Nadi Bou Hanna (directeur de la DINUM) : « Notre mission est de transformer les usages en activant les leviers du numérique »


Vivre la transformation numérique : de la stratégie au quotidien
Trop souvent, l'expression "transformation numérique" est galvaudée. On l'entend et on hausse les épaules. Pourtant, cette transformation est une réalité. C'est même une réalité aux impacts très quotidiens, pas seulement parce que les collaborateurs vont utiliser un réseau social d'entreprise, une...
DécouvrirDésormais directeur de la DINUM (Direction interministérielle du numérique), la « DSI groupe » de l'État auparavant nommée DINSIC (Direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication), Nadi Bou Hanna nous détaille la politique du numérique de l'État. Bien au-delà du Système d'Information, il s'agit de transformer l'État. Cela passe par une approche raisonnée de l'open-source et des start-ups d'État intégrées aux administrations, pas en opposition avec elles.
PublicitéCIO : Vous avez pris vos fonctions il y a un an. Pouvez-vous, tout d'abord, nous réexpliquer le rôle de votre direction et le concept de « système d'information de l'État », expression désormais au singulier ?
Nadi Bou Hanna : Le « système d'information de l'État » est une expression un peu datée. L'État Numérique se compose en effet bien sûr d'un système d'information et de communication mais aussi de données (avec leurs usages) et d'innovation. Le rôle de notre direction est de définir la stratégie mais aussi d'animer la mise en oeuvre de celle-ci.
Quand on dit « DSI groupe de l'Etat », il faut y voir trois rôles. Tout d'abord, il y a le mode historique, le contrôle d'exécution et le pilotage. A celui-ci s'est ajouté naturellement le soutien et le conseil : il s'agit d'aider les ministères et autres entités publiques à réaliser leur transformation numérique. Enfin, et c'est nouveau, nous avons aussi un rôle explicite de concepteur et d'opérateur. Nous menons à ce titre des projets et plus exactement nous mettons en oeuvre des produits qui sont autant d'actions communes. Historiquement, le premier produit ainsi créé à la « DSI groupe de l'Etat » a été le RIE, le Réseau Interministériel de l'État [Voir liens dans l'encadré]. Plus récemment, nous avons mis en oeuvre la messagerie instantanée sécurisée, avec garanties de confidentialité, en logiciel libre, Tchap. Nous avons aussi un service de webconférence utilisable par tout agent public, basé sur le logiciel libre Jitsi.
CIO : La DINSIC vient une nouvelle fois de changer de nom. Pourquoi cette transformation en DINUM (direction interministérielle du numérique) ?
Nadi Bou Hanna : Ce n'est pas seulement un changement de nom. Notre mission est bien désormais de transformer les usages en activant les leviers du numérique. Il faut concrétiser cette nouvelle orientation. Nous voulons, par ce nouveau nom, donner un signal fort à tous les niveaux de l'administration mais aussi au grand public. C'est une invitation lancée aux ministères pour effectuer des transformations similaires. Le numérique doit être vu comme une famille de métiers complémentaires, pas une série de fonctions différentes. Le décret qui va bientôt paraître va formaliser les périmètres d'intervention et les modes d'action.
Jusqu'à présent, le périmètre de la DINSIC était centré sur l'État. Or l'action publique s'appuie aussi sur des opérateurs, par exemple dans la sphère sociale avec Pôle Emploi. La DINUM sera aussi compétente sur ces opérateurs.
Par ailleurs, tous les ministres pourront saisir la DINUM pour des missions d'expertise.
L'avantage pour la DINSIC et demain la DINUM d'être rattachée au Secrétariat Général du Gouvernement est de bien montrer son rôle sur toute la sphère publique, même si l'ancrage politique est bien entendu au niveau du secrétaire d'État au Numérique.
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CIO : Vous avez récemment diffusé le programme Tech.gouv, votre plan stratégique, avec 8 missions et 35 projets. Quel en est l'axe général ?
Nadi Bou Hanna : Il n'y a pas un seul axe ! Nous avons six enjeux clés. Il s'agit tout d'abord de simplifier la vie des gens. Le deuxième est l'inclusion administrative, ce qui va au-delà de l'inclusion numérique : il faut que les gens puissent utiliser l'administration. Le suivant concerne les ressources humaines : l'attractivité pour la sphère publique afin que nous puissions recruter des experts issus du privé pour changer les modes de prises de décision. Le quatrième enjeu est la maîtrise et ainsi la souveraineté numérique : il ne faut pas être dépendant d'intérêts privés, notamment internationaux. Bien sûr, il y a aussi un enjeu d'économies, donc de gains de productivité. Enfin, le dernier enjeu est celui des alliances. Il nous faut être en étroite liaison avec des partenaires pour produire du service au public, au-delà du service public au sens traditionnel du mot.
Ce sont tous ces enjeux qui se traduisent au travers des 8 missions et 35 projets, avec des échéances et des indicateurs chiffrés, des indicateurs clés de performance (KPI). Et même si la DINUM assurera le portage, tous les ministères y contribuent et y apportent leurs expertises. C'est une forme de coopération assez nouvelle.
CIO : Il y a eu récemment trois départs au sein de l'équipe en charge des start-ups d'État. Où en est ce programme présenté comme important dans la transformation numérique de l'État ?
Nadi Bou Hanna : Pour rétablir les faits, les trois départs concernent deux prestataires et un CDD dont les contrats ont expiré. Ces départs étaient donc prévus de longue date. Mais ce n'est pas anecdotique.
Nous voulons une forme de maîtrise de ce programme qui doit développer une capacité d'accélération mais aussi d'ancrage. Il ne faut pas que les start-ups d'État soient à l'extérieur de l'administration (voire, pire, contre elle) mais bien au sein même de l'administration. Cette vision peut déplaire à des acteurs extérieurs.
Nous avons une équipe dynamique pour mener une vraie politique publique dans les administrations d'État voire aussi dans les collectivités locales. Il s'agit bien d'avoir de véritables impacts sur le quotidien des Français. Par exemple, « Preuve de covoiturage » doit permettre la prise en compte du covoiturage dans les prises en charge par les entreprises afin de favoriser les déplacements moins carbonés. Signaux Faibles est un autre exemple : il s'agit d'aider les entreprises quand il en est encore temps.
Nous avons aujourd'hui 80 start-ups d'État. Mais je considère qu'on n'en a pas assez. Nous en voudrions cinquante nouvelles par an. C'est le plus vaste programme d'entrepreneuriat en France et parmi les plus grands dans le monde. Mais nous ne sommes pas les seuls au monde, bien entendu, à faire de même. Les Etats-Unis, à l'époque du Président Obama, disposaient d'une démarche de cette nature.
CIO : Concernant la politique d'open-data, un autre grand programme de la DINSIC, où en est-on ?
Nadi Bou Hanna : Au sein de la DINSIC, Etalab est un département en charge de l'application de la loi République Numérique à ce sujet. Par exemple, récemment, nous avons accompagné la DGFiP dans l'ouverture de la base foncière. Le but, ce n'est pas ouvrir pour ouvrir mais bien de permettre la création de services par des entreprises. Dans le cas de la base foncière, MeilleursAgents.com l'utilise pour ses services d'estimation de valeur de biens immobiliers.
39000 jeux de données sont actuellement ouverts. Nous sommes un des acteurs importants de l'open-data dans le monde. Mais, au-delà de l'open-data, c'est bien la circulation des données qui compte.
Les Français veulent de la simplicité. Cela passe par des principes comme le « dites-le nous une seule fois » voire « ne nous le dites pas, nous le savons déjà ». La donnée doit circuler dans l'administration. Nous devons veiller, via ce focus sur la data, à ce que tous les outils techniques nécessaires soient disponibles afin qu'il n'y ait aucune excuse possible si la donnée ne circule pas.
Et puis, comme dans n'importe quelle entreprise, la data doit être exploitée par l'État pour accompagner la prise de décision. Tout le champ « data » est dans le périmètre de la DINSIC.
CIO : Depuis la Circulaire Ayrault, l'Open Source est recommandé dans l'administration mais, dans la réalité, il y a le contrat « open-bar » de Microsoft au Ministère des Armées, du Microsoft Office un peu partout, des bases de données Oracle, SAP pour le programme Chorus... Qu'en est-il ?
Nadi Bou Hanna : Il n'y a pas de « préférence Open-Source ». Ce n'est pas un « j'aime / j'aime pas ». Il n'y a pas de théologie. Nous avons quitté l'illusion que l'open-source a toutes les vertus. Même quand le code est ouvert, on n'a pas forcément la maîtrise effective de ce code et des échanges de données. A l'inverse, certaines solutions propriétaires sont réellement ouvertes via des API documentées.
Nos enjeux, c'est de pouvoir avoir un vrai choix, accéder aux données et garantir la réversibilité. Nous ne devons pas subir le rythme des fournisseurs et être toujours capables d'en changer.
Dans ce cadre, l'open-source est une approche que nous regardons à chaque fois. L'initiative code.data.gouv.fr répertorie les codes sources disponibles. Mais il faut des solutions de qualité, avec une vraie communauté pour les soutenir. Tchap est un bon exemple de logiciel libre sur lequel nous avons effectué des développements reversés à la communauté.
Nous ne sommes pas des Bisounours mais nous visons l'intérêt de l'État et de ses agents. Si une solution n'est pas de qualité et est rejetée par les agents, cela bloquera la transformation numérique. Pour atteindre nos objectifs, nous voulons promouvoir des solutions de qualité, si possible françaises.
CIO : Quels seront vos prochains défis ?
Nadi Bou Hanna : Déjà, réussir le programme Tech.gouv.fr ! Une fois les plans faits, il faut construire la maison. D'autant qu'il faut, pour cela, mobiliser les architectes, les maçons, les électriciens, les plombiers... Nous avons désormais un corps interministériel pour les ingénieurs informaticiens qui doit être attractif pour les jeunes diplômés. Je profite de l'occasion pour indiquer que l'État recrute massivement des talents numériques. Notre site Numerique.gouv.fr comprend d'ailleurs une rubrique recrutement.
Le 12 Décembre 2019, nous allons organiser un grand forum de l'emploi numérique dans le secteur public à Paris, le Forum de l'emploi Tech de l'État, ouverts à tous les talents numériques, y compris à ceux travaillant actuellement dans le privé. Tous les ministères seront présents ainsi que de nombreux autres acteurs, nationaux et locaux.
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
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