Les DSI de l'industrie face aux dures réalités de la 5G privée
Certaines entreprises construisent des réseaux 5G privés pour leurs environnements industriels, mais doivent se contenter dans un premier temps d'un service 4G. Alors, à quoi sert la 5G privée et que peut-elle réellement apporter ?
PublicitéArcelorMittal France a conçu 5G Steel, un réseau cellulaire privé desservant son aciérie de Dunkerque, pour soutenir ses plans de numérisation avec une connectivité 5G à haut débit à l'échelle du site. Mais lorsque le réseau a été mis en service en octobre 2022, les appareils qui s'y connectaient ne disposaient que de la 4G.
C'est Orange qui a construit le réseau privé couvrant une zone de 10 kilomètres carrés sur l'usine ArcelorMittal de Dunkerque. Il est basé sur la 5G, mais les terminaux qui l'utilisent ne le sont pas, car la disponibilité de terminaux compatibles 5G adaptés à un environnement industriel reste trop limitée, explique David Glijer, directeur de la transformation numérique de l'industriel.
Ces limitations matérielles entravent également les ambitions des entreprises dans d'autres domaines. Lorsque le fabricant d'équipements réseau Nokia et le fournisseur de services d'infrastructure Kyndryl se sont associés pour déployer une connectivité sans fil privée pour leurs clients industriels, la 5G a été un élément clef de leur offre.
Dow : se tenir prêt
Chez le fabricant de produits chimiques Dow, où Kyndryl et Nokia ont participé à la construction d'un réseau à haut débit couvrant l'une des plus grandes usines du groupe, la connectivité sans fil repose pourtant sur la 4G. « Tout le monde s'enthousiasme pour les réseaux 5G, mais encore faut-il disposer d'appareils et applications fonctionnant avec la 5G. De ce fait, nous n'avons pas sauté le pas jusqu'à présent », expliquait Melanie Kalmar, la DSI de Dow, à CIO.com l'année dernière. « Mais nous serons prêts à y aller. L'infrastructure que nous avons mise en place sera en mesure de passer à la 5G ».
Lorsque la téléphonie mobile privée 5G a été évoquée pour la première fois comme alternative au WiFi, elle était considérée comme un moyen de fournir une connectivité sans fil fiable, à large bande passante et à faible latence pour le contrôle en temps réel des systèmes industriels. Cependant, certains de ses premiers utilisateurs dans les environnements industriels, comme ArcelorMittal, ne sont pas encore en mesure de tirer tous les avantages escomptés de leur investissement, tandis que d'autres, comme Dow, se sont concentrés sur les avantages immédiats de la 4G, tout en planifiant une mise à niveau facile.
Ce qu'est réellement la 5G
Les DSI qui cherchent à pérenniser leurs investissements dans les réseaux sans fil privés doivent comprendre ce qu'est la 5G. En dissipant les rideaux de fumée de certains opérateurs mobiles, tels qu'AT&T, qui présentent leurs tours 4G comme des « évolutions 5G ». La 5G est une nouvelle norme de technologie radio qui nécessite de nouveaux terminaux mobiles, de nouvelles stations de base auxquelles ils doivent se connecter et - pour bénéficier de tous les avantages de la nouvelle norme - un nouveau coeur de réseau capable d'offrir une latence de l'ordre de la milliseconde et un découpage du réseau afin de garantir la bande passante et les performances.
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Chez ArcelorMittal, les audits de sécurité sont désormais réalisés sur le terrain via une tablette durcie connectée, supprimant les allers-retours du personnel entre le bureau et le terrain. (Photo : Jacques Cheminat)
S'agit-il d'une norme technologique ? Pas tout à fait. La 5G mobile est définie dans une série de normes basées sur les spécifications techniques publiées par le projet de partenariat de troisième génération (3GPP). Le 3GPP a été créé en 1998 pour rassembler les organismes nationaux de normalisation qui définissaient alors la nouvelle technologie mobile 3G afin de convenir d'un standard mobile unique au niveau mondial. Tous les ans ou tous les deux ans, ce consortium publie une nouvelle version des spécifications, ajoutant de nouvelles capacités et améliorant les performances. Des spécifications que les organismes de normalisation partenaires du 3GPP mettent en oeuvre dans leurs normes nationales. Les travaux sur les versions se chevauchent souvent, de sorte que la discussion sur une mouture sera bien avancée et que les discussions sur les caractéristiques à intégrer dans la suivante auront commencé, avant même que les détails de la précédente ne soient figés.
Parfois, les changements d'une version à l'autre sont progressifs, et parfois ils marquent le passage à une nouvelle génération de technologie. C'est le cas de la version 10, la première largement considérée comme la vraie 4G, ou de la version 15, qui a inauguré ce que nous connaissons aujourd'hui sous l'appellation de 5G.
Une mise en oeuvre progressive
Lorsque la spécification de la version 15 a été approuvée pour la première fois en mars 2017, elle ne définissait que les réseaux 5G dits non autonomes (NSA), permettant l'utilisation de stations de base et de terminaux 5G New Radio sur un coeur de réseau 4G. La spécification finale pour la 5G autonome (SA), qui définit la construction de réseaux avec un nouveau coeur de réseau à faible latence, n'a été gelée qu'en juin 2019 - et même alors, les fabricants d'équipements et les opérateurs de réseaux ont dû attendre que les organismes nationaux de normalisation et les régulateurs des télécommunications aient transposé les spécifications dans les législations locales avant de pouvoir se mettre au travail.
Cette mise en oeuvre progressive a des conséquences concrètes pour les entreprises désireuses d'utiliser la 5G dans des systèmes de contrôle industriels. Car, lors des premiers déploiements, elles dépendaient toujours de réseaux publics dont le coeur restait en 4G. Avec des temps de latence qui pouvaient être allongés par de longues liaisons de retour ou des congestions dues à la concurrence avec d'autres clients pour l'utilisation des capacités du réseau.
La prise en charge des réseaux non publics (NPN), terme utilisé par le 3GPP pour désigner la 5G privée, n'est, elle, apparue qu'avec la version 16, qui a été gelée en juin 2020. Cette version a également défini d'autres caractéristiques essentielles pour les applications industrielles, telles que les communications ultra-fiables et à faible latence (URLLC). Les fonctionnalités de la version 17 - y compris les améliorations de la prise en charge des réseaux non publics et du découpage du réseau - n'ont été gelées qu'en juin 2022, bien que les discussions (et donc les attentes) à leur sujet aient commencé dès 2019.
Les entreprises ont donc été laissées en suspens pendant des années, attendant que les fonctionnalités essentielles aux usages industriels, notamment la faible latence et le découpage du réseau, soient finalisées. Aujourd'hui encore, une question clé à poser lorsqu'un fournisseur propose un réseau 5G privé est de savoir à quelle version des spécifications il se conforme. Les systèmes conçus et construits selon des spécifications plus anciennes que la version 17 n'auront pas toutes les fonctionnalités les plus avancées.
Méfiez-vous également des systèmes dits « prêts pour la 5G », qui masquent soit un coeur 5G surmonté d'une couche radio 4G, soit une partie radio 5G prête à être mises à jour avec un véritable coeur 5G. Les capacités réelles de ces deux configurations seront différentes, et le coût de la mise à niveau de la 5G-ready à la vraie 5G variera en fonction de la configuration du site.
Le bon partenaire pour bâtir le réseau
Une autre question clé de tout projet de 5G privée consiste à définir qui planifiera et construira le réseau, une étape qui ne se résume pas à l'installation d'un hotspot tous les 50 mètres et à la mise en place d'une liaison Ethernet. « Vous aurez besoin d'un bon partenaire, qui devra bien connaître la 5G », explique Alex Sinclair, vétéran de l'industrie des télécommunications et aujourd'hui directeur technique de la GSM Association, un organisme sectoriel. Les options possibles comprennent les opérateurs de réseaux sans fil, qui ont évidemment l'expérience et proposent souvent des réseaux privés comme activité secondaire, les fournisseurs d'équipements sans fil, tels que Nokia, Ericsson ou Huawei, et les intégrateurs de systèmes, tels que Tech Mahindra ou Infosys, qui ont des practices spécialisées dans la 5G privée.
Il est également conseillé de trouver un partenaire qui connaisse votre entreprise, car la 5G n'est plus quelque chose d'homogène. « Si vous devez l'intégrer dans la chaîne de production d'une usine ou d'un aéroport, cette intégration tend à se faire sur mesure, reprend Alex Sinclair. Vous devez choisir les bons partenaires pour gérer cet aspect ».
Les terminaux ne répondent pas
Et même si vous construisez un véritable réseau privé 5G, pourrez-vous l'utiliser ? Tout dépend de ce que vous voulez y connecter. Les smartphones 5G sont désormais courants, mais les tablettes durcies compatibles, le genre d'appareil courant en environnement industriel, sont encore rares et leur prix est élevé. Dell, par exemple, facture 150 dollars pour ajouter un modem 4G à sa tablette Latitude 7220 Rugged Extreme Tablet, ou 348 dollars pour un modem 5G - et cette tablette n'est même pas prête à tirer parti des fonctionnalités avancées des réseaux 5G autonomes.
En ce qui concerne les puces qui alimentent les modems sans fil, il existe toujours une énorme différence de prix - jusqu'à un facteur 15 - entre les systèmes 4G et 5G. Ce qui suffit, pour l'instant, à décourager les fabricants d'appareils de proposer des options 5G, en particulier pour les applications industrielles de niche. Et lorsqu'ils le font, c'est au prix d'une forte majoration de leurs tarifs, ce qui pèse sur la demande.
La pénurie de terminaux est une vieille histoire dans le secteur de la téléphonie mobile. Elle remonte à l'introduction de la première norme mobile connue sous le nom de PCS aux États-Unis et de GSM partout ailleurs. Les plaisantins du secteur prétendaient d'ailleurs à l'époque que GSM signifiait « God Send Mobiles », glisse Alex Sinclair.
Penser le cycle d'adoption
« Cela fait partie d'un cycle que nous comprenons maintenant assez bien, reprend ce dernier. Nous sommes à peu près à mi-chemin du cycle d'adoption de la 5G, mais la 4G existera encore longtemps. Cela signifie également que pour les réseaux privés, de nombreuses attentes peuvent être couvertes par la 4G de façon tout à fait adéquate pour le moment ». Inévitablement, la 4G sera moins chère pendant encore quelque temps, mais le coût des appareils 5G est appelé à chuter de manière exponentielle, comme cela a été le cas pour toutes les générations précédentes de technologie mobile, explique Alex Sinclair. Aux DSI de trouver le moment le plus adéquat pour effectuer le grand saut. « C'est bien beau de dire que la 4G offre de meilleurs prix, qu'elle est mieux maîtrisée et supportée, mais si vous prévoyez de l'utiliser dans une application appelée à durer 10 ans, mieux vaut directement réfléchir à la 5G, pour préparer l'avenir ».
Article rédigé par
Peter Sayer, CIO US (adapté par Reynald Fléchaux)
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