Tribunes

Liquidation judiciaire de l'éditeur : que devient l'entreprise utilisatrice d'un logiciel ?

Liquidation judiciaire de l'éditeur : que devient l'entreprise utilisatrice d'un logiciel ?
Yann Chenet et Fanny Louvet, avocats du cabinet Armand Associés

Il paraît utile, alors que les logiciels occupent une place toujours plus croissante, de s'interroger sur le(s) droit(s) dont est susceptible de bénéficier le licencié confronté à une situation singulière : la liquidation judiciaire de l'éditeur. Tribune rédigée par Yann Chenet, avocat associé, avec Fanny Louvet, avocat, tous deux au département NTIC du cabinet Armand Associés.

PublicitéSi une telle hypothèse parait peu plausible s'agissant des éditeurs des standards du marché, nombre d'activités disposent d'éditeurs de niche ne présentant pas les mêmes apparentes garanties.

Le licencié peut donc craindre de voir l'activité de son entreprise paralysée en cas de défaillance de son éditeur.

Or, la Loi ne lui apporte au mieux aucun salut et, au pire, qu'une nouvelle contrainte dans l'exercice de ses droits.

La Loi n'assure au licencié que des droits a minima

Les seules réelles prérogatives légales de « la personne ayant le droit » (Article L.122-6-1 du Code de la propriété intellectuelle) d'utiliser un logiciel sont, sous certaines conditions, de le traduire, de l'adapter, ou de le modifier dès lors que ces actes lui « sont nécessaires pour l'utilisation du logiciel, conformément à sa destination ».

Notons d'ores et déjà que le licencié qui s'acquitterait périodiquement de son droit d'utilisation auprès de l'éditeur, perdrait ce droit en cas de liquidation judiciaire sans poursuite d'activité et ce à l'expiration de la dernière échéance acquittée. Il ne sera donc plus, à cette date, en droit de corriger le logiciel.

Pour les autres, et en théorie, ils devraient pouvoir corriger en toute indépendance le logiciel présentant des dysfonctionnements.

Toutefois, pour pouvoir exercer ses droits, l'utilisateur devra nécessairement avoir accès aux sources.

Or, il est à craindre que cet accès ne puisse se faire auprès du Liquidateur qui pourrait, dans le cadre de la réalisation des actifs, ne plus être en possession des supports matériels hébergeant les sources et/ou ne plus disposer du personnel à même de l'assister dans leur recherche.

En outre, le législateur n'a nullement organisé les conditions d'accès aux sources par le licencié en dehors de l'autorisation qui lui est donnée - sous conditions - de décompiler le code objet du logiciel.

Pour autant, la décompilation ne nous semble pas une réponse pratique satisfaisante pour l'utilisateur souhaitant maintenir et/ou corriger son logiciel. Cette opération demeure complexe, coûteuse et peu rapide, c'est-à-dire en réalité incompatible avec les exigences de l'utilisateur.

En outre, le législateur n'ayant pas entendu définir la notion de « sources » comme comprenant également la documentation permettant d'en comprendre la logique et/ou la structure, l'utilisateur risque d'avoir en tout état de cause toutes les peines en pratique pour apporter rapidement les corrections souhaitées.

La Loi n'emporte aucune contrainte à l'égard de l'éditeur afin de permettre à l'utilisateur d'exercer ses propres droits légaux ... au contraire !

Il n'existe aucune obligation légale contraignant l'éditeur d'avoir à assurer la conservation des sources ni d'avoir en pratique à les communiquer à son licencié en cas de liquidation judiciaire.

PublicitéBien plus, le législateur a expressément prévu la possibilité pour l'éditeur de déroger contractuellement aux droits de modification et de correction accordés à l'utilisateur.

En d'autres termes, l'éditeur peut se réserver contractuellement les droits que la loi confère à l'utilisateur.

Dans cette hypothèse, si une liquidation judiciaire est ouverte à l'encontre de l'éditeur, l'utilisateur demeurera tenu par les termes de ce contrat tant que le liquidateur ne se sera pas prononcé sur son éventuelle poursuite.

L'utilisateur sera dans ces conditions bien inspiré de mettre le plus rapidement possible en demeure le Liquidateur de prendre parti sur la poursuite des contrats en cours et, parallèlement, de déclarer son éventuelle créance de dommages-intérêts au titre des défaillances passées.

En l'absence de réponse à l'issue d'un délai d'un mois, le contrat sera résilié et l'utilisateur recouvrera la possibilité d'exercer son droit de correction.

En cas de réponse favorable du Liquidateur, ou de cession de l'activité, le licencié sera contraint d'attendre une correction ou une nouvelle défaillance cette fois-ci - et selon toute vraisemblance - du repreneur avec toutes les difficultés inhérentes à la caractérisation de cette défaillance.

En effet, la loi sur les procédures collectives permet de préserver tous les actifs de la société en liquidation (logiciel, mais aussi la clientèle et les contrats y attachés) en vue de les céder à un repreneur lequel sera seul responsable, à compter de la cession, des conditions de leur exploitation.

Dans ce cas, les contrats liant le licencié seront transmis au repreneur de la même manière que les droits de propriété intellectuelle de l'éditeur en liquidation.

La loi des parties est, sans aucun doute, la seule permettant de préserver efficacement les intérêts du licencié face à une liquidation judiciaire

En réalité, et comme souvent, c'est dès l'origine de la relation entre le licencié et l'éditeur que les éventuelles difficultés doivent être abordées et tranchées.

Ainsi, si la liquidation judiciaire interdit toute action ayant pour objet d'obtenir la condamnation de l'éditeur au paiement d'une somme d'argent, elle n'interdit pas, par les exemples, les actions en revendication.

Le licencié aura donc la prudence non seulement de définir le plus largement possible la notion de « sources » afin de permettre une tierce maintenance aussi efficace que possible mais également de prévoir un séquestre contractuel de celles-ci avec obligation de mise à jour régulière par l'éditeur afin de faciliter leur revendication.

De même, l'utilisateur s'acquittant périodiquement du coût d'utilisation du logiciel serait bien inspiré de prévoir dans quelles conditions ce droit précaire pourrait devenir pérenne en cas de liquidation judiciaire.

A défaut, avec pragmatisme, le licencié pourrait être conduit à devoir rechercher un nouvel éditeur.

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