Juridique

Le contrat de chantier : une discrète réalité qui pourrait se généraliser

Le contrat de chantier : une discrète réalité qui pourrait se généraliser
Guy Alfosea, avocat associé au cabinet La Garanderie & Associés, détaille les souplesses actuelles et possibles du contrat de travail.

Serpent de mer, l'introduction du contrat de chantier en informatique est partiellement déjà une réalité. Son extension est à nouveau envisagée. Les DSI pourrait voir leur organisation bouleversée par cette évolution du droit du travail. D'autant que le portage salarial, autre souplesse, a été récemment validé par une ordonnance dédiée.

PublicitéL'actualité bruisse du retour d'un serpent de mer : le contrat de chantier. Ce contrat hybride entre le CDD (contrat de travail à durée déterminée) et le CDI (contrat de travail à durée indéterminée) classiques, réclamé à cors et à cris par certains syndicats patronaux, est déjà partiellement une réalité. Son extension serait donc de nouveau envisagée. A moins qu'une autre modification des manières de rompre un contrat de travail ne soit décidée.
En ajoutant le portage salarial réhabilité et ce contrat de travail d'un nouveau genre, ces nouvelles formes de salariats ne risquent-elles pas de profondément bouleverser le petit monde de la prestation informatique et des DSI ? Réclamé par les SSII à leur seul profit, ce contrat, s'il devenait courant chez leurs clients, n'aboutirait-il pas à la ruine des SSII pratiquant la régie ? Bref, les SSII ne sont-elles pas tirées une balle de gros calibre dans le pied ?
Aujourd'hui, outre l'intérim et le portage, il existe deux dispositifs intermédiaires entre le CDD et le CDI classiques. Il s'agit d'une part du CDI « contrat de chantier » pratiqué notamment dans le BTP et étendu à certaines activités du Syntec et d'autre part du CDD « à objet défini » prévu à titre expérimental en 2008 et pérennisé en 2014, soumis à des conditions très restrictives. Guy Alfosea, avocat associé au cabinet La Garanderie & Associés, a détaillé pour nous les caractéristiques de ces deux contrats, leur historique et leur potentielle évolution.

Dans le BTP, une construction jurisprudentielle originale...

Le « contrat de chantier » pratiqué dans le secteur du BTP ne reposait à l'origine sur aucun texte spécifique. Il s'agissait d'un usage professionnel qui a donné lieu à une pure construction jurisprudentielle par la Cour de Cassation. « En dehors des anciens conseillers juridiques (avant la fusion des professions de conseil juridiques et d'avocats en 1991), personne n'avait pris le risque, à ma connaissance, de transposer cette construction à d'autres secteurs » observe Guy Alfosea.
Dans cette construction, le salarié dispose certes d'un CDI, sans date certaine de fin, mais qui s'achève lorsque le chantier est terminé. Plus exactement, la réalisation de l'objet du contrat, le « chantier », est un motif réel et sérieux de licenciement mais qui n'est pas un motif économique. Les conseillers juridiques utilisaient cette logique du contrat à durée indéterminée mais à objet défini avec, en objet, l'obtention du titre de Conseil juridique. Celle-ci était alors subordonnée à un examen de fin de « stage » à l'issue des trois premières années d'exercice mais, en cas d'échec, le candidat pouvait se représenter à la session suivante en prolongeant sa période de « stage ».

Publicité... validée ensuite par une loi et étendue à d'autres secteurs

Ce dispositif d'origine purement jurisprudentiel a été ultérieurement légalisé à l'article L 321-12 du Code du travail institué par la loi du 30 décembre 1986. Cet article a ensuite été re-codifié sous l'article L 1236-8 du Code du travail. Il dispose que : « Le licenciement qui, à la fin d'un chantier, revêt un caractère normal selon la pratique habituelle et l'exercice régulier de la profession, n'est pas soumis aux dispositions du chapitre III relatives au licenciement pour motif économique, sauf dérogations déterminées par convention ou accord collectif de travail. Ce licenciement est soumis aux dispositions du chapitre II relatives au licenciement pour motif personnel. »
En tant que tel et dans ce cas, le licenciement doit faire l'objet d'un préavis, soit anticipé avant la fin réelle du chantier, soit non-anticipé et donc payé avec dispense d'exécution. Dans les deux cas, le licenciement entraîne le versement des indemnités légales ou conventionnelles, notamment liées à l'ancienneté dans le poste, mais pas d'une prime de précarité. Bien entendu, l'entreprise peut maintenir le salarié dans son emploi au delà de l'achèvement de sa mission. Dans ce cas, le contrat devient un CDI ordinaire.

Du chantier du bâtiment au chantier informatique

L'informatique s'était déjà inspirée du bâtiment pour son organisation en maîtrise d'oeuvre et maîtrise d'ouvrage. Le secteur a logiquement été tenté par importer la pratique du « contrat de chantier ».
De fait, la loi du 30 décembre 1986 n'ayant pas limité le recours aux contrats de chantier à certaines branches d'activité, au sein du secteur de la branche des bureaux d'études, un accord collectif a été conclu le 8 juillet 1993 visant à étendre ce dispositif aux entreprises de la branche relevant du secteur de l'ingénierie (convention Syntec). « Cet accord n'a pas fait l'objet d'un arrêté d'extension par le ministère du travail mais a néanmoins été appliqué par certaines sociétés relevant de son champ d'application » relève Guy Alfosea.
Cette extension a été validée par la chambre sociale de la Cour de Cassation, par exemple dans un arrêt du 16 décembre 2008 (pourvoi n°07-43395).

Le CDD à objet défini

Guy Alfosea note : « un tel accord n'a pas été conclu au niveau de la branche Syntec - contrairement à certaines autres telles que la jardinerie - et, à ma connaissance, peu d'entreprises de la branche semblent l'avoir institué par voie d'accord d'entreprise. »
Le CDD, comme son nom l'indique, a normalement une date de fin précise et une durée en principe limitée à 18 mois (avec des exceptions raccourcissant ou allongeant ce délai). Mais il existe déjà dans le Code du Travail des cas spéciaux valables dans tous les secteurs où cette date de fin est indéterminée même si elle est certaine. « Le remplacement de salarié malade ou absent est l'exemple type » constate Guy Alfosea. En tel cas, le retour du salarié remplacé est l'événement entraînant la fin du CDD.
La logique du CDD à objet défini est la même : il est certain que le CDD va prendre fin (donc ce n'est pas un CDI) mais cette date de fin est fixée par la fin du chantier. En informatique, la livraison du projet ou l'achèvement de l'exécution de la mission constituent cette fin de chantier. Le Ministère du travail détaille sur son site les principes et l'historique de ce contrat.

Vers le contrat de travail unique ?

Mais puisqu'il est déjà théoriquement possible de recourir au CDI « contrat de chantier » ou au CDD « à objet défini », à quoi bon un nouveau débat ou une nouvelle loi ? Pour Guy Alfosea, il y aurait trois réponses possibles : « le débat actuel, à mon avis, n'aurait d'intérêt que pour l'une de ces trois raisons. D'abord, pour donner un fondement légal plus sécurisé au secteur de l'informatique et, le cas échéant, permettre le déploiement au-delà de la pure Ingénierie visée par l'accord de 1993 du contrat de chantier. Ensuite, plus largement, pour permettre, par la loi, à d'autres secteurs le recours à ce dispositif de contrat à durée indéterminée mais à objet déterminé. Enfin, il pourrait s'agir de réouvrir la voie à une réflexion plus structurelle sur le Contrat Unique mais qui, actuellement, me parait politiquement plus difficile à mettre en oeuvre. »
Maintes fois promis, ce contrat de travail unique, forgé sur le CDI, pourrait être soit classique soit à objet défini. Dans le cas de l'objet défini, le licenciement serait possible à l'atteinte de l'objectif spécifié.

Les SSII en danger ?

Pour l'heure, beaucoup de DSI ont recours à de la main d'oeuvre spécialisée en régie, fournie par les SSII. Le coût salarial du personnel ainsi mis à disposition est largement augmenté de la marge prise par les SSII. Mais les DSI y trouvent deux avantages : d'une part, elles n'ont pas à recruter et administrer ce personnel ; d'autre part, elles n'ont pas à se préoccuper de la fin de mission avec l'éventuel licenciement induit. Déjà, l'arrivée de l'intérim pour cadres, notamment dans l'informatique, aurait pu remettre en cause la régie telle que gérée par les SSII. Beaucoup ont réagi en proposant des contrats au forfait pour réaliser un projet.
Mais si les DSI peuvent embaucher et débaucher des ingénieurs en fonction des projets en cours, à quoi bon recourir à un coûteux intermédiaire, SSII ou société d'intérim ? Le risque lié à la présence d'un salarié inutile, avec l'éventuelle lourdeur d'un licenciement économique, disparaît. Entre « contrat de mission » et « portage salarial », l'utilité économique même de la SSII proposant des ingénieurs en régie n'est-elle pas remise en cause ? Certes, il reste à recruter et maintenir au bon niveau de compétence technique les ingénieurs. Et il reste aussi les habitudes tenaces tout comme les projets au risque complet délégué via les prestations au forfait.
Ne doutons pas qu'il nous faudra revenir sur le sujet...

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