Nejia Lanouar (Ville de Paris) : « la DSI est devenue un service au citoyen en plus d'un support aux métiers »


Mettre la DSI au service des métiers et des citoyens
Certes, on le répète depuis des années, mais l'IT n'a aucune justification en elle-même. Un investissement en matière d'IT n'a de pertinence que par la valeur générée pour les utilisateurs, qu'il s'agisse des métiers, des clients finaux de l'entreprise ou des citoyens. Les témoins s'exprimant dans...
DécouvrirNejia Lanouar, DSI de la Ville de Paris, doit servir une collectivité aux 300 métiers d'une grande variété. Si la plate-forme open-source Lutèce facilite l'intégration des applicatifs, l'hétérogénéité de l'existant complexifie certaines mutations technologiques telles que le cloud.
PublicitéCIO : Comment est organisée la Ville de Paris du point de vue de son IT ?
Nejia Lanouar : Depuis 2002, la direction unique de la maîtrise d'oeuvre de tous les applicatifs de la ville est la DSI, à l'exception de ce que nous nommons des « SI industriels ». Il s'agit des SI embarqués dans des process industriels, comme le SI de la gestion des égouts, celui de la signalisation routière, etc. Les SI industriels disposent également en général de leurs propres infrastructures. Les mairies d'arrondissement disposent d'un budget de fonctionnement pour des services de proximité mais le SI est bien central, même si certaines ont quelques applicatifs locaux.
Certains services ont été intégrés à la DSI ultérieurement. Par exemple, le support du poste de travail a été intégré en 2015 avec les 150 agents dédiés. L'assistance informatique repose désormais sur un centre d'appel et trois agences de proximité réparties dans Paris. Désormais, en matière de poste de travail, il y a une politique claire et homogène, quelque soit la direction métier. En tout, la Ville de Paris gère 30 000 postes de travail.
De même, le SI géographique a rejoint la DSI, ce qui nous a permis de mettre en place un référentiel géographique unique et de l'utiliser dans des outils d'alertes en cas de crises (évacuations en cas d'inondations...). Le SIG est aussi un outil précieux d'aide à la décision dans de nombreux domaines.
CIO : Comment est organisée la DSI elle-même ? Etes-vous responsables de vos propres marchés publics ?
Nejia Lanouar : Notre organisation est très classique : un service dédié aux infrastructures, un autre au support et un troisième à la transformation et de l'intégration numérique (en charge des projets). En tout, la DSI dispose de 500 agents auxquels s'ajoutent des externes en nombre variable (environ une centaine dans nos locaux et des collaborateurs des sociétés prestataires).
Le service support dispose d'une cellule achats qui est en charge de la préconisation et qui agit en coordination avec la Direction des Finances et des Achats. Dans tous les cas, la DSI reste prescriptrice.
CIO : Et côté infrastructures ?
Nejia Lanouar : Nous avions des datacenters propres mais externalisés que nous avons migrés dans un datacenter souverain qui nous appartient totalement et est situé à Paris. Nous sommes en train de travailler sur une amélioration du PRA de celui-ci. Il est envisagé que nous en fassions profiter d'autres services publics avec lesquels nous pourrions le partager.
Par ailleurs, nous avons la chance de disposer d'un réseau qui nous appartient totalement de 700 kilomètres de fibre optique qui permet de relier des milliers d'équipements sur tout le territoire de la ville. Un tel réseau propre nous permet de très importantes économies.
PublicitéCIO : Allez-vous faire évoluer cette infrastructure, par exemple vers du cloud ?
Nejia Lanouar : Une évolution vers le cloud privé est en cours mais elle est compliquée. Notre SI mixe en effet de l'applicatif propre et du progiciel. Surtout, nous devons servir plus de 300 métiers, ce qui suppose d'entretenir un parc de plus de 700 applicatifs. Dans les collectivités, la grande difficulté a toujours été la grande diversité des métiers, qui les distingue tout à fait d'une entreprise qui n'a en général qu'un seul métier, au plus deux ou trois.
Même pour évoluer vers le DevOps, ce point nous pose des difficultés. La notion de « produit » peut parfois être difficile à appréhender chez nous.
CIO : Coté applicatifs justement, comment se caractérise votre SI ?
Nejia Lanouar : Tout le spécifique est développé dans la plate-forme open-source Lutèce, avec des règles de développement très strictes, ce qui facilite les évolutions d'infrastructure, par exemple pour passer au cloud ou à une approche DevOps. Pour les progiciels, par contre, nous dépendons des éditeurs.
L'open-source est un choix politique délibéré. Lutèce a ainsi permis de développer rapidement des outils pour répondre à une actualité politique, par exemple le budget participatif, le service « Dans ma rue », la transparence de l'attribution de logements, etc.
Bientôt, au printemps 2019, nous dématérialiserons les autorisations du droit du sol, la partie la plus connue de cette activité concerne les permis de construire et les autorisations connexes. Autre exemple, l'application « Paris Espace Partagé et Solidaire » (pour l'aide sociale) est en cours de démarrage. Il existe de nombreux autres projets sur cette plate-forme.
CIO : Le Défenseur des Droits fustige régulièrement la fracture numérique dans l'accès aux droits liée à l'e-administration. En particulier pour une application dédiée à un public en difficulté, comment gérez-vous cette contrainte ?
Nejia Lanouar : Il s'agit là d'une contrainte normale pour une collectivité. Nous avons une obligation d'éviter la fracture numérique. C'est pourquoi nous prévoyons toujours, lorsqu'une démarche est dématérialisée, des agents pour accompagner les publics non-utilisateurs du numérique. Le cas échéant, c'est un agent qui réalisera la démarche en ligne en présence de la personne.
Il faut toujours éviter la rupture de service, la fracture numérique. Mais le numérique peut permettre de vrais plus, comme les chatbots pour répondre 24/7 aux questions des usages. Le premier a été le chatbot Horo (comme horodateur) pour accompagner la réforme du stationnement.
CIO : Puisque l'on parle du secteur social, une compétence normalement départementale, qu'ont impliqué en matière d'IT les récentes évolutions du statut de Paris ?
Nejia Lanouar : En effet, Paris a un certain nombre de particularités. Par exemple, Paris n'a pas les pouvoirs de police, attribués à la Préfecture de Police. Mais, depuis un an, certaines compétences ont été transférées à la ville comme la délivrance des titres d'identité. Il y a eu aussi la réforme du stationnement. En tout, ce sont 16 systèmes de la Préfecture de Police qui ont dû être intégrés dans le SI de la ville. Il a fallu doter les agents concernés de terminaux mobiles et mettre en place une équipe support appropriée.
Au 1er janvier 2019, nous avons fusionné la ville et le département. Cela a eu un impact sur les SIRH, SI Finances et 70 applicatifs comme ceux de la sphère sociale. C'est bien sûr une simplification pour la gestion quotidienne. Cette fusion et le changement de nomenclature comptable ont impliqué de lourds travaux.
CIO : Vous avez dit que vous étiez maîtrise d'oeuvre centrale mais qui est maîtrise d'ouvrage ?
Nejia Lanouar : Ce sont toujours les métiers qui sont responsables de la maîtrise d'ouvrage. Les élus donnent des directives stratégiques et, ensuite, les directions métiers les mettent en oeuvre. Parfois, pour les petites directions ou dans certains cas particuliers, la DSI fait de l'assistance maîtrise d'ouvrage. Mais le métier demeure toujours le commanditaire, même quand la conduite du projet est confiée à la DSI.
CIO : Comment gérez-vous votre plan de travail ?
Nejia Lanouar : Le plan pluri-annuel est en principe sur la durée de la mandature, avec des lignes directrices revues annuellement pour suivre les actualités. Chaque année, nous négocions des contrats de partenariat entre les directions métiers et la DSI pour formaliser leurs attentes à notre égard. Hors urgences, nous ne menons pas de projets au fil de l'eau. Il y a donc annuellement une vingtaine de contrats à signer. Nous gérons ainsi pour chaque année, un plan de travail sur les infrastructures, les supports, les applicatifs, etc.
CIO : Comment menez-vous la digitalisation de la relation citoyens ?
Nejia Lanouar : Le compte usager unique est d'ores et déjà mis en place. Mais tous les systèmes et applications n'y sont pas encore reliés. Si la connexion de bout-en-bout de l'interface citoyen jusqu'au back-office métier n'est pas complète, cela empire presque les choses : les gens s'attendent à avoir un résultat instantané ! Et ils peuvent dès lors être déçus s'il y a un délai parce qu'un agent doit intervenir aux heures ouvrables. Or tout raccorder et faire du bout-en-bout est bien sûr compliqué et nécessite des réorganisations des process.
Lorsqu'un applicatif a été développé sous Lutèce, il n'y a pas de problème et il est facile de l'intégrer à une chaîne complète. Mais, à l'inverse, certains progiciels posent de réels problèmes.
Mais nous proposons des services innovants parfois assez inattendus. Par exemple, de nombreux services peuvent maintenant être payés en ligne, y compris les autorisations de tournage sur l'espace public. Ce projet très innatendu concernait un métier très particulier où l'informatisation était délicate. Il associait plusieurs directions : les affaires culturelles, la voirie, les finances... et des partenaires externes. C'était un petit projet mais très intéressant car il a débouché sur une série de projets relatifs à la gestion des événements sur l'espace public.
CIO : La digitalisation change-t-elle fondamentalement quelque chose pour vous ?
Nejia Lanouar : Aujourd'hui, la criticité des applicatifs a fortement augmenté précisément parce que les services numériques sont directement ouverts aux citoyens. Une panne de back office un vendredi après-midi, avant, se traitait le lundi. Désormais, il faut réparer le week-end. Notre adaptation n'est pas achevée. De même, les pannes sont nettement plus visibles, ce qui nous oblige à une gestion bien plus stricte.
De ce fait, la DSI est devenue une direction au service des usagers en plus d'un support aux métiers. Et la DSI peut recevoir des sollicitations du public, ce qui n'arrivait jamais auparavant.
CIO : Et concernant les agents ?
Nejia Lanouar : Le SIRH est classique mais connaît des projets lourds comme la mis en place de la DUCS [Déclaration Unifiée des Cotisations Sociales]. Emmanuel Grégoire, le premier adjoint actuel, porte politiquement la feuille de route numérique. Sous son impulsion, nous avons développé le télétravail et le travail ubiquitaire avec des terminaux mobiles pour consulter en temps réel les systèmes métiers.
En symétrie du compte unique usager, nous avons un compte agent sur notre intranet. 60 000 agents (dont 30 000 sans PC) peuvent ainsi, sur l'intranet, contacter leur Unité de Gestion Directe [antenne de la DRH par zone géographique], télécharger leurs bulletins de salaire, avec un tableau de suivi des démarches (y compris les demandes de congés).
CIO : La data est-elle un sujet pour vous ?
Nejia Lanouar : Nous disposons d'une plate-forme territoriale capable de recevoir les datas de tous les outils du SI et pour restituer des analyses d'aide à la décision. Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris, a impulsé une politique data pour mieux exercer chaque métier.
Pour donner l'exemple, nous avons commencé par l'analyse de logs pour la prévention d'incidents, notamment en analysant les faisceaux de répétitions d'incidents, pour le taux d'usage des licences de logiciels (notamment pour vérifier la pertinence des investissements)...
Puis nous avons commencé à recevoir des sollicitations de métiers comme la supervision des centaines de centres thermiques [chaufferies de bâtiments] qui remontent les signaux des capteurs de température.
Nous réfléchissons actuellement à ce que l'IA pourrait nous apporter en dehors des chatbots.
D'une manière générale, il ne s'agit pas de foncer tête baissée sur des technologies mais d'amener une amélioration aux services publics rendus. Pour cela, nous devons bien sûr opérer une veille car des usages peuvent apparaître.
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
Commentaire
INFORMATION
Vous devez être connecté à votre compte CIO pour poster un commentaire.
Cliquez ici pour vous connecter
Pas encore inscrit ? s'inscrire