Le géant immobilier JLL bâtit son avenir sur l'IA
Le géant de l'immobilier commercial adopte de nouveaux modèles serviciels, y compris basés sur des logiciels. Un virage rendu possible par une mutation vers le cloud et des données préparées pour tirer le meilleur parti de l'IA.
PublicitéLes gratte-ciel et les ensembles de bureaux ont beau être délaissés à l'ère du travail post-pandémique, l'activité de JLL (Jones Lang LaSalle), géant de l'immobilier commercial avec près de 21 Md$ de chiffre d'affaires en 2022 (dont 2,5% en France), ne ralentit pas, grâce à la technologie et à des opportunités de forte croissance qui lui permettent de s'adapter et de prospérer.
La société d'immobilier commercial basée à Chicago, l'une des plus grandes au monde, a investi massivement dans le développement de ses propres logiciels et services de gestion des installations et de développement durable, destinés à des secteurs en forte croissance comme les opérateurs de datacenters ou de services cloud, les exploitants d'entrepôts de commerce électronique et même les chaînes de restauration rapide telles que Wendy's, afin de maintenir la croissance de son propre empire de 20 milliards de dollars. Plus récemment, l'entreprise a lancé Carbon Pathfinder, un logiciel de planification de la trajectoire environnementale des organisations piloté par l'IA et vendu sous forme de SaaS ou de suite y associant des services professionnels.
Aussi un vendeur de technologies
« L'IA est sans aucun doute l'un des principaux facteurs de différenciation dont dispose JLL [pour rivaliser] avec ses concurrents, tandis que le développement durable nous permet de nous distinguer sur le plan technologique au sein de notre secteur d'activité », résume Yao Morin, directrice technique de JLL Technologies, qui affirme que sa société est bien en avance sur les autres courtiers en immobilier d'entreprise dans le domaine de la technologie.
« Aucune autre entreprise ne peut fournir des services équivalents en matière de développement durable, car nous disposons de la technologie d'IA et des données nécessaires pour comprendre le type d'investissement requis, les réglementations et tout ce qu'il faut pour rendre un bâtiment durable », explique-t-elle, à propos de l'outil de planification du bilan carbone, ajoutant que la force de JLL réside dans son vaste portefeuille de services de location et de courtage, ainsi que dans sa branche de services technologiques, qui a également développé des outils pour les rapports financiers, l'utilisation de l'énergie et la conformité aux normes HVAC (chauffage, ventilation et climatisation). « Nous avons un portefeuille très diversifié », déclare la directrice technique, qui supervise directement environ 1 000 employés du service informatique de la société, mais Yao Morin estime qu'au total, ce sont entre 2 000 et 3 000 personnes qui développent, vendent ou assurent la maintenance des logiciels de JLL.
Réussir le virage technologique
La décision de JLL de développer un logiciel de gestion des installations s'inscrit dans le cadre d'une stratégie d'élargissement du modèle commercial, qui a permis à l'entreprise d'obtenir de bons résultats en période difficile, explique Yao Morin. Pour déployer cet agenda, elle mise sur une stratégie hybride de développement de logiciels, dans le cadre de laquelle JLL Technologies développe des logiciels en interne mais conclut également des partenariats avec d'autres fournisseurs de logiciels SaaS.
PublicitéAu coeur de cette transformation en fournisseur de technologies se trouve l'infrastructure cloud que JLL a construite en utilisant AWS, Google Cloud Platform et Microsoft Azure, ainsi que Snowflake pour le stockage des données et Azure AI et Databricks pour les modèles d'IA.
Un dernier volet essentiel, car Yao Morin considère que l'évolution de l'IA offre à JLL davantage d'opportunités, tant en termes de nombre de services à proposer à ses clients que de capacité à gagner de nouveaux marchés. « Nous sommes très déterminés à exploiter pleinement le potentiel de l'IA et de l'IA générative pour résoudre nos problèmes », indique la directrice technique.
L'IA générative, une avancée majeure
Jusqu'à présent, JLL a développé des modèles d'IA classiques en utilisant des données nettoyées et structurées sous forme de tableaux, explique Yao Morin. Par exemple, un modèle incorpore les loyers et les conditions de location pour les clients des 84 comtés dans lesquels JLL opère aux Etats-Unis. Actuellement, les experts informatiques de l'entreprise forment des algorithmes à extraire les données les plus structurées des baux, données qui viennent ensuite nourrir le modèle d'IA. Mais la disponibilité de l'IA générative et des grands modèles de langage (LLM) représente une avancée majeure, car ils permettent à JLL d'intégrer tous types de données, et plus seulement les plus structurées d'entre elles, note Yao Morin.
« Nous manipulons beaucoup de paperasserie en matière de location et de contrats, des pages et des pages de documents juridiques dans plusieurs langues », un corpus jusqu'à présent difficile à intégrer, explique la directrice technique. L'IA générative et les LLM sont en train de changer la donne. « Ils peuvent traiter directement différentes langues de manière très naturelle. Il n'est pas nécessaire de nettoyer les données. Il suffit de donner un bail aux modèles d'IA générative et de leur demander d'extraire toutes les informations souhaitées ». Yao Morin considère donc l'IA générative comme une « technologie très révolutionnaire » et note qu'elle apporte des gains d'efficacité qui libèrent du temps pour les développeurs et élargissent ce que les équipes de JLL peuvent accomplir. « Elle a complètement changé la façon dont nous pouvons utiliser l'information », dit-elle.
Bien entendu, JLL ne fait que commencer à utiliser l'IA générative et les LLM. L'entreprise a également publié des directives à l'intention de ses développeurs de logiciels et de ses cadres commerciaux afin de protéger les données de ses clients et de définir ce qu'ils peuvent et ne peuvent pas faire avec la technologie.
Évolution du coeur de métier
Dans le secteur où opère JLL, le passage au travail à distance a eu un effet négatif sur l'activité. Et la firme de Chicago n'est pas épargnée. Selon les propres données de JLL, en 2023, la fourchette d'occupation des bureaux aux Etats-Unis se situe entre 45 % et 65 % des niveaux pré-Covid, par exemple. Outre sa branche de développement de logiciels, JLL, à l'instar d'autres sociétés de courtage en immobilier d'entreprise, doit donc trouver de nouveaux clients potentiels. Pour ce faire, JLL a ciblé des segments commerciaux qui connaissent une forte croissance, tels que les opérateurs de cloud et de datacenters, qui ont besoin de nombreux mètres carrés.
« L'immobilier commercial recouvre de nombreux domaines, observe M. Morin. Nous aidons les centres de données, les hôpitaux, les parcs scientifiques et les entreprises de e-commerce à acheter et à vendre des bâtiments. Les datacenters, comme l'infrastructure cloud, sont en pleine croissance ; en particulier, dans le sillage de l'IA, une énorme demande pour des datacenters a vu le jour. »
En outre, la demande d'externalisation de la gestion des installations, qui a augmenté pendant la pandémie, reste forte, dans le sillage des stratégies d'évolution des environnements de travail, note la directrice technique. « Google et Facebook, par exemple, ne gèrent pas eux-mêmes leurs installations et nous confient cette tâche. Quelqu'un doit changer le papier hygiénique et s'assurer qu'il y a suffisamment de snacks et de café pour les employés du bureau ».
Selon Janel Everly, analyste au sein du cabinet Gartner, le secteur de l'immobilier commercial est en train de s'adapter et de modifier son modèle pour répondre aux demandes post-pandémiques et aux besoins technologiques émergents. « Au cours des vingt dernières années, les marchés financiers ont connu une évolution significative, passant des actifs corporels aux actifs incorporels, explique-t-il. Les entreprises manufacturières et celles présentant une forte intensité d'actifs corporels ont exercé une forte pression pour diversifier leur portefeuille afin d'y intégrer des actifs incorporels. » Pour l'analyste, JLL suit cette voie, en incorporant de plus en plus d'offres "as-a-service", ainsi que en enrichissant son portefeuille de logiciels de gestion des installations.
Article rédigé par
Paula Rooney, CIO US (adapté par Reynald Fléchaux)
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