Les Bleus introduisent la data au coeur de la mêlée
La data ne sera jamais le 16e joueur de l'équipe de France de rugby. Tant s'en faut. En revanche depuis 2020, la FFR fait en sorte d'accompagner les Bleus dans leur stratégie de jeu. A l'appui, une plate-forme d'intégration et d'analytique, éprouvée à l'occasion de la coupe du monde.
Publicité« L'enjeu n'est plus dans le recueil de données, mais dans le traitement de la data pour accompagner la prise de décision ». Ce n'est pas le DSI d'une banque, ni celui d'un industriel automobile, qui a partagé cette assertion à l'occasion de la conférence Big Data & IA 2023, mais bien le capitaine de l'équipe data de la Fédération française de rugby (FFR), Julien Piscione. Il y a bien longtemps que les données ont envahi le sport. Reste effectivement à les piloter comme dans n'importe quelle autre activité.
« Toutes les statistiques de match sont déjà codées pour l'analyse du jeu, rappelle le responsable du département des sciences du sport et de la performance. Cela va des analyses classiques jusqu'aux mesures remontées par les gilets connectés » Des données qui servent à débriefer, préparer les rencontres à venir, organiser l'entrainement, etc. Alors que la coupe du monde de rugby 2023 bat son plein dans l'Hexagone et que les Bleus s'apprêtent à jouer leur dernier match de poule le 6 octobre face à l'Italie, Julien Piscione a expliqué comment la FFR exploite désormais cette manne au profit de la stratégie, des tactiques de jeu, de la surveillance de la santé des joueurs, etc.
Préparer un match de haut niveau en quelques jours
Les défis à relever pour l'équipe de France sont importants et complexes, en particulier dans une compétition internationale majeure comme la coupe du monde, durant laquelle la FFR a mis sa plate-forme à l'épreuve. « Nous devons réunir des joueurs de clubs différents, et préparer des matchs du plus haut niveau en seulement quelques jours, rappelle Julien Piscione. La pression temporelle est énorme. Cela nécessite un outil de pilotage fin, y compris pour étudier le profil des autres équipes. »
L'état de forme des joueurs et leur préparation constituent deux autres défis centraux. « C'est un sport collectif, mais tous les joueurs sont différents, ce sont des individus », rappelle le responsable du département des sciences du sport et de la performance. La donnée aide à personnaliser l'entrainement, y compris durant une même semaine de préparation, en fonction de la fatigue, de l'état psychologique, des blessures, des examens médicaux, etc. Pour que tous soient au top de leur état de forme, les données GPS récupérées durant les matchs et entraînements sont croisées, par exemple, avec des marqueurs biologiques collectés dans une goutte de sang.
C'est Fabien Galthié en personne, sélectionneur et entraîneur des Bleus, qui a été à l'origine de de ce projet d'analytique. L'ensemble du staff, et le coach en premier lieu, a complètement intégré la data dans le processus de prise de décision. « Je crois que nous sommes la seule nation de rugby avec un data scientist au sein du staff, avance même Julien Piscione. L'objectif principal était d'identifier des scénarios plausibles de match. Or, nous n'étions pas capables de le faire. C'est pourquoi nous avons travaillé avec Sas pour construire une solution d'analyse précise. »
PublicitéAnalyser le jeu de la France et de ses adversaires
La FFR travaille avec l'éditeur d'analytique depuis 2 ans et demi et a commencé par investir en particulier sur l'optimisation de la collecte. « Nous disposons de près de 4 années de matchs, avec toutes les actions, les joueurs, les positions de jeu sur le terrain à chaque instant, précise Sahbi Chaieb, data scientist chez Sas France. Elles sont croisées avec celles collectées par les gilets équipés de GPS des joueurs, et par les capteurs du ballon connecté, qui donnent la vitesse des passes par exemple. » Chaque match génère ainsi environ 360 000 données différentes. « Il s'agit d'étudier le jeu de la France, poursuit le data scientist de Sas, mais aussi celui de ses adversaires. » L'objectif est bien d'identifier des « plus », des axes de progression pour gagner les matchs. L'ensemble des données collectées est, pour ce faire, envoyé dans la plate-forme d'intégration automatisée de données et d'analytique Viya de Sas. La FFR a mis en oeuvre 9 modules qui génèrent différents types d'analytiques.
« Nous devons réunir des joueurs de clubs différents, et préparer des matchs du plus haut niveau en seulement quelques jours, rappelle Julien Piscione, responsable du département des sciences du sport et de la performance. La pression temporelle est énorme. Cela nécessite un outil de pilotage fin. »
Malgré leur appétence et leur degré de compréhension des enjeux data, les membres du staff restent cependant des utilisateurs dont la première occupation n'est pas le décryptage de tables de données, mais la préparation d'une équipe de professionnels de haut niveau pour jouer et gagner. La plate-forme leur fournit donc des dashboards adaptés à leurs besoins, prêts à l'emploi. « Des présentations qui ont demandé de nombreuses itérations avec eux », se souvient Sahbi Chaieb. « Il faut de la couleur, plaisante Julien Piscione. En général, le jaune, le vert et le rouge fonctionnent bien ! » Le data scientist de Sas évoque également le potentiel usage de l'IA générative pour un accès plus direct des utilisateurs finaux aux données.
L'avenir ? L'analyse automatique des vidéos de match
La data est une mine d'or, à condition de savoir l'exploiter. Et le rugby français ne manque pas d'idées pour l'avenir. Son premier défi sera celui de la vidéo. « Nous n'y sommes pas encore, mais lorsque nous automatiserons l'analyse des vidéos de match, l'avantage concurrentiel sera énorme, s'enthousiasme le responsable du département des sciences du sport et de la performance de la FFR. C'est clairement un objectif central, mais de moyen terme, car dans notre sport, c'est très complexe. »
La santé des joueurs reste un autre sujet majeur dans un sport de contact comme le rugby, pour lequel la data est pleine de promesses. « C'est un sport de combat, précise même Julien Piscione. Et c'est typiquement un aspect que l'on n'arrivait pas à analyser. » Mais certains joueurs portent désormais des casques connectés. Et ces protections mesurent les niveaux et la fréquence des accélérations auxquelles la tête est soumise durant le jeu. « On pourrait imaginer s'en servir pour préserver les joueurs en leur demandant de sortir après un certain nombre d'accélérations subies, par exemple. »
De façon plus pragmatique, et à court terme, la FFR, qui exploite tout particulièrement sa plate-forme data à l'occasion de la coupe du monde, aimerait la répliquer ailleurs, pour les équipes féminines par exemple, ou le rugby à 7.
La data au service du jeu, pas le contraire
« La data ne décide pas pour moi ! » Ainsi parle l'entraîneur de l'équipe de France, Fabien Galthié, comme le rappelle Julien Piscione. Une autre façon de dire que les données sont au service de l'équipe et du jeu, et non l'inverse. Pas question, par exemple, pour le sélectionneur de rester le nez rivé sur les statistiques durant un match. Il en va de même avec les médecins, qui connaissent parfaitement les joueurs, leur santé physique et mentale. « Vivre, c'est naviguer dans une mer d'incertitudes, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille. » Cette fois, c'est au philosophe Edgar Morin, qu'en appelle Julien Piscione. « Les certitudes, les décisions finales s'appuieront sur la data, mais doivent venir des experts, des personnes, traduit-t-il. Dans un sport d'incertitudes comme le ballon ovale, la prise de décision restera humaine. »
Article rédigé par
Emmanuelle Delsol, Journaliste
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