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Michel Truong (CNB) : « Nous devons aider les avocats à entrer dans l'ère du numérique »

Michel Truong (CNB) : « Nous devons aider les avocats à entrer dans l'ère du numérique »
Pour Michel Truong, DSI du CNB, « la technologie ne peut fonctionner qu’avec l’appropriation »
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°161 !
La transformation numérique n'est pas un vain mot

La transformation numérique n'est pas un vain mot

Mettre l'IT au service du business, assurer l'alignement stratégique de l'informatique, mettre en oeuvre une gouvernance IT alignée sur le business... Vous avez entendu mille fois ce genre d'injonctions. Même si celles-ci peuvent paraître surannées, elles n'en demeurent pas moins des nécessités....

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DSI du Conseil National des Barreaux, Michel Truong met en oeuvre un plan de transformation numérique au service des avocats devant aller à terme jusqu'à une digital workplace regroupant les services numériques, et notamment les procédures juridiques dématérialisées. Le chantier se doit d'associer totalement les utilisateurs finaux, les avocats, à la définition des solutions dans le cadre d'une réelle démarche agile. Les appels d'offres pour les nouvelles infrastructures et les nouveaux logiciels métiers étant en cours, Michel Truong en explique les enjeux.

PublicitéCIO : Tout d'abord, pouvez-vous nous représenter le Conseil National des Barreaux (CNB) et son rôle ?

Michel Truong : Le CNB est une institution d'intérêt public doté de la personnalité morale. Son financement repose sur les cotisations obligatoires des avocats inscrits dans les 164 barreaux français. Le CNB a plusieurs responsabilités vis-à-vis de la profession. Tout d'abord, il doit « promouvoir l'avocat », les représenter en France et à l'Etranger, ce qui inclut des actions d'influence auprès du Gouvernement. Il établit également le Règlement Intérieur National, unifie et fat évoluer les règles et usages de la profession d'avocat. Toutefois, les sanctions en cas de manquements relèvent des différents barreaux. Il pilote la formation initiale et la formation continue des avocats (certifications professionnelles, titres d'avocats médiateurs, etc.). Enfin, il va délivrer des services aux avocats, notamment dans le champ du numérique, mais sans entrer dans des prestations du domaine concurrentiel.

S'il possède évidemment des permanents salariés (comme moi), le CNB est dirigé par des élus représentant les avocats avec un mandat de trois ans : une assemblée générale de 82 membres se réunissant mensuellement qui élit en son sein un Bureau. Ce bureau comprend notamment notre présidente Christiane Feral-Schuhl [qui collabore avec Le Monde Informatique et CIO depuis une vingtaine d'années, notamment pour l'espace Cyberdroit, NDLR], et deux vice-présidents de droit (le bâtonnier de Paris et le président de la conférence des Bâtonniers). Pour des sujets d'attention particulière, il existe des commissions qui comprennent un président élu (membre de l'AG), d'autres élus et le cas échéant des collaborateurs internes et des experts externes.

CIO : Comment se prennent les décisions relatives au Plan de Transformation Numérique que vous mettez actuellement en oeuvre ?

Michel Truong : Tout d'abord, la DSI prépare un projet. Ce projet est ensuite présenté à la Commission Numérique, à la Présidente et au Trésorier. Enfin, il est soumis à un vote en AG. A chaque étape, il peut être amendé voire rejeté.
Le plan de transformation numérique est un plan stratégique pour la mandature en cours.

CIO : Quel est le périmètre de votre système d'information et quels services délivrez-vous aux avocats dans le domaine numérique ?

Michel Truong : Nous avons avant tout un rôle régalien. Nous sommes les seuls à pouvoir mettre en place les infrastructures de la profession destinées à échanger de façon sécurisée avec la Justice. Le premier élément est le RPVA (Réseau Privé Virtuel des Avocats) qui se connecte au RPVJ (Réseau Privé Virtuel de la Justice, mis en place par le Ministère de la Justice) et à d'autres outils et institutions (comme le Conseil d'État ou les tribunaux administratifs) [CIO a interviewé David Boucheny, le DSI du Conseil d'Etat, NDLR]. Toute communication via le RPVA est évidemment chiffrée. Nous délivrons pour cela des clés physiques aux avocats, clés remises en mains propres pour assurer un haut niveau de sécurité (RGS 2*). Après une authentification via la clé avec un code de sécurité, le certificat de cette dernière est vérifiée (clé non déclarée en opposition...). Puis, la couche applicative e-Dentitas va permettre de contrôler que l'avocat en activité.

PublicitéAu niveau applicatif et services, nous fournissons aux avocats e-Barreau (messagerie sécurisée, communication avec les tribunaux de grande instance, les Cours d'appel et les tribunaux de Commerce...). L'ampleur de nos services numériques s'accroît, par exemple en ajoutant une capacité de stockage et de partage de fichiers via un SaaS sur une infrastructure sécurisée et maîtrisée par le CNB (11 000 comptes créés à ce jour). Nous proposons également un service de rédaction d'acte d'avocat dématérialisée : une GED avec signature électronique des parties (certificat fourni à la volée pour les justiciables) et contreseing des avocats conférent à l'acte une force probante. Une plate-forme nationale d'échanges en ligne (chat, vidéoconférence, gestion de rendez-vous et des comptes-rendus...) visera bientôt à accompagner les modes alternatifs de règlement (médiation, conciliation...).

D'une manière générale, le CNB doit aider les avocats à entrer dans l'ère du numérique. Pour tous ceux dont ce n'est pas le métier, la technologie est toujours compliquée. C'est évidemment aussi le cas pour les avocats.

CIO : Pour tous ces services, vous devez en garantir l'absolue sécurité. Gérez-vous en direct les infrastructures qui les supportent ?

Michel Truong : La DSI du CNB comprend une vingtaine de personnes. Il ne peut pas être question de gérer nous-mêmes des datacenters avec les niveaux de sécurité et de redondance nécessaires. L'hébergement, notamment, est un métier avec de très fortes contraintes. Par conséquent, nous externalisons afin de nous focaliser dans la valeur délivrée aux avocats, c'est à dire dans le service et les applications.

Du point de vue infrastructures, nous pilotons les contrats en définissant clairement des niveaux de services. Nous exigeons un monitoring des réseaux (incluant les questions de sécurité). Et nous contrôlons que les fournisseurs n'ont pas accès à nos données. Pour tout cela, nous avons recours aux grands hébergeurs Tier 3 classiques français. Par contre, si l'exécution de nos décisions est assurée par des prestataires, l'architecture est dessinée par nous et est totalement maîtrisée.

CIO : Pour la couche applicative, externalisez-vous également ?

Michel Truong : Nos choix varient selon les cas. Par exemple, un site institutionnel sous Drupal peut être confié à une webagency ordinaire. A l'inverse, les applications sensibles ne pourront être confiées qu'à des SSII disposant de certifications de l'ANSSI.
En interne, nous privilégions le recrutement de développeurs full stack pour qu'ils puissent gérer les différentes couches, notamment les infrastructures en mode agile. Nous sommes d'ailleurs en train de définir notre future architecture afin de rationaliser nos coûts et de tout piloter centralement.

CIO : Allez-vous unifier vos prestataires ?

Michel Truong : La décision n'est pas prise mais l'unification des fournisseurs pourrait éviter les renvois en mode ping-pong. L'appel d'offres est lancé et nous prendrons nos décisions avant la fin 2018. Nous voulons notamment une supervision qui doit donner de véritables indicateurs de performance au-delà du simple ping serveur.
Le monitoring qui sera mis en place doit nous permettre de réagir sur un incident avant que les avocats ne se plaignent. Nous avons l'obligation de garantir la sécurité et la performance de nos outils.


Michel Truong est ici devant un tableau de bord de la disponibilité des connexions aux différents tribunaux.

CIO : Comment, justement, des avocats dont le numérique n'est pas le métier, appréhendent les changements en cours ?

Michel Truong : Les avocats ont vraiment compris que c'est le moment du changement. Les legaltechs arrivent. Pour éviter de répéter certains échecs passés, nous voulons absolument une co-construction.
Nous avons ainsi mis en oeuvre six « clubs utilisateurs » avec des avocats volontaires dans le cadre d'une véritable démarche agile. Chaque club se consacre à un pan du plan de transformation numérique. Le premier est e-Barreau v2 qui proposera bien plus de services que l'actuelle version. Nous avons également un club sur le collaboratif permettant la dématérialisation des procédures civiles. Nous travaillons aussi sur un portail fédérant les offres de formations validées par le CNB avec une gestion des recommandations tenant notamment compte des centres d'intérêts des avocats, de leur localisation etc.. Pour faire du CNB « la première legaltech de France », nous refondons le portail Avocat.fr qui permet des échanges, des consultations (payantes) en ligne... et que nous proposons d'enrichir avec chat', vidéoconférence, etc. selon ce que voudront les avocats. J'ai déjà parlé de la plate-forme des procédures alternatives de résolution des litiges. Enfin, nous voulons proposer aux avocats une véritable Digital Workplace, au-delà des services actuels, qui fédère tous les besoins des avocats.

Le CNB organise également des Aperotechs : il s'agit, autour d'un verre, de permettre à des legaltechs validées par le CNB de présenter concrètement, via des démonstrations, la valeur métier de leurs offres. J'ai la conviction que la technologie ne peut fonctionner qu'avec l'appropriation.


Michel Truong est ici dans les nouveaux locaux du CNB, inaugurés fin 2017 et où les collaborateurs se sont installés début 2018.

CIO : Comment aller-vous mener ces différents projets ?

Michel Truong : Nous avons un plan de transformation numérique sur la durée du mandat des élus, c'est à dire trois ans. Mais le plan d'exécution est annuel. Et nous avons découpé le plan en plusieurs étapes, parfois conjointes.

La première étape visait à donner confiance. Il s'agissait de multiplier les bénéfices rapides (quick wins) en supprimant des irritants. Par exemple, les avocats subissent un délai pour la délivrance d'une clé de signature électronique après leur demande et ils sont obligés d'appeler par téléphone pour savoir où leur demande en était. Prochainement, ils pourront suivre l'évolution de leur demande sur un portail, et seront guidés lorsque nécessaire.
La deuxième étape est celle des projets. C'est pour cela que nous avons créé les clubs dont je parlais ci-avant. Nous avons adopté une véritable méthode agile en impliquant les avocats. Pour e-Barreau v2, nous mettons en place une maquette cliquable de la future GED collaborative qui sera bien plus parlante et précise qu'un cahier des charges.

En parallèle, nous avons commencé la troisième étape de réflexion à plus long terme sur les apports de legaltechs. Par exemple, nous cherchons à répondre à la question : l'avocat doit-il travailler sur la justice prédictive ? Si oui, sur quel modèle économique ? Et le CNB doit-il investir sur le sujet ?

CIO : Pourriez-vous inclure dans le futur e-Barreau ou la future Digital Workplace des services nécessaires à tous les avocats comme une gestion de la paie des collaborateurs du cabinet ou une comptabilité ?

Michel Truong : A priori, il n'est pas envisagé d'aller sur des prestations du champ concurrentiel. Quand nous proposons une messagerie, par exemple, c'est que nous avons besoin de sécurité et de contrôle de l'identité, ce que seul le CNB peut assurer pour les avocats. C'est à dire qu'il y a toujours un peu de régalien.

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