Les défis de demain pour le test logiciel

Pour Olivier Denoo, vice-président du CFTL, si le métier du test est enfin reconnu (depuis peu), il doit déjà affronter une importante révolution.
PublicitéPréambule... Le marché du test se porte bien, merci !
Selon une étude de Technavio (« Global Software Testing Market Reports »), il pèserait même plus de 60 milliards d'euros au niveau mondial et a connu une croissance à deux chiffres sur la période 2014-2015, pour venir grappiller jusqu'à 35% des budgets IT ! Plus près de nous, les augures sont tout aussi bons, puisque le CXP Group lui prédit une croissance de 4 à 5% en 2016, pour un poids total estimé à 5.3 milliards d'euros, excusez du peu !
Les certifications professionnelles continuent, pour leur part, à progresser régulièrement avec plus de 440.000 certifications rien que pour l'ISTQB® au niveau mondial, et déjà plus de 8000 en France.
Derrière ces chiffres, qui ont tout lieu de nous satisfaire, se cache pourtant une révolution silencieuse, une mutation profonde de ce secteur de niche qui vient à peine de gagner ses galons de « métier » à part entière.
Le XXIème siècle sera connecté ou ne sera pas !
Par-delà la querelle quasi-philosophique des Horaces et des Curiaces - pardon, je voulais dire des méthodologies, agilistes contre « cascadeurs » (en V ou non)-, ce sont cette fois la globalisation et les changements sociétaux qui portent la réforme. Car l'informatique évolue. Elle ne doit plus être faite par des informaticiens pour des informaticiens, mais bien par des informaticiens et des analystes métiers pour un marché de masse. Un marché de grande consommation qui veut la fonctionnalité sans le code, un résultat rapide et simple, des interactions compréhensibles et sans soucis.
Cette nouvelle approche, qui se pare de fausses évidences, entraîne pourtant des conséquences fondamentales dans notre manière de concevoir les logiciels, et par conséquent de les tester.
A l'heure où l'obsolescence est moins programmée par la qualité intrinsèque des objets que par les tendances qui font la mode ou par le souci de disposer sans cesse de nouveautés, il faut produire toujours plus vite et occuper l'espace médiatique en permanence.
Les entreprises l'ont bien compris, qui raccourcissent les cycles de vie de développement et recentrent leurs efforts sur une valeur savamment distillée au fil de multiples versions.
Qui s'étonne encore aujourd'hui de voir un site web publié plusieurs fois par jour ? Qui se préoccupe de voir des millions d'APPS mises à jour quasi-quotidiennement ? Et tant pis pour les couacs, aussi vite oubliés que de nouvelles applications, de nouvelles fonctionnalités apparaissent.
Dans un marché où règnent l'Agilité, l'intégration continue, voire la livraison continue (DevOps), le testeur nouveau dispose d'un rôle central, même si d'aucuns auraient tendance à l'oublier. Il s'adapte constamment, fait le grand écart entre technique, automatisation et exigences - ou plutôt « user-stories » - il passe allègrement du noir au blanc en balayant toutes les nuances de gris (Je parle des tests en boîtes noires ou blanches, vous l'aurez sans aucun doute deviné), il devient automaticien, développeur ou analyste à ses heures, quand il n'est pas tout simplement l'arbitre des élégances au côté du « product owner ». Car pour livrer vite et bien, il faut décloisonner les habitudes et « être » ce changement que d'autres vont vivre.
L'Agilité - souvent mal déployée faute de concepts suffisamment partagés - et l'automatisation, sur laquelle elle s'appuie souvent largement, ont le vent en poupe, certes, mais elles ne constituent que la partie émergée de l'iceberg, tant la transformation qui attend les testeurs est bien plus fondamentale et bien plus profonde. Pour eux, le salut à long terme réside justement dans les aspects qu'ils négligent aujourd'hui le plus, faute de temps, du budget ou plus simplement d'intérêt : ces fameux attributs de la qualité décrits dans la norme ISO9126, ou plus récemment dans son successeur, la famille ISO25000 qui répond au doux nom de SQuaRE.
PublicitéLes attentes vis-à-vis de l'informatique ont changé
En portant l'informatique sur la place publique pour un faire un élément central de notre vie de tous les jours, notre société a implicitement déplacé les valeurs et les attentes nourries à son égard.
Prenons le concept du « self-care » [Gestion personnelle de ses données et de ses besoins] par exemple. À l'origine destiné à optimiser les coûts liés à la gestion des clients, il est devenu la norme dans une société toujours plus individualiste, toujours plus connectée. Aujourd'hui, même s'il se trouve encore quelques irréductibles, nous trouverions presque invasif que d'autres gèrent à notre place nos forfaits téléphoniques, nos réservations, nos commandes, nos achats ou que sais-je encore. Avec Internet, le cloud et la 4G tout devient possible et tous se prennent en charge, seuls ! Toutefois, vous en conviendrez, nous ne sommes pas tous des informaticiens. L'ouverture de l'informatique de gestion au monde extérieur suppose, au-delà d'une sécurité renforcée, que nos visiteurs comprennent comment dialoguer avec le système, quelles sont les limites et les conséquences de leurs actions, comment éviter ou corriger leurs erreurs ; tous sujets traités depuis des années dans ces traités d'ergonomie ou dans ces ouvrages traitant de l'expérience-utilisateur, si souvent exclus de nos campagnes de test.
L'un des premiers objets connectés dédiés au « self-care », le Distributeur Automatique de Billets, me permet une transition vers un autre volet de l'évolution informatique : l'Internet des objets. Ce marché, qui est sur toutes les lèvres, représenterait déjà un montant de plus de 6 milliards d'euros, et il y aurait à l'heure actuelle, plus d'objets connectés que d'êtres humains sur notre belle planète. Et ce n'est qu'un début pour ce secteur qui peine encore à se diversifier, faute de pouvoir mettre en oeuvre des objets vraiment utiles voire indispensables. Face à ces nouveaux objets à la nature et aux caractéristiques si différentes, les testeurs se doivent de relever de nouveaux challenges. Une fois encore, les aspects de sécurité et de confidentialité restent centraux. La multiplication des objets et des comptes augmente le risque de manière préoccupante - les récents déboires des jouets connectés Vtech exposant des millions de jeunes clients n'en est qu'une triste illustration, et l'option du « single sign on » (signature unique), « à la Facebook », par exemple, s'il combine de manière pratique ergonomie et sécurité, risque bien de créer à terme un « single point of failure » (ou point de rupture unique).
Par ailleurs, les aspects ergonomiques liés à des interfaces simples deviennent un différenciateur et un facteur de succès majeur. Bien souvent pilotés par des dispositifs mobiles - smartphones et tablettes - qui présentent des facteurs de formes (Dimensions et résolution des écrans qui imposent notamment un dimensionnement différencié ou dynamique des fenêtres, par exemple le responsive design) et des applications variées, les objets connectés se heurtent bien souvent à la question de la portabilité.
Si les futurs objets connectés ne sont plus simplement des montres ou des bracelets mesurant la qualité de notre sommeil ou nos performances sportives ; ils disposeront toujours de code embarqué impliquant des tests de matériel et interagiront avec de nombreuses applications, transmettant massivement des données de tous types, donc potentiellement confidentielles. Sans oublier, bien sûr, les objets connectés à vocation médicale, qui prennent notre pouls, notre pression artérielle ou qui seraient même directement injectés dans notre corps (Sony et Google ont récemment déposé des brevets de lentilles greffées et connectées, on parle de robots « déboucheurs » pour traiter les maladies cardio-vasculaires...).
Le testeur du futur (pas si éloigné) deviendra-t-il alors expert en sécurité de fonctionnement et fera -t-il partie d'une équipe pluridisciplinaire ?
Des réseaux, du partage et de la social-économie
Dans un autre registre, « l'Homo-Connecticus », qui n'est pas à un paradoxe près, est individualiste, mais aussi éminemment social, ne fut-ce que de manière virtuelle. Il a donc rapidement élevé au rang de norme une économie qui correspond à ses besoins, quand d'autres services traditionnels ne les rencontraient plus, créant du même coup le succès des concepts collaboratifs ou de partage qui fleurissent aujourd'hui sur la toile. Des réseaux sociaux - Facebook en tête - à la « cloudification », d'outils collaboratifs aux bureaux virtuels, voici que naissent à grand fracas eBay, Uber, AirBNB, Meetic mais aussi Coyote, BlaBlaCar ou Wade. Le logiciel devient social, ou participatif ; les rôles deviennent interchangeables, les clients deviennent aussi fournisseurs...Et l'offre de rencontrer la demande par des chemins autrefois inimaginables. Mais comment garantir la simplicité d'usage, condition sine qua non de leur succès, tout en garantissant les performances et la sécurité ? Une fois encore les testeurs vont devoir redoubler de créativité pour relever les défis du test distribué, des échanges de données en mode dégradé, ou encore de la qualification des contributions fournies par les millions d'utilisateurs de par le monde.
Les modèles collaboratifs et distribués n'en sont qu'à leurs balbutiements et déjà il se trouve des essayistes et des économistes, comme Jeremy Rifkin, pour étendre cette approche à nos cités modernes tout entières. Dans leur vision du monde, organisé en cellules interconnectées (des « smart-grids » pour des « smart cities »), chacun deviendrait producteur d'énergie (verte si possible) - un peu à la manière de ces fermes ou de ces potagers communautaires - et revendrait sur le réseau (électrique s'entend) sa production solaire ou éolienne. Les opérateurs traditionnels passeraient alors du rôle de producteur historique, massivement centralisé, à celui de distributeur-gestionnaire ; au prix d'une refonte conséquente de leur informatique. Ils devraient en effet garantir la même sécurité de fonctionnement et d'approvisionnement avec ces millions de cellules dispersées qu'avec des centaines de centrales de production traditionnelles. Un « simple » exemple parmi d'autres et un rêve de testeur !
Loisirs et travail efficaces
Dans ce monde ultra connecté, nous sommes en permanence à la recherche du temps perdu.
Notre souci bipolaire de sacrifier au bien-être et aux loisirs, indispensables pour nous ressourcer, nous pousse constamment à plus d'efficacité. C'est qu'il nous faut regagner ce temps gâché à effectuer nos basses tâches matérielles. Ainsi, pourquoi perdre du temps à conduire quand nous pourrions travailler confortablement dans une voiture autonome (et connectée bien évidemment), pourquoi attendre que le four chauffe ou que la cafetière se mette en marche quand la domotique est là pour venir à notre secours ? Tous ces temps d'attente inutiles seraient sans doute mieux employés à relire ce rapport en retard ou à regarder tranquillement sa série préférée, n'est-ce pas ?
Sans verser dans une science-fiction outrancière, les avant-projets sont légions, comme ce bouton connecté de La Poste qui vous permet d'envoyer un colis sans bouger de chez vous. Alors, pourquoi ne pas prendre une voiture (électrique ? sans chauffeur ?) partagée pour aller de son domicile à la périphérie, puis, avec la même carte à puce, relever votre colis déposé à votre effet dans une boîte à code, pour ensuite sauter dans le train ou le métro, prendre l'avion, et en cochant les services ad-hoc, réserver le transport de l'aéroport à votre hôtel, la chambre et pourquoi pas, le dîner aux chandelles. Bien sûr le tout vous serait facturé sur votre carte bleue selon les modalités choisies, sans que vous n'ayez à vous embarrasser de quoi que ce soit d'autre. C'est l'expérience utilisateur ultime, celle qui suppose que tous les services soient interconnectés - ce qui implique au passage le test des flux, des données, des formats pivots, de l'interopérabilité, de la transversalité - compatibles (format des données et des technologies de puces, des protocoles comme RFID), performants, utiles, utilisables et bien entendu sécurisés. Une véritable gageure pour les ingénieurs et pour les testeurs.
La donnée est essentielle, évidemment
Traversant le temps et l'espace, elle définit l'utilisateur, profile le client ou le consommateur, s'enrichissant au passage d'informations glanées de-ci de-là, pour finalement alimenter l'ogre du « big data ». Car si l'on veut vendre plus, il faut anticiper les besoins, et donc, avant tout, les comprendre. Et voilà qu'entrent en jeu d'autres acteurs de la nouvelle économie, les algorithmes d'analyse et de décision ! Ce sont eux qui nous conseillent en bourse (e-traders) ou anticipent nos commandes (Amazon), qui nous proposent des articles susceptibles de nous intéresser ou font une veille pour mieux nous avertir de leur disponibilité. Dans ce monde à la Philippe K. Dick (auteur de Minority Report notamment, mais aussi de Blade Runner), et pourtant bien réel, vos futures commandes potentielles sont envoyées par anticipation dans des entrepôts proches de vous, avant même que vous n'ayez exprimé votre souhait. Parce qu'à l'ère du « tout, tout de suite », la rapidité de livraison est capitale. Il faut à tout prix vous rapprocher de l'expérience d'achat en boutique, sans l'inconvénient des déplacements, celui de faire la file ou même de quitter votre confortable salon, ...et tant pis si l'algorithme se trompe quelquefois, pour autant qu'il reste rentable dans l'ensemble. Une fois encore, les approches de test adaptées à de telles problématiques s'écartent considérablement des sentiers battus et des traditionnels tests fonctionnels (automatisés ou non) et les défauts liés à de tels systèmes, difficiles à détecter, ont des conséquences dramatiques, faut-il le souligner ?
Âgisme ou jeunisme, même combat
Je m'en voudrais de terminer cet article sans évoquer un dernier sujet qui me tient beaucoup à coeur et qui constitue aussi, sans aucun doute, un challenge majeur pour les testeurs : la fracture numérique, que j'évoque dans cet article au travers d'un de ses aspects : le vieillissement de la population. Les aspects éducationnels ou liés au développement des pays moins favorisés, s'ils n'en sont pas moins poignants et intéressants posent en principe moins de problèmes spécifiques liés au test. Les personnes âgées n'interagissent pas avec les nouvelles technologies de la même manière que les plus jeunes. Les expériences menées par le Cambridge Lab illustrent parfaitement combien le passage d'une génération technologique à l'autre pose des problèmes inédits, tant pour les personnes âgées (notamment le passage du « presse bouton » au « glisser » (swipe) est révélateur du malaise) que pour les développeurs qui doivent adresser une population toujours plus large. L'informatique de demain ne peut se permettre d'exclure des générations entières quand la majorité des services à la personne serait organisée autour des logiciels et applications qu'ils développent, et encore moins dans un contexte démographique où la pyramide des âges tend à s'inverser. Une fois encore le rôle du testeur passera par l'ergonomie et l'expérience-utilisateur dans son acception la plus large. Son principal challenge étant tout simplement de vieillir (ou de se mettre dans la peau d'une personne âgée). Tout un programme !
La fin justifie les moyens
Vous l'aurez compris, notre société numérique évolue à un rythme soutenu et l'impensable d'hier devient la réalité d'aujourd'hui. Le logiciel, autrefois réservé à une élite universitaire ou professionnelle, s'est invité dans notre vie quotidienne, jusque dans ses moindres recoins, au point de devenir indispensable sinon envahissant. En pénétrant aussi profondément dans la sphère privée, en visant à l'intelligence qui satisferait nos désirs et nos envies, en se substituant à nos décisions pour nous aider à éviter le pire ou pour nous racheter ce temps que nous avons perdu, le logiciel crée de nouveaux besoins, de nouvelles attentes, que le testeur ne peut plus se contenter d'appréhender comme autrefois. Les nouveaux challenges du testeur moderne sont connus depuis longtemps. Ils passent par des standards, par une plus forte intégration avec les équipes d'exploitation ou de développement ; ils résident dans une meilleure connaissance du besoin-métier et du comportement ou de l'expérience de l'utilisateur.
Les organisations spécialisées l'ont bien compris en développant progressivement des modules spécialisés qui adressent dès à présent ces principaux challenges. Il n'y a qu'à observer l'évolution du nouveau catalogue de l'ISTQB®, ou encore des standards émergents comme IBUQ® (ergonomie, expérience utilisateur) ou IQBBA® (analyse métier, analyse du marché et du design, innovation) pour s'en convaincre.
Article rédigé par

Olivier Denoo, Vice Président du CFTL
Ingénieur civil chimiste de formation, Olivier Denoo compte près de 20 ans d'expérience dans le domaine des technologies de l'information et plus particulièrement dans le domaine des tests logiciels. Au cours de sa carrière, Olivier a pris en charge la gestion de projets complexes et d'envergure dans les secteurs des télécoms, de la finance (banque / assurance), de l'industrie pharmaceutique, de la grande distribution, de l'édition de logiciels, et du secteur public (régional, fédéral et européen). Après avoir exercé pendant plusieurs années comme consultant au sein du groupe ps_testware, spécialisé dans le contrôle de l'assurance qualité des logiciels informatiques, Olivier occupe aujourd'hui la fonction de directeur de la filiale française du groupe ps_testware SAS. Il intervient régulièrement dans de nombreux congrès et événements internationaux spécialisés (JFTL1, JFTL2, Quality Week, Quality Week Europe, Eurostar, ICSTest, ICSTest NL, Spice, Dasia, e-Mar, PSQT-PSTT...). Membre du comité de Sélection (Quality Week et Quality Week Europe) Il intervient également dans le cadre de formations spécialisées dans le domaine du test et de la qualité en Europe et plus récemment au Vietnam. Olivier Denoo est l'auteur d'une série de nouvelles, intitulée Les Bondieuseries, traitant sur un ton humoristique et décalé, d'un certain nombre de problématiques très sérieuses, relevant des tests logiciels et de leurs enjeux au sein de l'entreprise.
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