Mohamed Karouia (DSI du Grand Paris) : « la collaboration est clé pour la conduite d'un tel projet »


Données et documents : un patrimoine à valoriser pour le business
Qu'il s'agisse de construire les transports en commun de demain pour la région parisienne, de valoriser des programmes audiovisuels ou, plus simplement, d'exploiter la data à des fins commerciales ou encore de traiter des notes de frais, le terme "système d'information" prend tout son sens. Ces...
DécouvrirLes deux cents kilomètres de lignes nouvelles de métro du Grand Paris Express sont réalisées sous l'égide de la Société du Grand Paris (SGP). Maître d'ouvrage et propriétaire des infrastructures, cet EPIC doit disposer d'un système d'information adapté autant au présent, le chantier, qu'au futur, la période d'exploitation. Mohamed Karouia, DSI de la SGP, nous en explique les principes.
PublicitéCIO : Le nom « Grand Paris » est connu mais que signifie-t-il ?
Mohamed Karouia : La Société du Grand Paris (SGP) est un EPIC [Établissement public à caractère industriel et commercial, NDLR] d'État dont la mission est de réaliser le Grand Paris Express (GPE). Le GPE, ce sont 200 kilomètres de lignes nouvelles de métro, la prolongation sud de la ligne 14 et la création des lignes 15, 16, 17 et 18. Le planning des inaugurations s'étale de 2024 à 2030.
L'EPIC est propriétaire des terrains où passera le GPE dont il est aussi le maître d'ouvrage et le propriétaire. Notre modèle économique repose donc sur la redevance que l'exploitant du GPE nous versera mais aussi sur la valorisation de nos biens fonciers, y compris via la location des surfaces commerciales. Un point important de la philosophie du GPE est que les gares sont des lieux de vie et qu'elles s'insèrent dans des quartiers où il y a également de la vie. Le GPE et ses gares doivent donc assurer un lien entre ceux qui utilisent le métro et ceux qui résident alentour. Nous voulons donc donner une identité aux gares en continuité culturelle et architecturale avec ce qui les entoure.
CIO : Le SI de la SGP est donc celui d'un constructeur d'infrastructures ?
Mohamed Karouia : Tout à fait. Il y a donc quatre grandes familles structurantes, deux chaînes de valeur et deux socles communs transverses, auxquelles s'ajoutent des systèmes spécifiques.
La première chaîne de valeur est celle de la gestion d'actifs : achat, gestion des marchés, gestion de patrimoine, gestion des contrats sans oublier la gestion financière, la comptabilité, la gestion des immobilisations (au sens comptable mais aussi patrimonial, de real estate), etc.
La deuxième est celle de l'ingénierie. Il s'agit ici de la conception et de la construction du GPE, de ce que l'on fait ou fait faire. On parle ici de génie civil mais aussi de la gestion des livraisons, du contrôle du respect des exigences, de pilotage de projet.
Ensuite, il y a le socle commun des données et des documents, ainsi que du pilotage d'activité. On est là sur une problématique aigüe pour la SGP car nous sommes maître d'ouvrage et nous avons à gérer toutes sortes de ressources (matérielles, financières, humaines...). Et le GPE implique la création d'une grande quantité de données dont la durée de conservation est égale à la durée de vie de l'infrastructure (un métro, rappelons-le)... Nous avons des milliers de contributeurs pour des millions de documents. La gestion des données et des documents est donc extrêmement critique. Et le pilotage de ces données va bien au-delà d'un simple besoin cadastral. On est dans le pilotage de chantiers. Donc il s'agit de savoir où est tel tunnelier, où sont les déblais extraits de tel endroit, si ces déblais sont ou non pollués... L'enjeu est celui de la maîtrise de l'activité au-delà du seul suivi des travaux. Ces données doivent également permettre de respecter et faire respecter, ainsi que contrôler le respect, des engagements sociétaux et environnementaux.
Le second socle, c'est celui du travail collaboratif de toute la communauté du GPE. La collaboration est clé pour la conduite d'un tel projet. Et j'insiste : ce n'est pas une simple optimisation ou du confort. Il nous faut une capacité à faire collaborer ensemble toutes les personnes actives autour du projet : les 800 collaborateurs de la SGP bien sûr mais aussi les 8000 intervenants sur le GPE.
La DSI doit aussi fournir de nombreux outils métiers tels qu'une salle de marché, un logiciel de gestion des déblais, etc. mais, comme ce ne sont pas des outils transverses, ils ne sont pas dans des socles ou des chaînes de valeur.
PublicitéCIO : La crise sanitaire a-t-elle changé quelque chose en matière de collaboration ?
Mohamed Karouia : Avant la crise sanitaire, tout le monde travaillait sous le même toit. Avec le confinement, il a fallu faire (sans rupture) en nous reposant sur la visioconférence, etc. Une fois le déconfinement arrivé, nous avons eu parfois un fonctionnement hybride avec, par exemple, une partie des participants dans une salle, une autre partie dans une autre et quelques uns à distance. Le traitement de la question a été plus complexe que prévu alors que c'est un enjeu important. D'où le fait que l'on en a fait un socle à part entière.
CIO : Quels sont vos grands choix d'architecture ?
Mohamed Karouia : Nous nous orientons autant que possible vers les solutions les plus standards. A la genèse, reconnaissons-le, nous étions plutôt dans l'esprit start-up et on se débrouillait avec les moyens du bord, des outils ad hoc de partenaires, de la bureautique... Mais, avec le temps, nous nous sommes orienté vers un SI basé sur les solutions du marché.
En ce moment, nous consolidons ce SI. La taille de l'entreprise a été multipliée par deux en deux ans. Ce changement d'échelle peut aussi être constaté dans la taille du chantier et les ressources financières mobilisées. Le GPE, c'est 35 à 40 milliards d'euros hors matériel roulant...
Avant, si le SI n'était pas parfaitement intégré, il était possible de compenser de façon humaine : chacun connaissait le collègue du bureau d'à côté et on s'arrangeait avec lui. Aujourd'hui, c'est impossible.
Et le SI doit aussi être assez agile pour s'adapter aux nouvelles activités qui s'ajoutent. Par exemple, avec l'avancement des travaux de génie civil, nous avons à nous préoccuper de la réception comme de la gestion et de la maintenance par le futur exploitant.
Il faut que le SI soit toujours plus consolidé, plus intégré, pour sécuriser le projet et le livrer dans les délais.
CIO : Privilégiez-vous le cloud ?
Mohamed Karouia : Nous avons un SI hybride avec, d'un côté, un cloud privé, et de l'autre un recours à un cloud public. Dans le cloud privé, nous avons plutôt le coeur de métier comme le BIM et le SI d'ingénierie et de gestion. Nous utilisons ainsi l'ERP Qualiac de Cegid et le BIM Kroqi développé dans le cadre du Plan Transition Numérique du Bâtiment sous la double égide de la Fédération Française du Bâtiment et de l'État, utilisé par tous les EPIC et entreprises publiques.
Dans le cloud public, nous retrouvons ce qui relève de la messagerie, de la collaboration, etc. Nous sommes plutôt Microsoft avec Azure et Office 365. Il y a là un vrai vecteur d'agilité et de résilience, notamment en cas de bascule confinement / déconfinement.
CIO : D'ici 2030, vous allez progressivement basculer du chantier à la mise en exploitation. Quelles évolutions cela va-t-il impliquer pour l'IT ?
Mohamed Karouia : Une fois le GPE terminé, nous allons administrer un patrimoine.
Mais avoir livré deux cents kilomètres de lignes en une quinzaine d'années fera de nous un maître d'ouvrage de référence. Rien n'est bien sûr décidé à l'heure qu'il est mais je pense que, au-delà de la gestion de notre patrimoine, nous pourrons faire de l'AMOA pour d'autres ouvrages, mettant ainsi notre savoir-faire au service d'autres projets, un peu comme a évolué Aéroports de Paris. Notre système d'information évoluera dans le sens de l'évolution de la société, de l'évolution de son activité et de son modèle économique.
Concernant le GPE lui-même, notre SI sera amené à gérer les redevances, la maintenance, les relations avec les collectivités locales...
CIO : Quels sont aujourd'hui vos grands défis ?
Mohamed Karouia : L'entreprise est dans une phase de changement d'échelle : nous passons de la start-up à la taille industrielle. A cela s'ajoute d'abord la nécessité d'un collaboratif de bout en bout pour tous les acteurs du GPE. Concernant les datas et les documents, la masse n'est pas le seul défi : il y a bien sûr un enjeu important de sécurité. Bien entendu, en pleine crise sanitaire, nous avons un enjeu de résilience qui restera au-delà. Et j'ai déjà parlé de notre enjeu d'agilité. Tout ceci étant posé, nous avons deux grands défis à relever.
Le premier est celui que je nomme la question de la posture de la DSI. Nous ne sommes pas un fournisseurs des métiers mais un business partner. Nous ne devons pas attendre une commande mais anticiper les besoins qui vont s'exprimer. Cela suppose un changement culturel au sein de la DSI. Nous devons explorer de nouveaux usages, exploiter des outils et garantir la résilience quoiqu'il arrive.
Le deuxième grand défi, c'est la consolidation et l'intégration du SI pour sécuriser et fiabiliser notre information, permettant ainsi de respecter les attentes en matière de délais et de qualité pour le GPE. Le SI peut être un levier seulement s'il est assez consolidé, intégré, connecté, fiable et robuste. Il sera impossible d'atteindre nos objectifs quant à la livraison du GPE si le SI est morcelé, avec des besoins de ressaisies, sans capacité à piloter, à garantir résilience et robustesse.
Mais, de toutes façons, nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs et relever ces défis sans intégrer la dimension humaine, la dimension utilisateurs. Notre époque n'est plus celle où l'on se contente de livrer des outils informatiques. Le SI est au service des métiers pour qu'ils atteignent les objectifs business. L'utilisateur est donc l'un des trois axes majeurs, à côté des processus d'entreprise et des outils. C'est cela l'approche digitale.
En effet l'utilisateur doit être au coeur du changement, la technologie doit être au service de l'humain, conçu avec l'humain. Un projet doit toujours être une démarche bicéphale avec un aspect ingénierie / technologie, de l'autre un aspect usages / conduite du changement. Le SI doit être compris, accepté et utilisé pour que l'on puisse parler de transformation numérique.
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
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