Stratégie

Mainframe : le faire évoluer ou s'en séparer ?

Mainframe : le faire évoluer ou s'en séparer ?
Christophe Leray, DSI du PMU, a pris la décision radicale d'arrêter le mainframe
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°129 !
Quand la DSI dépasse un lourd héritage

Quand la DSI dépasse un lourd héritage

Le Legacy reste une réalité incontournable pour les DSI. Pourtant, il faut bien évoluer, s'adapter avec agilité aux nouvelles demandes métiers. Cette difficulté doit être traitée. Cela passe en particulier par une sortie progressive des vieilles architectures comme le mainframe. Mais pas seulement...

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Les DSI du Crédit Mutuel Arkéa, de Malakoff Médéric, de Manpower et du PMU témoignent sur leur stratégie mainframe.

PublicitéLes entreprises n'ont pas envie de perdre leur investissement historique dans le mainframe. En France, dans plusieurs secteurs, banques, assurances, grands distributeurs, il supporte les applications coeur de métier.  Difficile de s'en séparer, difficile de le faire évoluer, c'est un peu le dilemme des DSI. La complexité tarifaire, la domination d'un acteur du marché, la difficulté à supporter l'agilité ou la montée en charge, ou la question des ressources humaines complexifient un  dossier que nous avons abordé avec quatre entreprises : le Crédit Mutuel Arkéa, Malakoff Médéric, Manpower, le PMU et un consultant, Bruno Koch, CEO de zCost Management. Deux de nos interlocuteurs, Malakoff Médéric et Manpower, ont participé au groupe de travail ad hoc du CRIP.

Alfonso Gonzalez s'en défend, « force est de constater que le mainframe n'est pas du tout obsolète ». Et le DSI de Manpower poursuit : « nous ne plaçons pas toute notre informatique dans le mainframe, mais les services sensibles « coeur de métier » et tout ce qui permet de gérer les transactions administratives. Nous n'en sommes pas propriétaires, il est dans un cloud privé, ce qui nous permet de la flexibilité, de déléguer à des tiers tout le support de nos logiciels de base et de ne pas immobiliser du capital ».

Un système particulier de mainframe dans le cloud : « on le partage avec une dizaine d'autres entreprises, avec d'énormes avantages, puisqu'on ne s'occupe plus d'infrastructure et qu'on peut augmenter ou diminuer notre puissance de calcul tous les jours et ainsi maitriser nos coûts. Ce que l'on demande, on l'a dans la minute ! »

Les volumes à traiter évoluent en permanence

Manpower l'utilise en particulier pour la génération de la paie des intérimaires. Sujet compliqué, où la performance est capitale et où les volumes à traiter évoluent en permanence vu que la prise en compte d'un intérimaire est par définition, temporaire. Dans ce cadre, Manpower calcule et facture les salaires de ses intérimaires, opérations vitales pour  son métier, avec son mainframe. « Nous traitons également avec ce système les données contractuelles pour nos clients, les relevés d'activité et les charges sociales ». En dehors du mainframe, Manpower gère la relation client, les agences, la relation avec ses partenaires, les commandes et le « sourcing ».

« Le mainframe est pour l'instant incontournable dans notre SI », souligne Alfonso Gonzalez. Il n'en demeure pas moins plusieurs sujets sur lesquels il s'interroge. Avec la satisfaction de voir la continuité du support assurée sans souci mais aussi le constat « que les mainframes restent dans un monde propriétaire : c'est le premier souci pour nous ».

Deuxième point, le recrutement de « sachants » au sein de la DSI : « le mainframe, pour les jeunes, c'est pas très sexy. Le sujet nous préoccupe, car il faut de plus en plus de compétences pour travailler sur les mainframes et des compétences très particulières pour nos applications connectées au mainframe (qui sont sur Unix) ou nos bases de données (DB2 par exemple) ».

PublicitéSortir du mainframe : cher et risqué

Troisième point délicat, celui du coût des mainframes. « Le sujet n'est pas simple. On peut dire que la majeure partie du coût, c'est de la propriété intellectuelle. IBM serait donc capable de réduire les prix, c'est un sujet qu'on revisite souvent. Par contre, si l'on veut sortir du mainframe, il faut plusieurs années pour récupérer l'investissement, donc c'est cher et risqué.  Au final, la question du « total cost of ownership » d'un écosystème mainframe n'est toujours pas résolue. Pour l'instant, il est urgent d'attendre : l'option qui consiste à s'appuyer sur un mainframe performant et disponible reste la plus pertinente pour nous. Néanmoins, nous surveillons les avancées  technologiques en matière de downsizing pour nourrir en permanence notre réflexion ».

Toute entreprise qui  se pose la question du mainframe travaille sur ces trois points. Certaines en tirent une conclusion radicale, c'est ainsi que le 21 novembre dernier, le PMU sortait du mainframe. Une décision historique. D'autres DSI se posent d'ailleurs la question et viennent se renseigner auprès de Christophe Leray, le DSI du PMU. « On vient de quitter le mainframe, il est abandonné au profit d'Unix. Mais ce n'est qu'un premier projet de réalisé, un deuxième va s'enclencher pour remettre à jour le logiciel métier qui est sur cette plateforme, logiciel qui va être progressivement revu. »

La décision de Christophe Leray remonte à plusieurs années, à cinq ans pour l'étude initiale, à quatre pour la mise en oeuvre du projet. Il n'a rien d'anodin,  « c'est un système temps réel qui assure l'activité du PMU, donc le chiffre d'affaires, un système sensible, critique, volumineux, on a besoin de zéro défaut pour une performance opérationnelle 365 jours sur 365, et 24 heures sur 24. C'est un seul applicatif, très imbriqué, qui date du début des années 2 000 et reste un peu emberlificoté, « un plat de nouille » comme on le dit dans l'informatique ».

Les scénarios du PMU

Plusieurs scénarios de sortie sont passés en revue par le PMU, dont le redéveloppement d'une solution complète, ou l'appel à une solution du marché, mais elles n'existent pas. La DSI a donc divisé son projet en deux étapes, d'un côté et d'abord le mainframe, de l'autre le logiciel qui est dessus. Cette décision répond à plusieurs objectifs, nous explique Christophe Leray.
D'abord, la maîtrise de la plateforme, donc l'aspect RH. Il faut reconstituer en permanence une équipe interne qui connaisse cette plateforme et sache la faire monter en compétences. Le mainframe se conçoit sur une quinzaine d'année, il faut être certain aujourd'hui que cette plateforme reste apte sur cette durée, à dégager plus d'agilité, à réduire le time to market des services du PMU. La confiance à l'égard d'IBM est là, mais garder une équipe performante sur cobol ou middleware pose problème, les jeunes informaticiens boudent, le mainframe c'est d'abord un problème de manque de compétences. 

Deuxième sujet de fond, celui de l'agilité, de la capacité des mainframes à prendre en compte l'évolutivité de l'entreprise. Enfin, la réduction des coûts impose sa loi, en s'en séparant on divise le coût par trois (matériel et logiciel), témoigne Christophe Leray. « Le mainframe revient cher, et ça coute cher d'en sortir, mais il faut faire l'exercice, chez nous, l'application sur mainframe est la clé du fonctionnement de l'entreprise, le PMU, c'est  25 à 27 millions d'euros par jours de paris ! ».

Le PMU découpe ses applicatifs

S'ouvre maintenant une deuxième étape, après le « replateforming » la refonte de l'applicatif. Christophe Leray entend agir non pas en un seul projet, mais en découpant son applicatif en plusieurs morceaux, chacun d'eux constituant un projet réalisé sur quelques mois. Une procédure qu'adoptent de nombreuses DSI.

Autre cas, moins radical, Si2M (Système d'information Médéric et Malakoff), le GIE qui regroupe depuis 2004 les informatiques de Médéric et de Malakoff, compte deux mainframes. Il gère à la fois Malakoff Mederic et Agirc Arrco. C'est donc un élément interne de mutualisation, mais aussi le support d' « usine retraite », l'application utilisée par tous les groupes de prévoyance concernés, pour gérer de la même manière l'Agirc-Arrco.

Historiquement, le mainframe chez Si2M assure le coeur de la gestion métier, 60% du total de tout ce qui est assurance : contrats, prestations clients. Et il prend en compte l'autre partie essentielle de l'activité, le logiciel « usine retraite », comprenant lui-même  deux briques, allocataires et salariés.  Il s'agit de petits mainframes, des z196 d'IBM, « ce qui est toujours délicat, puisqu'on embarque la même complexité que sur un gros mainframe. Mais le mainframe quand il est bien fait a un gros avantage, il nécessite peu de consommation », témoigne Alexandre Chauvin-Hameau, Directeur de la Production Informatique au sein de la DSI de Si2M.

Passer du mainframe au distribué

Si2M a opté pour le transfert des données du mainframe vers le distribué et les 3 000 serveurs du groupe.  « On va le faire principalement seuls. La raison de ce basculement est aussi financière. En termes de coûts, le rapport est de un à milles, il faut compter 3 000 euros pour un serveur 5000 Mip et 3 millions d'euros pour un mainframe ! »  La décision est aussi liée au fait qu'il n'existe pas de logiciels métiers du monde de l'assurance sur mainframe, les solutions du marché  ne sont que sur du distribué. Et c'est aussi le cas de «l'usine retraite » d'Agirc Arrco.

« Le « z » est un élément fondamental de notre core système, estime  de son côté Didier Calvar, ‎directeur de l'exploitation et des technologies au Crédit Mutuel Arkéa, on maintient et on continue à développer sur « z » et on a trouvé un modèle de tarification avec IBM ». La banque compte deux z d'IBM, « on développe en interne des applications qui tournent sur du mainframe. Plus de 50 programmes en cobol qui constituent le coeur de notre SI : bases cliente, données produits, comptabilité ».

Pour cette banque, les avantages sont clairs : une technologie très éprouvée, mais aussi  très monolithique. C'est aussi un PCA simplifié avec un seul environnement. « Les inconvénients sont tout aussi évidents, avec une montée en charge délicate et le fait qu'IBM ne soit pas très dynamique. Dans toute stratégie digitale, on a pourtant besoin de souplesse ». 

Pas d'inquiétude sur la technologie IBM

Au plan tarifaire, le mainframe est également assez complexe. Crédit Mutuel Arkea a contourné la difficulté en négociant avec IBM, pour des ajouts de puissance, tout ce qui n'est pas consommé n'étant pas facturé. Et la relation est claire : « Je ne suis pas inquiet sur la technologie IBM, ils n'ont pas l'habitude  de laisser tomber leurs clients ». Crédit Mutuel Arkéa a également décorrélé le core business du mode distribué, le trafic mainframe du trafic internet.  Quand le client consulte son compte, suer le site web,  c'est sur un serveur. Tous les mouvements du compte sont sur mainframe.

Les grandes douleurs ne sont pas toujours muettes, nos interlocuteurs identifient trois sujets de préoccupations sur le mainframe : les ressources humaines, la complexité tarifaire et le poids d'un grand acteur sur ce marché. « C'est d'abord un problème de relève, nous explique Bruno Koch, CEO du cabinet conseil  zCost Management. Les départs en retraite posent des problèmes non négligeables. En Allemagne, les entreprises ont même créé des académies mainframes. IBM depuis quelques années propose à ses salariés ou à ses partenaires des formations aux mainframes ».

La complexité tarifaire est l'autre sujet, autrefois tabou, et maintenant clairement détaillé. Certains DSI subissent la pression de leur direction générale pour réduire les coûts, en particulier du mainframe, et de leur direction financière qui exige plus de clarté. La complexité tarifaire est un élément supplémentaire qui incite à trouver les mainframes trop cher. 

Dernier sujet délicat à manier, mais en lien avec le précédent, le poids d'un grand acteur sur ce marché. En dehors d'IBM, on note essentiellement BMC ou CA.  La facturation des services s'en ressent et la complexité tarifaire ne s'explique pas autrement. Mais IBM a beau jeu de rappeler que 65% des applications critiques en France fonctionnent sur mainframes, qu'ils supportent 13% du PIB en France, représentent  2,8% de la dépense informatique en France, y compris le personnel.

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