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Licenciement : l'employeur peut désormais produire des preuves du compte privé de Facebook

Licenciement : l'employeur peut désormais produire des preuves du compte privé de Facebook
Christiane Feral-Schuhl est avocate associée du Cabinet Feral-Schuhl / Sainte-Marie.

Revirement ou précision de jurisprudence : la Cour de Cassation a autorisé une preuve issue d'un fil privé sur Facebook pour justifier un licenciement.

PublicitéPour la première fois, un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation, en date du 30 septembre 2020, admet que l'employeur peut produire, à titre de preuve, des éléments extraits d'un compte privé Facebook de l'un de ses salariés, pour justifier un licenciement pour faute grave.

Dans cette affaire, une employée avait été licenciée pour faute grave pour avoir diffusé sur sa page Facebook, en violation de son obligation de confidentialité, une photographie de la nouvelle collection printemps / été présentée en exclusivité aux commerciaux de la société.
L'employée objectait que la photographie litigieuse, mise en ligne sur son compte Facebook, n'était accessible qu'à ses « amis » Facebook et que l'employeur avait usé d'un procédé déloyal pour accéder à sa page personnelle. Elle dénonçait ainsi une intrusion abusive et illicite.

Les limites de « la sphère privée »

Sur le premier point, la Cour d'appel de Paris a relevé que, avec plus de 200 amis, elle dépassait « la sphère privée ». Par ailleurs, il était démontré que le groupe des « amis » incluait des professionnels de la mode travaillant pour des entreprises directement concurrentes.

Sur le second point, les juges d'appel ont considéré que l'employeur n'avait usé d'aucun procédé déloyal dès lors que l'information lui était parvenue par la voie d'un e-mail, adressé spontanément par une « amie » du compte privé Facebook de la salariée, travaillant au sein de la société, laquelle s'était étonnée de cette publication.

La Cour de cassation, à son tour, a retenu que le procédé d'obtention de la preuve n'était pas déloyal : elle s'appuie sur les constatations de l'arrêt d'appel et déduit que l'employeur n'avait pas recouru à un stratagème pour recueillir la preuve. Elle reconnait que la production en justice par l'employeur d'une photographie extraite du compte privé Facebook de la salariée, dont l'accès était restreint à sa liste d'« amis » et dans laquelle l'employeur ne figurait pas, ainsi que des éléments d'identification des « amis » professionnels de la mode destinataires de cette publication, constitue une atteinte à la vie privée de la salariée. Pour autant, cette production était nécessaire pour établir le grief de divulgation d'une information confidentielle de l'entreprise auprès de professionnels travaillant dans des entreprises concurrentes. Une telle production était donc indispensable à l'exercice du droit à la preuve et restait proportionnée au but poursuivi, à savoir la défense de l'intérêt légitime de l'employeur à la confidentialité de ses affaires.

Des jurisprudences antérieures plus protectrices du salarié

Certes, des juges avaient déjà eu l'occasion de rappeler que si le droit d'expression des employés est garanti par l'article L. 1121-1 du Code du travail, les propos injurieux, diffamatoires ou outrageants à l'égard de l'employeur peuvent constituer un abus sanctionnable. Ils ont ainsi considéré que la publication sur son compte Facebook d'éléments en possession d'un employé à raison de ses fonctions (avis d'imposition d'un client) causait un préjudice à son employeur, même si celui-ci n'était pas visé (Rouen, 26 avril 2016). Ils ont également pu considérer que des salariés avaient abusé de leur droit d'expression en créant une page Facebook critiquant leur hiérarchie (Cons. prud'h. Boulogne-Billancourt, jugement de départage, 19 nov. 2010) mais cette position a été infirmée en appel (Versailles, 22 févr. 2012).

PublicitéMais, pour l'essentiel, la jurisprudence était, jusqu'à présent, plutôt réticente à sanctionner les salariés, à l'instar de ce jugement qui a considéré que le seul fait d'apposer la mention « j'aime » sur les posts d'autres salariés n'est pas suffisant pour caractériser une faute (Douai, 24 avr. 2015).

Les décisions rendues se fondaient sur la qualification d'espace public ou privé du réseau concerné.

Ainsi, la cour d'appel de Rouen, dans un arrêt du 15 novembre 2011, a annulé le licenciement d'une caissière pour faute grave fondée sur une correspondance publiée sur Facebook. Dans cette affaire, l'employeur n'avait pas été en mesure de démontrer que les propos avaient été publiés sur un espace public, auquel cas la correspondance en cause produite à titre de preuve aurait perdu son caractère de correspondance privée. Les juges ont estimé que la preuve d'un paramétrage ouvert permettant à des personnes indéterminées d'accéder aux propos n'avait pas été rapportée.

Espace public ou conversation privée ?

Un arrêt de la Cour de cassation du 10 avril 2013 a également considéré que les propos de salariés sur un réseau social n'avaient pas été publiés sur un espace public, car accessibles aux seuls « amis » et « contacts ». Si les juges ont précisé que le caractère privé suppose que le compte ne soit accessible qu'à un nombre très restreint d'amis, ils ne l'ont pas quantifié. L'analyse repose sur la notion de « communauté d'intérêt » d'un groupe de personnes liées « par une appartenance commune, des aspirations et des objectifs partagés ».

De même, la Cour de cassation, dans un arrêt du 20 décembre 2017, a qualifié de privées des informations extraites du compte Facebook de la salariée à partir du téléphone portable d'un autre salarié. Ces informations étant réservées aux personnes autorisées, l'employeur ne pouvait y accéder sans porter une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée de la salariée.

Dans le même sens encore, un arrêt de la Cour de cassation du 12 septembre 2018 a confirmé que des propos injurieux tenus sur un groupe Facebook fermé ne justifient pas un licenciement pour faute grave. Dans cette affaire, l'employeur avait découvert des propos « injurieux et offensants » formulés sur Facebook à son encontre. La Haute juridiction a approuvé la cour d'appel d'avoir retenu que ces propos « ne caractérisaient pas une faute grave » constitutive d'une « cause réelle et sérieuse de licenciement » dès lors qu'ils « n'avaient été accessibles qu'à des personnes agréées par [la salariée] et peu nombreuses, à savoir un groupe fermé composé de quatorze personnes, de sorte qu'ils relevaient d'une conversation de nature privée ».

La Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 30 septembre 2020, précise ainsi les conditions dans lesquelles un employeur peut produire en justice des éléments extraits du compte privé Facebook d'un salarié. Elle apporte des précisions supplémentaires sur la notion de « sphère privée » ainsi que sur la notion de « faute grave » (caractérisée en l'espèce par le manquement de la salariée à son obligation contractuelle de confidentialité).

Par cet arrêt, la Cour trace ainsi un équilibre entre le respect de la vie privée du salarié et la défense de l'intérêt légitime de l'employeur à la confidentialité de ses affaires.

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