Stratégie

Maîtriser les risques des projets IT : MGEN et Camfil testent une nouvelle approche

Maîtriser les risques des projets IT : MGEN et Camfil testent une nouvelle approche
Pour évaluer les risques de leurs projets, les DSI sont souvent confrontés à des informations contradictoires et aux différences de perception de leurs interlocuteurs. (Photo : Gerd Altmann / Pixabay)

Alors que l'IT porte de plus en plus de transformations d'entreprise, l'échec d'un projet informatique reste une hypothèse qu'un DSI ne peut écarter. Méthodes agiles ou pas. Pour contrôler ce risque, certains ont recours à une approche visant à limiter les biais cognitifs.

PublicitéPour les DSI, gérer les risques des projets IT a toujours été un casse-tête. Certes, les méthodologies agiles permettent de mieux les encadrer et, surtout, d'en limiter les conséquences. Sans toutefois les annihiler. Le dernier Chaos Report, le rapport du Standish Group qui fait référence en la matière, estime que seuls 42% des projets agiles sont de réels succès, tandis que 47% d'entre eux subissent des aléas et que 11% se soldent tout bonnement par des échecs. C'est certes beaucoup mieux que les projets menés via un cycle en V, chez lesquels le taux d'échec est multiplié par 2,5 selon le Chaos Report de 2020, mais cette part reste, dans l'absolu, élevée. Pour une DSI qui engage parfois des millions d'euros dans un programme de transformation comportant plusieurs projets IT en parallèle, le risque demeure très significatif.

« Le passage aux méthodes agiles ne fait pas disparaître tous les risques, les principaux étant les incompréhensions ou le décalage entre perception et communication, dit Stéphane Crampel, vice-président systèmes d'information EMEA de l'industriel Camfil. Un projet comporte nécessairement de multiples interfaces, entre départements ou provenant de la langue ou de la culture. Toutes ces interfaces sont autant d'éléments négatifs pour le bon déroulé du projet, tant dans un cycle en V qu'en agile. »

Refonte de 60% du système d'information

« Toutes les DSI connaissent des dérapages sur leurs projets, et doivent réaliser des arbitrages, en matière de délais, de fonctionnalités ou de coûts. Les projets IT restent des aventures humaines, soumises aux biais cognitifs de ses intervenants », dit de son côté Arnaud Méjean, DSI de la MGEN et co-directeur de la stratégie SI du groupe Vyv (auquel appartient la MGEN). La mutuelle vit précisément une période de transformation majeure, du fait de la réforme de la protection sociale complémentaire dans le secteur public, qui se traduit par l'adhésion obligatoire des agents publics à une mutuelle via leur employeur. Donc par le passage d'une logique individuelle à un contrat collectif. Cette réforme va déboucher sur toute une série d'appels d'offres ministère par ministère. « Dans notre secteur, c'est actuellement le plus gros marché en France et probablement en Europe », dit Arnaud Méjean.

Cette réforme se traduit, pour la MGEN, par la refonte de 60% de son système d'information, soit une centaine de projets au total (75 000 jours homme et 15 M€ de forfait en 2024). Pour mener à bien cette remise à plat, l'acteur mutualiste a lancé cinq grands programmes de transformation. « Et nous remodelons également le modèle opérationnel de la DSI, notre façon de travailler », ajoute le DSI. Avec une organisation en mode produit, dont la mise en place est entamée « au sein des départements les plus nativement adaptés, comme le front office ou la data. Mais le back office est également appelé à basculer dans ce modèle. Nous cherchons à responsabiliser les équipes projet », insiste le DSI, à la tête d'un service employant quelque 900 ETP. Dans ce contexte où cohabitent de nombreux projets, avec des adhérences entre les différentes initiatives, la MGEN cherche à réduire les risques. Pour la seule année 2023, quelque 120 revues de cadrage et 30 revues de projets considérés comme sensibles ont été menées par une équipe pluridisciplinaire de la DSI.

Publicité« Davantage d'objectivité sur l'avancée des projets »

Pour Arnaud Méjean, la réponse classique lors des premiers dérapages d'un projet consiste à mettre davantage de pression sur les équipes. Une erreur. Spécialiste des projets complexes en difficulté, David Feldman, Pdg d'une société de conseil appelé Ogures, privilégie, lui, « une approche basée sur des indicateurs pertinents visant à remettre de la sérénité dans le projet », selon le DSI. C'est cette approche bâtie sur l'expérience que le consultant a modélisée dans une solution logicielle en mode Saas, appelée Control Tower. Une solution que la DSI de MGEN a testée dès ses premières versions. « Elle vise à ramener davantage d'objectivité sur l'avancée des projets, à anticiper les dérives et à identifier les points durs. Dès nos premières expérimentations, cette approche nous a fait ressortir des éléments que nous n'avions pas identifiés auparavant », souligne Arnaud Méjean. Comme une inadéquation entre la séniorité d'un chef de projet et la complexité des travaux.


Arnaud Méjean, DSI de la MGEN : « L'outil amène une objectivation du ressenti des chefs de projet, tant sur les aspects techniques qu'humains ». » (Photo : D.R.)

Ce premier galop d'essai convainc alors la société mutualiste de déployer le modèle d'Ogures sur trois projets majeurs de sa transformation : la mise en oeuvre du système d'information pour l'Education Nationale, le marché historique de la MGEN que cette dernière espère conserver lors de l'appel d'offres de la rue de Grenelle et qui implique plus de 100 personnes en méthodologies agiles, la bascule de la partie régime obligatoire vers le SI de la Cnam et, enfin, un projet plus transverse touchant à la mise en oeuvre des différents composants du SI. « Le système fonctionne sur la base de questionnaires de plus de 200 questions fermées que complètent les chefs de projet et sur un modèle de risque qui souligne les points d'attention au début du projet et s'enrichit au fil de son avancement, afin d'anticiper les dérives », décrit Arnaud Méjean. Grâce à une approche probabiliste, autrement dit avec un algorithme d'IA.

L'aggravation du risque, un paramètre nouveau

Selon la MGEN, la solution ne nécessite pas d'importants volumes de données, ou de connexion à d'autres outils pour être opérante, Control Tower s'appuyant sur des informations que tout chef de projet se doit de disposer. Le modèle d'IA embarqué identifie, objective et priorise les corrélations de risques possibles, mais aussi leurs combinaisons, qui vont faire qu'un risque va s'aggraver durant le cycle de vie du projet. « La notion d'aggravation est assez novatrice comparée aux critères habituels de criticité et de probabilité du risque », souligne la société mutualiste.

Chez Camfil, un groupe de 5 500 personnes, ayant réalisé 1,2 Md€ de CA en 2023 et spécialisé dans la filtration d'air pour les bâtiments et l'industrie, les volumes de projets en cours sont certes plus modestes qu'à la MGEN. Mais Stéphane Crampel, son DSI, n'en est pas moins confronté à des enjeux similaires : « depuis 5 ans, le groupe est lancé dans un grand programme de transformation de ses systèmes d'information, incluant le déploiement d'un CRM, d'un site de e-commerce et le renouvellement de l'ERP. Nous avons une feuille de route assez agressive, avec le déploiement de notre ERP dans 3 à 4 pays chaque année. »

Benchmark des projets

Si la DSI de Camfil a fait le choix de travailler en agile, son DSI admet que l'évaluation des risques sur les projets restait jusqu'à récemment assez basique. « Identifier les risques n'est pas le plus complexe, souligne Stéphane Crampel. Par contre, on perd souvent la vision progressive de leur évolution dans le temps. Par ailleurs, des problématiques de communication vont parfois amener à mal positionner le risque. » D'où l'idée du DSI d'instaurer un benchmark des projets. « Nous avons démarré en 2022 avec une démarche assez simple : un questionnaire sous Excel, renfermant une centaine de questions et rempli par les chefs de projet », indique Stéphane Crampel, qui dirige une équipe de plus de 55 personnes, réparties entre la France, l'Allemagne et la Suède, pays dont est originaire Camfil.

« Dans la dernière version, que nous utilisons depuis trois mois environ, le questionnaire Excel est devenu un logiciel (la solution Control Tower, NDLR) offrant un tableau de bord des projets et la capacité à reprendre des parties de questionnaires », précise Stéphane Crampel, qui indique que le dispositif permet d'objectiver des éléments relevant sinon du ressenti. Avec des questions réparties selon 6 catégories : métriques projet, périmètre fonctionnel, équipe projet, technique, écosystème projet, contrat projet. « La différence vient aussi du fait que l'outil propose un benchmark avec d'autres projets menés par d'autres organisations, mais présentant des combinaisons de circonstances similaires », ajoute le DSI.

« Gommer les différences de points de vue entre chefs de projet »

Tant Arnaud Méjean que Stéphane Crampel assurent que la solution a été bien accueillie par les chefs de projets. « Par essence, ce sont des profils orientés vers les résultats. Ils voient donc plutôt Control Tower comme une aide, qui permet de disposer d'indicateurs à présenter aux comités de pilotage afin d'obtenir des arbitrages. L'outil amène aussi une objectivation de leurs ressentis, tant sur les aspects techniques qu'humains », dit par exemple le premier.

Les deux DSI se sont engagés auprès d'Ogures pour tester et améliorer la solution. « Entre 2023 et 2024, l'outil s'est d'ailleurs bien enrichi, assure Arnaud Méjean. L'un des objectifs de notre partenariat est aussi de contribuer à faire grandir cette solution. Si l'expérimentation est concluante, elle permettra de gommer les différences de points de vue entre chefs de projet, une communauté que nous animons déjà avec des retours d'expérience, mais ceux-ci restent soumis à des biais cognitifs ou à des différences de maturité. » Pour la MGEN, l'efficacité des revues de projets reste soumise à la nature humaine, à savoir « la différence d'expérience, de sensibilité au risque, mais également les biais cognitifs qui faussent le jugement ». Au sein de la mutuelle, la solution fait ainsi également figure de levier pour personnaliser les parcours de formation des chefs de projet.

La DSI de Camfil réfléchit, de son côté, à étendre le questionnaire à d'autres acteurs impliqués dans le projet, « pour une meilleure appréhension des biais cognitifs », dit Stéphane Crampel. Il peut s'agir de responsables métiers ou de membres du comité de pilotage. Aujourd'hui, l'industriel a déployé son ERP dans 11 pays, dont 9 dans les temps et dans le budget prévu. « Je cherche à industrialiser ces déploiements, souligne le DSI. Or, il subsiste toujours des risques sur ces projets résidant dans l'interface entre l'IT et les métiers. » Un sujet vieux comme la gestion de projets et pourtant toujours source d'incertitudes.

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