Tribunes

Le "vibe coding" bouleverse la notion de productivité des développements

Olivier Rafal, consulting director strategy de Wenvision

Après la complétion de code, nous entrons dans l'ère du code 100% généré par un agent IA : les développeurs n'ont plus qu'à exprimer une intention. Un changement majeur à anticiper pour réorienter les stratégies de développement.

PublicitéImaginez que vous deviez créer rapidement un site Web pour l'anniversaire d'un événement sportif dont votre entreprise est le sponsor historique. Vous allez devoir mobiliser vos équipes, ou bien confier le travail à une agence, qui va demander plusieurs semaines. En amont, il faudra préparer un brief : la structure du site, son objectif, le look and feel souhaité, les grandes dates, les sportifs à mettre à l'honneur avec leur biographie et leur photo, l'implication de l'entreprise. Peut-être même penser à une partie interactive, avec un jeu-concours.

Si je vous disais maintenant que tout cela, vous pouvez le réaliser en l'espace d'un ou deux jours ? Sans aucune connaissance en HTML ou autre, juste en décrivant votre besoin ? C'est ce qu'on appelle le "vibe coding", ou développement "au feeling" : vous discutez avec un agent IA, qui va effectuer les différentes tâches nécessaires pour réaliser ce que vous avez en tête. Y compris créer du texte, des images, des animations vidéo...

Déjà des réalisations concrètes

Ce n'est pas de la science-fiction. Nous l'avons testé, comme d'autres experts de l'IA, et les résultats sont bluffants ! Certainement pas encore à la hauteur de ce qu'une équipe entière pourrait réaliser en quelques semaines, mais c'est tout à fait propre, exploitable et créé dans les règles de l'art. Comme pour l'écriture d'un article lorsqu'on ne veut pas partir d'une page blanche ; l'IA générative peut créer une base sur laquelle il n'y aura que quelques retouches à effectuer. Désormais, des agents IA comme Claude Code, OpenAI Codex ou Manus AI sont tout à fait capables de générer en un tournemain la V1 de votre produit. Et de vous aider à itérer de manière extrêmement rapide.

Et ce n'est que le début. L'IA générative nous a habitués à une progression spectaculaire. La question n'est donc pas de comparer les agents de développement IA avec les équipes de développement à l'instant T, mais plutôt de préparer l'avenir. En 2030, les agents IA seront des acteurs essentiels de la chaîne de fabrication du SI. Pour un CIO, l'arrivée du vibe coding et de ce type d'outils impose une réflexion globale sur la manière dont il doit s'organiser pour livrer ses produits.

Des développeurs qui encadrent des agents IA

Il n'est pas encore question de remplacer les équipes de développement par des agents IA, auxquels les métiers ou les analystes fonctionnels demanderaient telle ou telle fonctionnalité directement. L'entreprise foncerait dans un mur : même si les agents sont paramétrés pour recourir à des technologies et approches standard du marché, il est évident que leur laisser totalement le champ libre exposerait rapidement à des problématiques de sécurité, de maintenabilité, d'architecture, d'interopérabilité, etc. Typiquement, les IA peuvent tomber dans le même piège que les humains, celui d'utiliser des librairies malignes (un expert en sécurité a déjà nommé cette forme particulière de "typosquatting" [adresse de site contenant une faute d'orthographe volontaire] destinée à l'IA : le "slopsquatting" [exploitation volontaire des hallucinations de l'IA]).

PublicitéComme des développeurs juniors, les agents IA doivent être guidés, cadrés, respecter des normes d'entreprise. Il vaut mieux les voir comme des agents développeurs, sous la responsabilité des développeurs. Autrement dit, ces derniers passeront moins de temps à développer eux-mêmes (et à aller voir sur Stack Overflow et demander à des assistants IA de compléter ou revoir leur code) et plus de temps à lancer, cadrer et superviser des agents.

C'est un changement majeur, à anticiper. Que devient, dans ce schéma, la satisfaction du devoir accompli, quand une tâche particulièrement complexe est expédiée en l'espace d'une demi-journée ? Comment se remet-on en selle pour une autre demi-journée de travail ? Sans compter que devenir manager d'agents de développement n'est peut-être pas l'avenir dont rêvent certains développeurs. L'arrivée de ce type d'outils doit se faire dans le cadre d'un changement bien balisé, avec une communication maîtrisée et sans doute de nouvelles règles de collaboration entre les développeurs, devenus des managers d'équipes d'agents développeurs.

Que reste-t-il à l'offshore ?

Pour des développeurs seniors, c'est une formidable opportunité de valoriser leur expérience et leur savoir-faire sans avoir à apprendre de nouveaux langages. Ils sont de fait suffisamment aguerris pour exprimer leurs intentions de manière claire, guider les IA dans le respect des règles d'architecture et évaluer les propositions de code avant leur déploiement.

Ce sera aussi l'occasion de revoir les notions de productivité - et incidemment le recours à l'offshore. La tentation est toujours grande de recourir à ce type de prestation low cost, quand bien même cela ajoute des contraintes d'encadrement, chez soi, mais aussi chez son prestataire qui pilote les ressources offshore. Maintenant, projetons-nous en 2030, avec des équipes de développeurs - au sein de l'entreprise ou de son partenaire habituel - disposant chacun de différents agents IA qu'ils peuvent lancer sur des tâches spécifiques et réorienter en temps réel selon les suggestions proposées. Dans ce contexte, la ligne de code n'a plus vraiment de valeur marchande. Nous parlons donc d'une énorme augmentation de la productivité, sans cet "overhead" associé à l'offshore.

Des changements technologiques, organisationnels et culturels

De telles perspectives de changement sont à la fois terrifiantes et enthousiasmantes. Mais qu'on le veuille ou non, c'est un changement qui s'accomplira : après la complétion de code, puis la suggestion de paragraphes entiers au sein de son environnement de développement, le vibe coding, qu'on pourrait aussi nommer chat coding puisque cela nécessite une simple fenêtre de chat type Emacs, s'imposera en entreprise et dans nos outils. Les entreprises qui auront le mieux anticipé ce changement pourront le plus rapidement en tirer toute la valeur. Cela demande de réfléchir aux aspects technologiques (la notion de platform engineering, notamment, pour automatiser le test et la mise en production de code généré par IA), organisationnels (la structure des équipes des développement) et culturels (le rôle des développeurs).

Article rédigé par

Olivier Rafal, Consulting Director Strategy de WEnvision
Olivier Rafal est Consulting Director Strategy de WEnvision, cabinet de conseil du groupe SFEIR. Consultant, auteur, conférencier, formateur, Olivier Rafal a rejoint SFEIR en 2020 et cofondé WEnvision en janvier 2022.

Ancien rédacteur en chef de lemondeinformatique.fr, Olivier Rafal a ensuite passé 10 ans dans un cabinet de conseil et d'analyse du marché IT. Il accompagne aujourd'hui les entreprises tout au long de leur démarche de stratégie numérique et de modernisation des SI, toujours dans l'optique de la création de valeur.

Olivier est ainsi l'interlocuteur privilégié des CIO et CTO pour co-construire et formaliser leurs feuilles de route, cadres de gouvernance et grands principes directeurs, ainsi que les documents et business cases requis pour expliquer la démarche aux Comex et fonds d'investissement.