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Leclerc, Sanofi, Maif, Bnp Paribas... Pourquoi achètent-ils tous des TLD à leur nom ?

Leclerc, Sanofi, Maif, Bnp Paribas... Pourquoi achètent-ils tous des TLD à leur nom ?
2000 nouveaux TLD sont attendus pour un bénéfice qui reste à définir.
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°105 !
La révolution numérique bouscule les entreprises

La révolution numérique bouscule les entreprises

La révolution numérique est devenue une antienne, un mantra, un leitmotiv, une rengaine... Il n'en demeure pas moins qu'elle est une réalité incontournable qui se décline autant sur des thématiques techniques, organisationnelles, stratégiques et humaines. En voici quelques exemples.Tout d'abord,...

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Des nouvelles extensions de noms de domaine (TLD - Top Level Domain) font leur apparition. Les entreprises sont nombreuses à en vouloir une à leur nom pour près de 200 000$, mais peinent à expliquer pourquoi.

Publicité.sanofi, .bnpparibas, .google, .app ou encore les très discutés .vin et .wine : les extensions d'adresses Internet -les spécialistes les appellent les TLD (Top Level Domain)- sont en train de faire leur révolution. Les gTLD (generic TLD) historiques (.com, .net, .org) et les TLD géographiques (.fr pour la France, .de pour l'Allemagne, etc.) vont bientôt coexister avec presque 2000 nouveaux compères.
Parfois très ciblés (.cafe, .avocat, .restaurant, .voyage etc.), certains sont prêts à s'imposer comme de nouveaux outils marketing. D'autres relèvent plus de la spéculation : .wtf, .today, .discount, .market, .sex, .cool... De grandes groupes internationaux ont acheté leur propre TLD (.google, .cisco, .IBM etc.). C'est aussi le cas d'entreprises françaises (.bnpparibas, .sanofi, .axa, .maif, .leclerc etc.) qu'ils réserveront à un usage, encore, incertain.

L'opération est pilotée par l'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann) moyennant la juteuse somme de 185 000 $ pour chaque dossier déposé. Cette association d'envergure mondiale gouverne Internet sous la tutelle du département américain du commerce, au moins jusqu'à septembre 2016.
Le marché des TLD est monté en épingle par les milliers de dollars alignés par les entreprises tel que Google. Le géant de l'Internet a déboursé pas moins de 25 M$ pour devenir propriétaire du .app. en France. Et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres.

Une affaire déjà florissante

Mais revenons sur l'Icann. C'est elle qui octroie les nouveaux domaines à des sociétés spécialisées appelées « registres », chargées de la gestion technique. En France, c'est à l'Association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic) que cette mission revient. Pour vendre les extensions de ces TLD, elle traite avec des bureaux d'enregistrement agréés, comme OVH, Gandi ou 1and1. C'est à ces entreprises que le client final s'adresse pour faire l'acquisition d'une nouvelle adresse. L'opération est aujourd'hui courante.

Par contre, la création d'un TLD n'est pas une affaire anodine. Le simple dépôt de dossier coûte au moins 185 000 $. Dans le cas où plusieurs registres seraient en concurrence sur un même nom de domaine, la rixe se règle aux enchères. Dans ce cas, les sommes peuvent atteindre des millions de dollars.
Une jeune société américaine, baptisée Donuts, s'est faite remarquer sur ce marché. Elle a déjà déposé plus de 300 dossiers, ce qui représente au bas mot une dépense de 56 M$ seulement pour des frais de dossier, et détient 154 domaines, comme .email, .gallery, .technology, .fitness, .discount, .voyage, sur lesquels elle ne fait que spéculer.

Publicité Protéger sa marque avant tout

Contacté par nos soins, les sociétés françaises que nous avons repérées sur la liste du site de l''Internet Assigned Numbers Authority (IANA), une composante de l'Icann, n'ont pas donné suite à nos questions. Sur ce site nous avons relevé une liste d'au moins 8 entreprises françaises qui ont acheté leur TLD. On y trouve OVH, Sanofi, Leclerc, Maif, BNP Paribas, Orange, Cartier et la SNCF.
Certaines d'entre elles, comme OVH, Leclerc et la SNCF se sont adressées à l'AFNIC pour assurer le support technique, tandis que Sanofi et Maif se sont plutôt tournés vers l'américain Verisign, tout comme Cartier, qui a confié les rênes de son TLD à Newstar, et BNP Paribas à Artifilas.
Certains groupes ont une politique claire : l'hébergeur et registrar OVH, par exemple, a fait de son TLD un de ses produits. D'autres se refusent à toute explication. Les échos qui nous parviennent depuis les interstices des citadelles de ces grands groupes évoquent une « simple politique de protection de la marque ». Guillaume Eouzan, fondateur de l'école de communication en ligne Oncle Web s'est penché sur la question. « J'ai un peu l'impression que personne ne sait par quel bout prendre cette révolution ». Pourtant, cette ouverture du marché des TLD ne devrait pas donner lieu à des affaires rocambolesques comme celles des années 2000. Chaque dépôt de dossier coûte une somme faramineuse. Le risque de cyber-squatting est minime et le marché des TLD est très surveillé par l'Icann. Pour preuve : Amazon voulait faire de son nom un TLD, mais les pays riverains du bassin du fleuve Amazone s'y sont opposés devant l'Icann, avec succès. Que signifie cette protection de marque à 185 000 dollars (au moins) devant autant d'obstacles ?

Google pourrait revoir son algorithme

A l'issue du 44ème congrès de l'Icann, Google avait déposé 101 candidatures pour obtenir des TLD, suivi de près par Amazon qui a déposé 76 dossiers. Ces sociétés ne cherchent pas simplement à protéger leur marque explique Godefroy Jordan, DG de Starding Dot, la société qui détient notamment le .ski. Elles anticipent plutôt avec une certaine boulimie la valeur future de ces extensions, en se positionnant sur les -éventuels- prochains usages des internautes : le .ads pour Google, les .book, .movie et .music pour Amazon. De quoi asseoir un peu plus la domination des mastodontes.
Mais, toujours selon Godefroy Jordan, l'entreprise viserait plus largement à concurrencer les pages Facebook par une offre plus sécurisée et certifiante. Très accessibles depuis le moteur de recherche de Facebook, grâce à un Open Graph toujours plus performant, les Fanpages de Facebook prennent de plus en plus en compte les données géolocalisées de l'utilisateur pour fournir des réponses pertinentes.
De son côté, Google a annoncé dans un billet sur son blog officiel que les TLD n'offriraient pas une meilleure place dans son référencement. Par un jeu de questions-réponses avec lui même, Google présente un postulat clair : « Les mots-clés d'un TLD n'offrent aucun avantage ou inconvénient dans le cadre de la recherche. (...) Ils sont traités de la même façon que les autres gTLDs. »
De quoi surprendre les experts du référencement comme Teodor Dachev, DG de Bee4, et Guillaume Eouzan, qui affirment de concert que les choses devraient vite évoluer. « Si je suis à Berlin et que je cherche un service, celui qui est hébergé par un .berlin sera nécessairement mieux référencer, tout simplement parce que le mot Berlin est dans l'URL, mais ce n'est qu'un début ». Les deux hommes voient juste.

Dans la suite de son billet de blog, Google laisse entendre que cette décision n'est pas définitive. « Les TLD indiquent que le site est probablement plus pertinent dans le pays où la recherche est faite. (...) Il se peut que nous fassions des exceptions au fil du temps, si certaines tendances se dégagent. »

Vers un Internet labellisé

« On avance à grands pas vers un Internet plus fiable, encore et toujours plus fiable. » Pour Matthieu Credou, directeur marketing de l'Afnic, l'enjeu principal relève des usages : « L'idée de ce projet est simple : l'utilisateur ne perdra plus de temps à naviguer dans l'arborescence du site Internet. Il n'aura qu'a rentrer le nom du produit, ou du service, qu'il recherche suivi du TLD de la marque.
C'est du temps gagné et l'information est certifiée par l'entreprise qui détient le TLD, c'est elle qui distribuera ses extensions, alors que les résultats sont souvent moins fiables sur Google. On peut ainsi imaginer des pages consacrées à une utilisation unique ». Les pistes sont nombreuses : un site comme plombier.paris pourrait, par exemple, fournir une liste d'entreprises « labellisées » par la ville de Paris.
Le responsable du domaine contrôle, publie et valide chaque demande selon des principes fixés avec l'Afnic. De quoi les valoriser encore un peu plus auprès de Google, explique Teodor Dachev. « Le moteur de recherche applique un principe de jurisprudence : il va valoriser et classer en tête des résultats de recherche le domaine qui s'est déjà avéré fiable (ndlr : par des backlinks, notamment). On a aussi des cas qui présentent le phénomène inverse, le .biz est très mal perçu et du coup vendu à un prix dérisoire. De quoi attirer encore plus les pirates qui s'en servent pour des opérations de hameçonnage ».
Visiblement, Google n'est pas encore prêt à faire de miracles en matière de SEO. La sentence est redondante : « Tout dépend des tendances qui vont émerger ».

Une opportunité marketing

Difficile d'avoir manqué la création d'Alphabet dans l'actualité récente de Google. La nouvelle holding et maison mère du groupe héritent d'une adresse web originale. A défaut d'avoir pu racheter le Alphabet.com à BMW, Google a fait preuve d'une belle créativité en lançant abc.xyz.
Court, impactant, sans nom de marque mais des valeurs et une idée qui s'imposent d'elles mêmes : l'Alphabet. Un cas d'école qui devrait très vite faire des émules pour le CEO de Bee4, Teodor Dachev : « Le sujet intéresse beaucoup nos clients et l'enjeu est surtout marketing plutôt que technique ».
Ces extensions sont des accès directs à des call-to-action, pour une réservation de chambre (book.now) ou pour faire des achats (buy.food). Ou pour tout simplement intégrer plus facilement l'adresse de son site web aux campagnes de communication, un allez.paris pourrait, par exemple, séduire un club sportif de la capitale. Les possibilités sont maintenant infinies et n'ont de limites que l'imagination des communicants.

Un risque de saturation

Mais cette prolifération pourrait-elle ralentir le web ? Pour trouver une réponse, il faut d'abord comprendre où commence Internet. En juillet 2012, Owni se posait déjà la question : « Et oui la racine du net n'est un oignon, ni un modem géant caché au fin fond de la Silicon Valley par le gouvernement américain ». C'est en effet un fichier de données, on peut le voir sur un écran ou l'imprimer, explique Louis Pouzin, inventeur de la communication de paquets. Bien sur, le fichier racine a aujourd'hui été dupliqué une centaine de fois sur des machines disséminées à travers le globe, ce qui a permis d'accélérer le réseau.

Tous les sites internet d'un TLD sont regroupés dans un annuaire. Il y a donc autant d'annuaires que de TLD. Et le rôle de la racine est de pointer vers le bon annuaire, l'annuaire du .com pour un siteinternet.com, l'annuaire du .fr pour un siteinternet.fr, l'annuaire du .info pour un siteinternet.info etc. Soyons méthodiques : pour une requête vers le siteinternet.fr, la racine renvoie donc à l'Afnic qui gère le .fr, ou vers Verisign pour le .com, comme un système d'aiguillage finalement.
L'Icann a laissé entendre pendant longtemps que la multiplication des TLD était une menace pour la rapidité du réseau. Mais selon une source proche de l'Icann : « C'était une simple tentative pour ralentir l'échéance. Le risque est vraiment théorique. L'Afnic gère à elle seule plus de trois millions de .fr sans problème et l'Icann distribue les nouveaux TLD au compte goutte. Il y en a, pour l'instant, seulement 2000 nouveaux TLD et il ne sera pas possible d'en ouvrir d'autres avant l'an prochain.
Par contre ça leur coûte cher, vu qu'ils sont toujours sous la tutelle du gouvernement américain et que toute modification de la racine requiert la signature d'un fonctionnaire d'état ». Autre problème évoqué : l'annuaire du .com géré par Verisign est saturé de 130 millions d'adresses. Mais là aussi, aucun problème technique à signaler.

Une chose est sure : L'arrivée sur le marché de ces nouvelles extensions donnera lieu à de nouveaux usages des sites Internet. Et personne ne serait mieux placé qu'un DSI pour savoir qu'ils peuvent réserver de nombreuses surprises.

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