur nos projets.

Aujourd'hui cette planification se confirme, les projets continuent. Nous n'avons pour l'instant pas objectivé les écarts de productivité éventuels entre la période actuelle et la situation antérieure au confinement. Dans certains cas, les collaborateurs sont davantage disponibles, tandis que d'autres ont des gardes d'enfants. Mais cela ne semble pas de nature à perturber fortement notre avancement.

CIO : même s'il est un peu tôt pour dresser un bilan de cette crise, quelques semaines après son démarrage, avez-vous néanmoins quelques observations à partager ?

Nicolas Siegler : cette crise nous a permis de faire plusieurs constats intéressants. Le premier concerne l'agilité. Nous étions déjà convaincus intellectuellement de l'intérêt de tout ce travail. Parce que nous ne pouvions pas savoir à quelle vitesse le secteur de l'assurance pouvait être touché par les transformations digitales et les technologies comme l'IA, l'automatisation, nous avions conclu que la meilleure façon de nous préparer c'était de rendre nos modes de fonctionnement plus agiles. Nous devions être en capacité de pivoter rapidement. Cette orientation vers l'Agile était un pari, mais tout ce travail nous a clairement permis de réagir très vite face à la pandémie. L'Agile nous a apporté une décentralisation des décisions au sein de petites équipes aux responsabilités clairement établies, des modes de fonctionnement favorisant les interactions au quotidien au sein des équipes (ce qui a permis d'éviter les phénomènes d'isolement lié au télétravail) et la collaboration aisée entre équipes différentes.

Deuxième observation, il y a maintenant quatre ans, nous avons choisi de mettre en place des outils collaboratifs comme Teams, Sharepoint, Onedrive et un réseau social d'entreprise. Ce pari s'avère aujourd'hui payant : nous avons pu mettre en place le télétravail sans aucun problème, alors qu'il y a quatre ans, les fichiers partagés étaient sur un répertoire qui nécessitait un accès VPN. Cette digital workplace nous a apporté une grande souplesse et de la facilité pour mettre en place l'entreprise virtuelle.

Troisième remarque, une telle crise facilite les projets de transformation. Les collaborateurs sont très ouverts, car ils n'ont pas le choix. Nous l'avons vu par exemple avec Teams, adopté spontanément par les équipes.

CIO : quels enseignements tirez-vous de tout cela, et qu'envisagez-vous pour la suite ?

Nicolas Siegler : Nous avons des enseignements à tirer sur nos processus internes. Les points quotidiens rapides fonctionnent bien, il faut s'en inspirer de manière durable. Nous avons également expérimenté les circuits courts, par exemple pour qualifier des solutions techniques très rapidement. Ce constat est aussi valable pour la livraison de nouveaux produits, comme l'a montré l'outil pour gérer la redistribution, monté en 10 jours là où en temps normal il aurait peut-être fallu deux ou trois mois. Enfin, si les consignes sont claires, l'autodiscipline fonctionne très bien au sein des équipes, pas besoin d'être sur leur dos.

Pour la suite, nous commençons à regarder comment nous allons gérer le déconfinement. Avec à la possibilité, à moyen terme, d'équiper tous nos collaborateurs de PC portables. Nous avions déjà fait quelques tests sur des plateaux téléphoniques, mais sans vraiment creuser le sujet. Si de tels événements se reproduisent, l'investissement supplémentaire lié aux ordinateurs portables sera plus vite rentabilisé.

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