Le futur de l'informatique : agir maintenant !
A l'heure d'Opio 2008, où la profession va se pencher sur « Les nouvelles frontières de la DSI », je tenais à apporter ma pierre à la réflexion pour conjurer la tentation du corporatisme et du repli sur le passé. Ce texte, sans être conjoncturel car il reflète fidèlement d'anciennes préoccupations, est une forme de contribution au débat...
PublicitéLe monde de l'informatique ne cesse de se réinventer depuis ses origines. Depuis les déclarations de Thomas Watson, président d'IBM, dans les années cinquante sur le fait que la planète n'aurait besoin que de moins d'une dizaine d'ordinateurs, informaticiens et analystes se sont toujours révélés incapables de prévoir l'évolution de cette industrie dont la marche en avant ne s'est jamais arrêtée sans toutefois suivre les cheminements imaginés. Prévoir le futur de l'informatique est donc un exercice particulièrement audacieux, d'autant plus que ce que l'on peut imaginer aujourd'hui est assez troublant pour une industrie qui s'est développée et enrichie dans le cloisonnement et la complexité. L'analyse des tendances de toutes les industries démontre que la croissance durable n'est acquise qu'au prix de la standardisation et de la concentration. L'industrie informatique est inexorablement poussée par la technique. Dans toutes ses composantes, les progrès sont exponentiels : loi de Moore, loi de Gilder... Les microprocesseurs, qui sont les moteurs de l'informatique, ne cessent d'augmenter en puissance et de réduire en taille, alors que la fibre optique et les algorithmes de compression permettent sans cesse de faire passer plus d'informations sur les réseaux, qui sont les routes de la société de l'information. Rêve d'ingénieur des ponts et chaussées, l'informatique permet d'emporter sans cesse plus d'informations, plus loin, plus vite et moins cher. Mais cette envolée de puissance disponible en tous points - ATAWAD : anytime, anywhere, any device - remet en cause une des racines fondamentales du développement de l'informatique. Là où l'informatique et les informaticiens excellaient, c'est à dire l'optimisation des ressources techniques rares et dans un espace limité, on se retrouve dans une logique d'abondance. Là où il était légitime de contingenter l'utilisation des ressources, pour des raisons de prix de revient, de temps de réponse, d'ergonomie, on peut livrer sans difficulté des services illimités. L'exemple de la messagerie électronique est éloquent. La plupart des entreprises ont pris l'habitude, pour des raisons historiques d'économie, de limiter la taille du stockage des messages généralement autour de 100 Mo. Quand on sait qu'une présentation PowerPoint un peu riche fait aisément 10 Mo, on se retrouve très rapidement limité et sa boîte aux lettres est saturée en quelques heures. Pire, la plupart des entreprises limitent la taille des messages à la réception : on ne peut tout simplement pas envoyer à un client ou un fournisseur un document contenant des images, des graphiques... qu'on est obligé de tronçonner et de compresser en y consacrant un temps inutile, d'autant plus que cet exercice à forte valeur ajoutée est effectué par des cadres coûteux à qui la rationalisation pertinente des métiers du support a retiré toute forme d'assistance individuelle. Il est en effet apparu plus logique de faire faire des tâches bureautiques à un cadre qui coûte, disons, 80 € de l'heure qu'à une assistante qui en coûte 20 €... La réponse naturelle pour contourner ces obstacles est d'utiliser... sa messagerie personnelle ! En effet, les Google, Yahoo ! Wanadoo et autres offrent en standard des capacités de stockage de messagerie pharaoniques aux yeux de tout exploitant informatique d'entreprise...Google offre ainsi un stockage de 25 Go en mode professionnel et illimité en mode domestique. Par ailleurs, un disque raid de 1 Tera octet, ce qui était il y a quelques années la capacité de stockage d'une grande entreprise, coûte aujourd'hui 300 €... Pourquoi cette survivance d'un monde malthusien ? Pourquoi cet abîme entre le confort que l'on a chez soi pour le plaisir et l'austérité qu'on nous inflige dans le monde du travail ? Vérité d'un côté, erreur de l'autre ?? La réponse ne tient pas dans l'altruisme militant des fournisseurs d'accès internet, mais dans quelques mots clefs : automatisation, mutualisation, virtualisation. Alors que l'informatique d'entreprise demeure encore largement fragmentée, compartimentée, en sous-ensembles étanches, les fournisseurs du monde de l'internet ont construit des infrastructures globales qui permettent de réduire la complexité de la gestion des équipements, donc d'en abaisser le coût et d'en réduire la fragilité. L'infrastructure est devenue une utilité. Anonyme, invisible, performante, automatisée. C'est une excellente nouvelle, car l'industrie informatique suit la voie empruntée avant elle par toutes les industries performantes et va donc faire partager à ses clients ses gains de productivité pour offrir un service fiable, sans couture et peu onéreux. C'est une mauvaise nouvelle, en revanche, pour tous les artisans qui vivent encore d'une complexité, qui va se révéler rapidement inutile, et de la survivance d'une émergence technique chaotique tirée par l'improvisation. Nos prédécesseurs qui ont ouvert la voie ne sont certes pas à blâmer. Ils n'avaient pas d'autres choix. Faire perdurer cette situation serait toutefois un bien mauvais calcul. Il n'y a pas si longtemps, les responsables informatiques étaient fiers de faire visiter leur centre informatique... Belles salles machines, climatisées, sécurisées, vides... Il n'y a même plus aujourd'hui de dérouleurs de bande magnétique ni de ballets de clignotants pour animer le spectacle. Et surtout les salles machines « privées » disparaissent pour être remplacées par des « centrales informationnelles » puissantes et totalement industrialisées. Les constructeurs informatique eux-mêmes se sont totalement engagés dans cette voie, depuis plusieurs années. HP a réduit le nombre de ses data centers de 85 à 6, et le personnel qui y est employé est passé de 19000 à 8000. IBM a engagé le mouvement dès les années quatre vingt-dix pour comprimer le nombre de ses centres informatiques de 155 à 7. Google comme Microsoft s'équipent de fermes de serveurs ultra-puissantes. Cette optimisation rejoint une autre préoccupation majeure de l'industrie, la diminution de la consommation électrique des centres informatiques, le « green computing », qui va orienter les choix vers les solutions les plus économiques en énergie. Ce progrès technique dans les couches opérationnelles de l'informatique permet de déplacer totalement les préoccupations des gestionnaires de la machine vers l'usage, du matériel vers le logiciel. Les conséquences de ce mouvement sont nombreuses tant sur le marché des équipements, qui va se concentrer et être destiné à quelques très grands opérateurs à vocation régionale ou mondiale, que sur le marché des services. C'est d'ailleurs dans ce domaine que les changements risquent d'être les plus radicaux. Puisqu'il est possible de partager à moindre coût une infrastructure et de se dégager totalement de sa gestion pour n'acheter que du service, pourquoi ne pas pousser la logique aux applications elles-mêmes. Pourquoi les grands opérateurs capables de gérer des millions de boîtes aux lettres de façon fiable et quasi-gratuite ne pourraient pas le faire pour les entreprises ? Sécurité, confidentialité, dit-on ? Pourquoi alors confier à un opérateur les secrets de sa vie privée et ne pas croire que les tarifs, barèmes, marges, plan produit et bonus pourraient être gérés en toute sécurité et confidentialité par des acteurs professionnels, soumis à des contraintes légales et à une éthique ? Alors n'hésitons pas à franchir un cran de plus : les fonctions répétitives de l'entreprise, comme la comptabilité, la paye, peuvent aisément être prises en charge par des usines spécialisées qui mettront en oeuvre compétences partagées et économies d'échelle, mais aussi sauront être capables d'innovation. Mais que restera-t-il alors à l'informatique d'entreprise, dépouillée de ses bases historiques ? L'essentiel, c'est à dire l'imagination appliquée aux métiers de l'entreprise, à ce qui fait sa véritable différenciation économique. Beaucoup d'emplois vont disparaître, comme cela se produit depuis le début de l'informatique. D'autres vont naître pour porter l'innovation au coeur des processus métiers et inventer de nouveaux produits et services tout en construisant la cohérence nécessaire au fonctionenment de l'entreprise. Le marché des fournisseurs évoluera également pour accompagner cette mutation technique inéluctable. Les couches basses se rationalisant, sous la responsabilité de grands opérateurs issus aussi bien du monde des télécommunications que de l'informatique classique, la création de valeur se déportera vers les couches hautes, logiciels spécialisés, applications pointues, informatique embarquée, échanges entre machines, accompagnement des multiples transformations en cours et à venir. Par ailleurs l'internet des objets est à créer... L'innovation rendue possible par une grande puissance disponible et l'effondrement des coûts fera naître de nouveaux secteurs où les talents pourront s'épanouir librement grâce notamment au travail coopératif sur le réseau étendu qui permettra de décloisonner les disciplines et les entreprises. Cessons d'aborder cette mutation avec inquiétude et de regarder avec nostalgie le passé... Personne ne regrette le fardier de Cugnot à l'heure de la pile à combustible ! L'avenir ne se prévoit pas, il se prépare. Les signaux sont désormais suffisamment clairs pour considérer que, cette fois, « network is computer » et organiser, dans l'ordre, la transformation de nos métiers qui prendra du temps ce qui nous donne donc la possibilité de gérer les adaptations et transitions inéluctables.
Article rédigé par
Jean-Pierre Corniou, Directeur général adjoint de SIA-Conseil
Enarque, ancien DSI d'entreprises industrielles comme Renault, ancien président du Cigref (Club informatique des grandes entreprises françaises), ancien Président d'EDS Consulting et chantre de la gouvernance en France, Jean-Pierre Corniou est aujourd'hui directeur général adjoint de SIA-Conseil.
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