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Mokhtar Ben Belgacem (Bpifrance) : « les spécificités métiers impliquent des spécificités IT »

Mokhtar Ben Belgacem (Bpifrance) : « les spécificités métiers impliquent des spécificités IT »
Depuis 2013 et jusqu’au départ à la retraite de Xavier de Broca qu’il a remplacé en tant que DSI de Bpifrance, Mokhtar Ben Belgacem était Directeur des projets métiers du SI chez Bpifrance.
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°160 !
Métiers, que la force de l'IT soit avec vous !

Métiers, que la force de l'IT soit avec vous !

Aligner l'IT sur le métier, base d'une bonne gouvernance de la DSI, est un principe connu depuis des années. Bien. Mais il ne faudrait pas oublier que le métier bénéficie de la valeur de l'IT, que l'IT est un outil important et, plus encore, une source d'innovation, de changements dans les...

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Nouveau DSI de Bpifrance, le bras armé de la politique industrielle de la France, Mokhtar Ben Belgacem a une longue expérience dans ce groupe où il est entré en 2001 comme DSI adjoint d'Oseo Garantie. Il nous détaille ici sa feuille de route pour les années à venir en sept items d'un plan stratégique où clients, métier et collaborateurs sont centraux. Et il revient aussi sur la construction de Bpifrance par de multiples rapprochements, explicitant comment procéder dans ce genre de situation.

PublicitéCIO : Bpifrance est issu de multiples rapprochements successifs. Quelles ont été les conséquences de cette histoire ?

Mokhtar Ben Belgacem : Nous avons acquis un vrai savoir-faire dans l'intégration et la convergence des SI puisque nous le faisons, en effet, depuis des années. Tout d'abord, cela consiste à garantir la continuité du run : les services informatiques continuent d'être délivrés sans aucune rupture. Ensuite, il faut lancer des projets de transformation.
Il y a trois étapes dans cette transformation. La première concerne la mutualisation des briques techniques et des compétences, notamment en ce qui concerne les équipes et les infrastructures transverses. Ensuite, il faut tracer une trajectoire pour permettre de gagner en efficacité. Cela passe par l'adoption dans l'ensemble du SI du meilleur trouvé dans les différents constituants. Par exemple, nous avons ainsi généralisé la qualification du SI ou l'usine logicielle, issus chacun d'établissements à l'origine de Bpifrance. Enfin, il faut savoir préserver les spécificités métiers. Les spécificités métiers impliquent des spécificités IT. Il faut que chaque métier ait le sentiment d'avoir un SI spécifique lui étant dédié alors que l'environnement technique est commun.

CIO : Comment est construit l'IT de Bpifrance aujourd'hui ?

Mokhtar Ben Belgacem : Notre DSI comprend 165 collaborateurs, surtout localisés à notre siège de Maisons-Alfort. A ceux-là s'ajoutent les prestataires en régie. Les métiers de l'assurance, du financement export et de l'investissement étant à Paris, les équipes projets travaillant avec eux sont souvent là-bas. En tout, nous avons à gérer plus de 300 applications, spécifiques ou progiciels. Beaucoup des progiciels font partie du Legacy et sont liés au métier bancaire.
Notre Legacy, c'est notamment un Mainframe IBM hébergé chez un tiers, aujourd'hui résiduel. Notre sortie totale de cette plate-forme est programmée sous trois ans. La base de notre SI actuel, plutôt moderne, est le Java avec des progiciels tels que la comptabilité chez Oracle ou Cassiopae racheté par Sopra Steria après avoir été soutenu par Bpifrance. La plupart des logiciels déployés sur nos poste de travail sont en mode client léger, très peu en client lourd. Nous avons été la première banque française à faire la bascule vers une bureautique dans le cloud, en l'occurrence Office 365 de Microsoft. Nous utilisons également Dynamics 365 comme CRM ainsi que le réseau social Yammer. Teams est en cours de déploiement.
Le cloud est un axe stratégique pour Bpifrance, même si nous disposons de nos propres datacenters. L'objectif de l'adoption du cloud est tout simplement l'amélioration du service.



PublicitéCIO : Comment gérez-vous la conformité réglementaire de ce que vous mettez dans le cloud ?

Mokhtar Ben Belgacem : La question de la conformité, ce n'est pas une question de la seule DSI. C'est une problématique qui concerne la totalité de l'entreprise. Nous avons bien sûr une Direction de la Conformité et du Contrôle Permanent qui, avec la Direction Juridique, a pu nous permettre de basculer vers le cloud.
Les prestataires du Cloud ont bien compris l'enjeu de cette conformité. Au Gartner Symposium de cette année, Google a passé la moitié de son temps d'intervention sur ce sujet précis. Il n'y a pas plus de risque dans le cloud ou dans le on premise, les risques sont simplement différents.

CIO : Vous venez de prendre vos fonctions de DSI. Quelle est votre feuille de route pour les prochaines années ?

Mokhtar Ben Belgacem : Depuis l'été 2017, j'avais l'objectif d'une nouvelle organisation en devenant l'adjoint de Xavier de Broca. Jusqu'à la rentrée 2017, il y a une phase de réflexion à base d'échanges avec mes pairs, soit en tout une quarantaine de rencontres. Puis beaucoup de travail en interne avec mes équipes. Nous avons commencé avec un cercle restreint puis, petit à petit, nous avons élargi les échanges.
Au deuxième semestre, nous avons construit un plan stratégique pour répondre aux orientations stratégiques de Bpifrance. Ce plan comprend sept axes.

CIO : Pouvez-vous nous détailler ces sept axes ?

Mokhtar Ben Belgacem : Le premier est le client centric. Il s'agit de mettre le client au centre, qu'il s'agisse du client externe ou du client interne. Il s'agit d'avoir des projets répondant aux attentes des clients grâce aux échanges avec ceux-ci, projets qui seront alors adoptés. C'est très différent de concevoir soi-même des projets que l'on pense adaptés.
Le Business Centric vient logiquement à la suite. Il s'agit d'être proche des lignes métiers, avec une collaboration adaptée à l'agilité. Nous cassons donc la relation client-fournisseur pour un modèle très intégré dans les lignes métiers. Il n'y a donc plus de différence entre un business analyst et un IT analyst. Là encore, il s'agit de proposer le service adapté aux besoins des métiers, pas le service que l'on pense adapté. Cela passe par une forte proximité avec le terrain : les visites dans les services métiers m'ont permis de constater que les collaborateurs en régions ne vivaient pas le SI comme nous l'imaginions. Comme il n'y a pas de collaborateurs de la DSI dans les bureaux régionaux, même si bien entendu il y a un support de proximité, j'ai demandé aux membres de la DSI d'aller rencontrer ces utilisateurs en régions, pour voir ce qui leur plaît, ce qui les irrite, ce qui leur est utile ou non...
Aucun outil ne peut remplacer le contact terrain.

« Aucun outil ne peut remplacer le contact terrain. »

CIO : Vos deux premiers axes concernent donc les cibles de vos actions. Avez-vous des axes méthodologiques ?

Mokhtar Ben Belgacem : Tout à fait. Le troisième axe, c'est l'agilité. Il ne s'agit pas de se contenter de parler de Scrum. L'agilité doit être de bout en bout. Elle doit donc être intégrée aux méthodes du métier. DevOps doit être un moyen de maximiser la productivité. Il s'agit d'optimiser des processus pour dégager du temps, pour accroître la valeur métier. Les tâches techniques peuvent être automatisées.
L'axe suivant, c'est le data centric. Au 1er mars 2018, nous avons créé, dans le cadre de la nouvelle organisation, une direction de la data, sous mon autorité. Il faut noter que la maturité des métiers sur ce sujet progresse fortement. Dans une enquête relative aux attentes des métiers en matière d'IT, la data (et sa valorisation) est arrivée en première position.
Le cinquième axe est l'évolution des modèles d'externalisation. Il faut bien admettre que le modèle tellement décrié de la régie a été une force pour maîtriser de grands projets de transformation. Or, aujourd'hui, les équipes internes passent trop de temps à piloter les prestataires en régie. Pour accroître notre agilité, nous allons donc progressivement basculer vers une logique de centres de services forfaitisés. Cela implique de développer les compétences internes en matière de pilotage de ces centres de services.



CIO : Puisque vous parlez de compétences, qu'en est-il de vos collaborateurs ?

Mokhtar Ben Belgacem : Précisément, le sixième axe de notre stratégie DSI est le collaborateur centric. Les collaborateurs sont la richesse de la DSI. Le contexte global lié aux ressources IT reste très particulier et un vrai sujet pour toutes les DSI. Nous devons travailler sur la fidélisation de nos collaborateurs. Toutes les autres entreprises sont donc nos concurrentes sur le marché de l'emploi. Nous avons donc, en partenariat avec la DRH, à gérer les compétences, la mobilité et la formation.
Enfin, notre septième axe est constitué de principes directeurs pour mener les autres axes stratégiques.

CIO : Quels sont ces principes directeurs ?

Mokhtar Ben Belgacem : Le premier est la simplicité. Simplicité de l'organisation, simplicité du SI (c'est toujours très compliqué d'être simple !), simplicité des interactions clients comme métiers, ce qui passe par la mise en place d'interlocuteurs uniques.
Le deuxième est la proximité. Au sein de la DSI, il s'agit de la proximité entre équipes comme entre des collaborateurs et leurs managers. A l'extérieur de la DSI, on parle de proximité métiers/utilisateurs/clients finaux.
Bien entendu, le suivant est l'agilité. Il s'agit avant tout d'un état d'esprit. Cela suppose de l'accompagnement, de la formation et la transformation de la collaboration.
Enfin, il faut parler de la solidarité qui va de pair avec la responsabilité.



CIO : Puisque l'on parle de management des équipes, comment résolvez-vous l'habituel paradoxe classique de la difficulté de promouvoir un excellent technicien qui serait un mauvais manager ?

Mokhtar Ben Belgacem : Comme je l'ai déjà dit, la richesse de la DSI vient de ses collaborateurs. La performance de la DSI est donc largement liée à l'ambiance et à l'état d'esprit. Quand ce postulat est posé, on peut traiter chaque sujet.
Avec la nouvelle organisation mise en oeuvre début Mars 2018, nous avons effectué plusieurs promotions de techniciens vers des postes de managers ou des postes d'expertise plus larges ainsi que de managers vers des responsabilités supérieures Dans ces situations, il est important d'accompagner les individus et de mener une vraie conduite du changement. La confiance suppose de la transparence.
Le cadre global d'accompagnement des managers est complété par des accompagnements plus spécifiques selon les profils de chaque collaborateur (y compris du coaching individuel à partir de ce mois d'Avril, mis en place avec la DRH), notamment pour les amener à sortir de leur zone de confort.

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