Les licences de PGI menacent les objets connectés et l'IoT


De la révolution technique à la transformation métier
La différence entre l'invention et l'innovation, vous le savez, est l'adoption. Créer de nouvelles technologies, c'est sans doute gratifiant et passionnant, mais parfaitement inutile si personne ne s'en sert. Ou ne peut s'en servir. Et la principale difficulté peut ne pas être technique mais...
DécouvrirInsérer des données issues d'objets connectés dans le système d'information n'est pas forcément simple à cause des licences de PGI. Des précautions doivent être prises et la facture peut s'avérer lourde. La technique n'est pas, en la matière, le principal frein. Tour d'horizon de la situation avec Jean-Jacques Camps, président de l'AUFO (utilisateurs Oracle), et Patrick Geai, vice-président de l'USF (utilisateurs SAP) ainsi qu'avec Microsoft Dynamics.
PublicitéParmi les sujets sources d'innovations pour les entreprises, les objets connectés et l'Internet des Objets (IoT) sont régulièrement cités. Multiplication de capteurs mettant à disposition des données de position (notamment de véhicules ou de colis), de température, de pression ; objets communicants ; serrures connectées ; compteurs d'énergie (Gazpard, Linky) ; etc. : les cas d'applications sont nombreux. Mais le principe de ces objets est bien d'exploiter de l'information captée, souvent en mode Big Data, avant d'injecter des données dans le système d'information de l'entreprise. Par exemple, le relevé d'une consommation devant déclencher une facturation doit bien être intégré au système de facturation.
Or si, techniquement, il n'y a pas de réelle difficulté, du moins de difficulté insurmontable, il en est tout autrement sur les plans juridique et économique. En effet, connecter des objets à un PGI n'est pas neutre en matière de licences. L'USF (Utilisateurs SAP Francophones) a largement sonné l'alarme à ce sujet.
Des utilisateurs SAP très vigilants
« Nos membres sont très sensibilisés au sujet et, de ce fait, à chaque fois qu'un projet d'IoT est envisagé, la question des licences est aussitôt étudiée » confirme Patrick Geai, vice-président de l'USF (Utilisateurs SAP Francophones) et Président de la Commission conjointe avec le CIGREF « Pratiques commerciales avec SAP ». A l'inverse, chez les utilisateurs du PGI Oracle, selon Jean-Jacques Camps, président de l'AUFO (Association des Utilisateurs Francophones de solutions Oracle), « ce n'est ni un sujet de discussion ni un sujet de plainte... pour l'instant. » De ce fait, selon les deux clubs unanimes, « aucune remontée de projets bloqués n'a été à déplorer jusqu'à présent ».
Patrick Geai, vice-président de l'USF (Utilisateurs SAP Francophones) et Président de la Commission conjointe avec le CIGREF « Pratiques commerciales avec SAP ».
Pourtant, la question des licences est vite complexe. Elle s'insère dans une plus vaste question : celle de la connexion du PGI au reste du système d'information. A l'USF, on distingue « l'accès direct » de « l'accès indirect », distinction qui ne plaît guère à l'éditeur SAP. Quand un capteur ou un objet quelconque se connecte à un PGI SAP, en temps réel ou avec un cache préalable à un traitement en lots (batch), l'USF parle d'accès direct. Il n'y a d'ailleurs pas de différence, pour SAP, entre un accès synchrone (temps réel) ou un accès asynchrone (par batch).
Lorsque les capteurs ou les objets déversent les données dans une application qui, ensuite, retranscrit les données dans le PGI, l'accès est dit « indirect » par l'USF. Pour Patrick Geai, « au final, tout le système d'information ne doit faire qu'un et toute application, de ce fait, peut être accusée de faire des accès indirects. » Or, pour SAP, un accès, automatique comme manuel, doit entraîner l'achat d'une licence. Si des millions de consommateurs se connectent à un site web pour consulter ou enrichir leurs données, l'entreprise doit-elle considérer que chaque consommateur-client doit disposer d'une licence SAP ? De même, si des milliers ou des millions de capteurs remontent des données dans un système, chaque capteur doit-il disposer de sa propre licence d'accès ? La réponse conforme à la règle est plutôt positive. La facture peut donc se révéler très élevée.
PublicitéAccès synchrone ou asynchrone ? Cela change tout chez Oracle !
Chez Oracle, la situation est un peu plus complexe puisqu'il existe deux types de licences : les NUP (Named User Plus, licences par utilisateurs nommés) et les licences au processeur. Or toute personne physique identifiée comme tout système permettant d'accéder aux logiciels Oracle sera considéré comme un utilisateur nommé, que l'accès soit direct ou indirect. « Clairement, la logique est de protéger Oracle contre une application web avec des formulaires qui servirait d'interface aux utilisateurs réels car ce sont bien les utilisateurs réels qui sont comptés » concède Jean-Jacques Camps.
Si un grand nombre d'objets se connectent au PGI, constituant ainsi de nombreux utilisateurs, il peut être intéressant de choisir un système de licence au processeur. Cela dit, pour Oracle, il n'y a connexion qu'en temps réel, synchrone. Si les données des capteurs sont stockées dans un fichier qui est ensuite intégré en mode asynchrone (batch) par un opérateur, c'est cet opérateur seulement qui devra disposer d'une licence. Si l'opérateur intégrant le fichier est un automate, « c'est beaucoup plus flou » soupire Jean-Jacques Camps.
Jean-Jacques Camps, président de l'AUFO (Association des Utilisateurs Francophones de solutions Oracle).
Cloud, cloud, cloud... mais pas n'importe lequel
Bien sûr, avec Oracle, si on choisit un mode de licence au processeur, il convient d'héberger le système de traitement sur une machine physique dédiée. « La plupart des systèmes de partitionnement ne sont pas reconnus par Oracle, ce qui implique que ce sont les processeurs du ou des serveurs physiques utilisés qui sont comptés et non ceux consommés par une machine virtuelle » souligne Jean-Jacques Camps.
Pourtant, du propre aveu du président de l'AUFO, toutes les réunions avec Oracle sont centrées sur un seul mot clé : « cloud, cloud, cloud... mais d'Oracle. SaaS, PaaS (pour les développements spécifiques), IaaS sur les propres infrastructures de l'éditeur, pas en cloud privé sous le contrôle de l'entreprise. » Les développements spécifiques -notamment pour accueillir les données des objets connectés mais pas seulement- ont d'ailleurs un effet secondaire qui peut être gênant comme le souligne Jean-Jacques Camps : « la licence de la base de données Oracle est incluse avec la licence du PGI Oracle si et seulement si les structures des tables ne sont pas modifiées. Dans le cas contraire, ce qui est quasi-systématique avec des développements spécifiques, il faut des licences à part pour la base de données. Et, bien entendu, il faut multiplier par trois si on a un environnement de développement, un environnement de pré-production et un environnement de production. »
Dynamics entre rigueur et négociations assumées
Chez le trublion qui, aujourd'hui, revendique une deuxième place des nouveaux projets de CRM sur le marché français, Microsoft Dynamics, les règles sont globalement les mêmes que chez ses concurrents. « La règle de base est l'utilisateur nommé, qu'il soit humain ou non, tout accédant aux données devant disposer d'une licence propre » affirme Wilfrid Guerit, directeur de l'activité Dynamics pour la France chez Microsoft. De même, si l'accès est indirect, via un formulaire web et une application intermédiaire en PHP par exemple, cela reste un accès, donc avec un besoin d'une licence par utilisateur final identifié.
Temps réel ou batch, simple capteur ou cadre dirigeant, cela ne change rien. Ou presque. Chez Microsoft, la négociation est un principe clairement posé. Wilfrid Guerit explique : « nous demandons bien sûr à nos clients d'être en règle et de disposer d'une licence par accédant aux données mais il s'agit aussi que le prix soit raisonnable en fonction des réalités économiques. Il existe différents niveaux de licences avec différents niveaux de prix. » Le tout est de négocier en amont du projet. Demander une réduction de 90% pour un simple capteur, un accès web à son compte par un client ou un TPV (terminal point de vente) n'est donc pas, ici, choquant. Microsoft se refuse cependant à donner des chiffres réels de taux de négociation mais les coûts des différents niveaux de licences sont clairement significativement différents.
Des négociations pas toujours possibles...
On le voit, les systèmes de licences complexes peuvent aboutir à de très lourdes factures. Voire à de très lourdes corrections en cas d'imprudence des DSI. « Les audits de licence génèrent certainement une part significative des revenus d'Oracle France » soupire Jean-Jacques Camps. Mais, si l'on s'y prend avec précautions et surtout anticipation, les éditeurs peuvent avoir intérêt à accepter quelques négociations.
« Si le client définit son projet objets connectés avant d'acquérir des licences, qu'il définit clairement les cas d'usage dans son contrat sans jamais rien changer, il peut négocier avec l'éditeur » confirme Patrick Geai. Pour lui, « avec SAP, on peut beaucoup négocier, surtout en fin de quarter... si on achète quelque chose et donc que l'on a quelque chose à négocier. » A l'inverse, si le client dispose déjà de licences SAP et qu'il ajoute imprudemment des objets connectés, la négociation sera vite limitée. Les accès IoT seront probablement qualifiés d'accès tout court, avec obligation d'acquérir des licences au prix catalogue lors d'un audit.
...et pas très ouvertes
Chez Oracle, la situation est la même. « Tout est négociable mais non-communicable » souligne Jean-Jacques Camps. Mais avec une grosse limite indiquée par le président de l'AUFO : « le schéma général de comptage est très délicat à changer car cela nécessite une validation du siège de l'éditeur, la négociation se résumant donc à x% de remise. » Bien sûr, l'approche de la fin de l'année fiscale (fin Mai), la taille du projet ou du client, etc. sont autant de facteurs contribuant à une gentillesse de l'éditeur.
Et puis la négociation ne se passe bien pour le client que si et seulement si il a des arguments à faire valoir sans jamais s'être mis en tort. Jean-Jacques Camps conclut en soupirant : « n'oublions pas que l'objectif de l'éditeur reste de nous facturer au plus tôt. »
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
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