Stratégie

Les responsables IA s'affranchissent de la tutelle des DSI

Les responsables IA s'affranchissent de la tutelle des DSI
Selon les responsables de l’IA interrogés, leurs responsabilités s’écartent rapidement de celles du DSI, davantage orientés vers le socle technologique de l’entreprise. (Photo : Antonio Feregrino/Unsplash)

De nombreuses organisations pourraient supposer que les responsables de l'IA doivent naturellement dépendre du DSI. Mais la réalité du poste appelle probablement une approche différente.

PublicitéEn 2016, Andrew Ng, l'un des chercheurs en IA les plus connus, mettait en avant les avantages de la création d'un poste de responsable de l'IA dans les entreprises (un CAIO, pour Chief AI officer), ainsi que sur ses caractéristiques et responsabilités. À l'époque, l'idée semblait quelque peu farfelue. Imaginer que les entreprises, en dehors de quelques secteurs de niche, auraient besoin d'un Chief AI officer, vraiment ? Mais l'augmentation de l'utilisation d'outils intelligents, depuis l'arrivée de l'IA générative, a commencé à asseoir la position du CAIO, le transformant en poste de direction technologique clé dans un large éventail de secteurs d'activité.

Avec l'explosion de la GenAI et l'intégration rapide d'algorithmes de Machine Learning, ce n'était qu'une question de temps avant qu'un poste de responsable de son déploiement et de sa gouvernance ne se généralise. Dans une étude de septembre 2023, 53% des DSI indiquaient que leur organisation prévoyait de créer un poste de responsable de l'IA. Sur ce pourcentage, près de la moitié s'attendait à ce que ce poste rejoigne l'équipe de direction.

Un Chief AI officer dans 14% des organisations

Une autre étude de Foundry datant de 2023 estimait à 11% la part des moyennes et grandes entreprises ayant déjà un professionnel à ce poste et à 21% la part de celles cherchant quelqu'un pour l'occuper. En 2024, la Maison Blanche a publié une directive pour que les agences gouvernementales nomment un CAIO.

Selon l'étude 2025 State of the CIO de Foundry, 14 % des organisations emploient aujourd'hui un CAIO, 40 % d'entre eux étant directement rattachés au PDG et 24 % au DSI. Cette fonction gagne en importance dans le monde entier : 17 % des responsables IT de la région Asie-Pacifique indiquent que leur entreprise a nommé un responsable de l'IA, 14 % dans la région EMEA et 11 % en Amérique du Nord. Même dans des régions comme l'Espagne, où les CAIO ne sont pas légion, les responsables informatiques considèrent souvent qu'il est de plus en plus probable que leur organisation se dote d'un profil de ce type. « Il est encore très tôt, du moins dans ce pays », dit toutefois Iñigo Fernández, directeur exécutif de la technologie du spécialiste du recrutement PageGroup Espagne (groupe intégrant le cabinet Michael Page). « Ce n'est pas un poste que beaucoup d'entreprises ont actuellement. »

Mais Iñigo Fernández anticipe bien une croissance de ces profils, sur le modèle de ce qui s'est passé avec les directeurs data (CDO, Chief data officer), présents dans de nombreuses grandes entreprises alors qu'ils étaient encore rares il y a seulement cinq ans.

PublicitéSuperviser les développements et les déploiements

La multinationale pharmaceutique Sanofi est l'une des organisations qui emploie déjà un responsable de l'IA, considérant la technologie comme un des piliers stratégiques de l'entreprise. Jordi Escayola, responsable de l'analytics avancé, de l'IA et de la Data Science, estime la fonction très importante. Pour lui, ce poids est encore appelé à s'accroître dans les années à venir. « Dans un environnement d'entreprise, il est essentiel de centraliser, d'organiser et de régir les besoins en intelligence artificielle, ainsi que la manière d'y répondre, explique-t-il. De cette manière, l'ensemble de l'organisation peut tirer parti de l'adoption optimale de l'IA et améliorer la portée des cas d'usage. »

Pour Justo Hidalgo, directeur de l'IA au sein de l'association professionnelle de l'économie numérique en Espagne Adigital, le CAIO permet à l'intelligence artificielle « de ne plus être perçue comme un outil technologique. Elle doit être considérée comme un pilier stratégique aligné sur les objectifs de l'entreprise. »

Jacobo Garnacho, responsable de l'IA et des données d'IBM pour l'Espagne, le Portugal, la Grèce et Israël, ajoute : « définir des cas d'usage ou une stratégie d'IA ne suffit plus ; désormais, le succès dépend d'une mise en oeuvre efficace. C'est pourquoi l'une des principales valeurs qu'apporte le CAIO réside dans la supervision des développements, de la stratégie et de la mise en oeuvre des technologies d'IA ». À cette fin, les responsabilités du Chief AI officer vont de la gouvernance et de la conformité réglementaire à l'intégration de l'IA dans la culture d'entreprise, en passant par les opportunités externes, soulignent Jacobo Garnacho et Justo Hidalgo.

Davantage partenaire des métiers que technicien

« L'objectif ultime d'un CAIO est de faire en sorte que l'IA imprègne les domaines les plus pertinents de son organisation et du secteur dans lequel opère l'organisation. Et ce, sans créer de silos organisationnels, précise Justo Hidalgo. « Pour ce faire, le CAIO doit favoriser une culture de collaboration entre départements. »

Sonia Casado, chief transformation and AI officer de l'agence de communication Dentsu, approuve cette distinction entre technologie et IA lorsqu'elle aborde la définition du poste. C'est d'ailleurs une des clés pour différencier le rôle de CAIO de celui de DSI ou d'autres postes similaires, tels que CTO (Chief technology officer) ou CDO. « Une chose est de garantir la qualité et la gouvernance des données. Une autre consiste à appliquer des algorithmes aux données dont dispose l'entreprise ou qu'elle génère : c'est le domaine de l'intelligence artificielle, dès lors que l'on parle d'algorithmes intelligents. La technologie n'arrive qu'ensuite », dit-elle.

Le poste de CAIO en tant que tel est encore en train de trouver sa place dans l'organigramme des entreprises, souligne Iñigo Fernández (PageGroup). Pour l'instant, il occupe souvent une position de responsabilité moyenne à élevée, en étant placé sous la tutelle du CDO et donc, à son tour, du DSI. Ces postes, qui sont en train de naître, sont très orientés 'partenaires métiers', « pour faire comprendre ces types de produits, les besoins, et la manière de les mettre en oeuvre ».

Sonia Casado ajoute : « pour moi, le DSI n'a pas une telle composante d'impact sur le compte de résultat. Le rôle de l'intelligence artificielle est très étroitement lié à la génération de gains d'efficacité de façon continue », et implique une « adoption continue » de la technologie. Cette adoption est essentielle et cela implique d'être très proche des gens », dit la CAIO de Dentsu.

La relation entre DSI et CAIO

Dans le monde en évolution rapide des nouvelles technologies, la redéfinition des rôles et l'ouverture de nouveaux postes est une constante. Dans certaines entreprises, l'utilisation de l'IA ne s'est pas développée au point d'avoir entraîné la création d'un poste pour diriger la stratégie en la matière ; dans d'autres, l'IA constitue déjà une partie vitale de la stratégie et implique la nomination d'un responsable spécifique.

« Chaque structure organisationnelle est différente, et je n'ose pas évaluer laquelle est la meilleure, car cela dépend du secteur, du marché et de la complexité de l'entreprise », dit Jordi Escayola. Malgré ces variables, ce dernier reconnaît la nécessité de profils spécialisés à différents niveaux en cas de déploiement d'applications d'IA avancées. « Intégrer un directeur de l'IA dans la structure de l'entreprise est essentiel et je pense que, dans les années à venir, ces rôles grimperont dans les organigrammes des entreprises.

« Bien que dans les petites entreprises, certaines de ses fonctions puissent être assumées par le DSI, la portée de l'IA va aujourd'hui au-delà de la gestion technologique traditionnelle », abonde Justo Hidalgo (Adigital). Même avis chez Jacobo Garnacho, ce dernier précisant toutefois que, dans les environnements de développement de l'IA les moins matures, le DSI peut assumer les fonctions du CAIO.

« Mais à mesure que la complexité et la portée de l'IA augmentent, c'est la spécialisation du CAIO qui fait la différence », explique le responsable data et IA d'IBM. En effet, « bien que le DSI joue un rôle fondamental dans l'infrastructure technologique et la gestion des données, l'IA et ses défis requièrent un leadership spécifique. Selon nous, le DSI pose les bases technologiques, mais c'est le CAIO qui porte la vision » des usages de la technologie au coeur des processus de l'entreprise.

Des responsabilités encore mal définies

Dans cette nouvelle répartition des fonctions, d'autres postes pourraient être touchés par l'émergence des responsables de l'IA. « Étant donné qu'il s'agit d'un rôle émergent, ses responsabilités ne sont pas encore entièrement définies », souligne Jacobo Garnacho. « Dans de nombreuses entreprises, elles chevauchent les fonctions du DSI, du CDO, du CTO et même du RSSI. »

« Je ne suis pas un CTO, un directeur technique, précise toutefois Sonia Casado. J'utilise la technologie pour identifier les environnements ou les architectures dans lesquels l'intelligence artificielle doit fonctionner pour être efficace, évolutive, etc. » Mais le poste dépend de la connaissance approfondie le CAIO a des différents types d'algorithmes, et non de la technologie au sein de laquelle ils sont utilisés. « C'est le coeur de métier d'un manager en intelligence artificielle », reprend le responsable de Dentsu.

Justo Hidalgo souligne également ces différences : « le CAIO dirige la vision stratégique et éthique de l'IA ; le DSI fournit l'infrastructure ; le CDO les données et le CTO l'intégration technologique dans les produits. C'est facile à résumer mais aussi très complexe à mettre en oeuvre dans chaque entreprise », dit-il.

Partager cet article

Commentaire

Avatar
Envoyer
Ecrire un commentaire...

INFORMATION

Vous devez être connecté à votre compte CIO pour poster un commentaire.

Cliquez ici pour vous connecter
Pas encore inscrit ? s'inscrire

    Publicité

    Abonnez-vous à la newsletter CIO

    Recevez notre newsletter tous les lundis et jeudis