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Laurent Benatar, BPCE : « Fusionner les coeurs bancaires suppose une exécution millimétrée »

Laurent Benatar, BPCE : « Fusionner les coeurs bancaires suppose une exécution millimétrée »
Laurent Benatar, DG technologies et opérations de BPCE : « basculer vers le SI des Caisses d’Epargne était plus simple, la quantité de développements nécessaires à sa mise à niveau étant plus limitée et le coût inférieur ». (Photo : Greg Gonzalez)

Le directeur général technologies et opérations du groupe BPCE détaille le projet de rapprochement des systèmes d'information des Caisses d'Epargne et des Banques Populaires. Un projet de 750 M€ s'étalant sur 4 ans.

PublicitéDébut février, le groupe BPCE, dont le produit net bancaire a dépassé les 23 Md€ en 2024 (+5% sur un an), a confirmé le lancement d'un projet informatique massif visant à rapprocher les systèmes d'information de ses banques de détail. Un seul système servira les besoins des différents établissements : Banques Populaires, Caisses d'Épargne, Crédit Coopératif, Crédit Foncier, Socfim, Banque Palatine. C'est le système d'information des Caisses d'Épargne qui a été choisi pour héberger les activités des différentes marques.

Ce projet, baptisé Orion en interne, suit une étape de consolidation des organisations informatiques, notamment avec la création de BPCE Systèmes d'Information (BPCE SI) voici deux ans qui regroupe déjà, sur un sujet donné, les collaborateurs des Caisses d'Épargne et des Banques Populaires dans des équipes communes ou sous une même autorité hiérarchique. Un préalable important, mais qui n'élimine évidemment pas tous les risques d'un tel projet, touchant quelque 35 millions de clients. Le directeur général technologies et opérations du groupe BPCE, Laurent Benatar, revient sur la genèse de ce projet, les choix qui ont été opérés et sur la sécurisation d'un projet majeur dans le paysage bancaire français.

Expliquez-nous la genèse de ce projet d'envergure, représentant un investissement de quelque 750 M€ ?

Laurent Benatar : Sur la technologie, le plan stratégique Vision 2030 du groupe BPCE se décline en quatre sujets : la pérennité / résilience de nos SI, l'accompagnement des ambitions de nos métiers, l'efficacité et, enfin, l'impact sur la société et les collaborateurs. Sur ces quatre dimensions, ce projet est de nature à nous faire progresser dans notre feuille de route. Aucune urgence ni impératif technique n'a motivé notre décision, il s'agit d'une opération que nous avons choisi de mettre en oeuvre pour répondre aux enjeux stratégiques du groupe, et qui est structurante pour notre avenir. La plateforme technologique commune est apparue comme la réponse la plus adaptée, car elle permettait de concilier deux enjeux : l'efficacité économique et le développement. Ajoutons-y le contexte bancaire, qui nécessite une résistance sans faille aux cyberattaques, entraînant une augmentation des investissements sur ce sujet, et le poids de la réglementation du secteur, avec des implications sur les systèmes techniques comme ceux imposés par Dora. Dans les deux cas, effectuer les investissements sur une plateforme unifiée au lieu de deux sera plus efficace.

Quand avez-vous commencé à travailler sur ce projet? Où en êtes-vous aujourd'hui de sa feuille de route ?

PublicitéNous venons de mener une année de travaux préparatoires, consacrée d'abord à mesurer l'intérêt d'un tel projet, puis à en étudier la faisabilité. La chose la plus frappante, c'est la maturité de notre groupe sur ce sujet. Car le partage d'un système commun entre les Banques Populaires et les Caisses d'Épargne, qui sont les décisionnaires sur ce projet, s'inscrit dans la continuité de rapprochements s'opérant depuis une quinzaine d'années. Par exemple, avec l'apparition du digital, vers 2016, les projets dans ce domaine ont été totalement menés en commun. La plateforme qui en résulte est ainsi unifiée.

Décider d'étendre cette logique au coeur bancaire est un pas supplémentaire et ce n'était pas une décision facile à prendre, car elle concerne de nombreux collaborateurs dont les pratiques vont être transformées, mais elle a été prise sur des bases factuelles et en respectant l'identité des marques.


Les Banques Populaires vont migrer vers le système des Caisses d'Épargne. Une option plus économique que l'opération inverse. (Photo : BPCE)

Vous avez choisi de basculer sur le système des Caisses d'Épargne préalablement modernisé. Pourquoi ce choix ?

Toutes les options ont été analysées, sans en écarter une d'emblée. Nous avons opté pour celle qui nous apparaissait comme la plus sûre et la plus raisonnable dans notre contexte, où nous comptons des dizaines de millions de clients sur nos systèmes, des clients avec lesquels nous avons développé une intimité se traduisant dans nos applications. Nous avons ainsi examiné le scénario consistant à construire de zéro une nouvelle plateforme ; une option écartée rapidement, car l'expérience a montré que ce choix a souvent conduit à des échecs. Nous avons étudié l'option misant sur le meilleur des deux mondes, une combinaison des deux plateformes ; un scénario risqué, car il suppose des intégrations très fines, ce qui s'avère complexe dans des modèles de données différents. Enfin, nous avons examiné les scénarios consistant à migrer vers l'un ou l'autre des deux systèmes. Sur ce terrain, les critères de qualité et de performances n'étaient pas différenciants, car depuis environ 5 ans, la qualité de service est équivalente sur les deux systèmes. Nous avons donc examiné d'autres critères, comme la facilité de migration. Et il était plus simple de basculer vers le système des Caisses d'Épargne, parce que la quantité de développements nécessaires à sa mise à niveau était plus limitée et que le coût était inférieur du fait d'un moindre nombre de clients à migrer. Ce scénario permettait de réduire la durée du projet de façon significative par rapport à l'option inverse.

Quel sera l'impact côté clients et côté collaborateurs ?

Côté clients, l'impact sera quasi nul, ils pourront bénéficier de leurs services de la même façon, et avec la même qualité. Pour les collaborateurs, une adaptation des pratiques et une prise en main seront nécessaires, même si les processus sont assez standardisés d'un établissement à l'autre. Cela concernera environ 20 000 collaborateurs. Le projet intègre donc un volet conduite du changement, les personnes concernées seront accompagnées quelques semaines avant et après les opérations.

Comment évoluera le système des Caisses d'Épargne lui-même avant de devenir la plateforme unique pour la banque de détail au sein du groupe BPCE ?

La plupart des éléments de modernisation figurent déjà dans notre feuille de route, qui va continuer à se dérouler. Et cette modernisation des systèmes s'effectue déjà en commun entre les Banques Populaires et les Caisses d'Épargne, prolongeant les travaux sur le digital lancés dès 2016. Elle se poursuit aujourd'hui dans l'IA, la data, les paiements ou sur des sujets relatifs à l'automatisation. Pendant nos travaux de migration, nous pourrons donc continuer à innover sur la base de notre feuille de route.


« Passé la phase de cadrage, un projet pilote sera enclenché sur une de nos banques. Il durera près de 22 mois. » (Photo : Greg Gonzalez / BPCE)

Quelle est la trajectoire de ce projet, sur les quatre années prévues avant son achèvement ?

Une première période de 9 mois doit nous permettre d'aboutir à un cadrage détaillé des fonctionnalités à ajouter, de la préparation technique ou encore des expériences clients et collaborateurs qui seront proposées. Car les Banques Populaires et les Caisses d'Épargne conserveront des caractéristiques propres, ce qui se traduira dans certaines fonctionnalités. Les capacités seront augmentées pour tous, mais la décision de les utiliser dépendra des établissements eux-mêmes.

À la suite de cette étape de cadrage, une phase pilote sera enclenchée sur une de nos banques. Elle durera près de 22 mois. En parallèle se dérouleront les travaux de préparation des vagues de migration. Au total, 12 établissements vont basculer en trois vagues vers un nouveau système, sur une période allant de 15 à 18 mois. Pendant ces migrations, il y aura un gel du déploiement de nouvelles fonctionnalités.

Est-ce que ce projet s'accompagne d'un chantier d'architecture ?

C'est l'occasion d'y réfléchir, mais nous avons choisi de nous focaliser uniquement sur ce projet dont l'exécution doit être millimétrée. Au sein du groupe, nous avons une bonne expertise de ces opérations de migration, puisque nous travaillons sur le sujet du rapprochement des systèmes informatiques des Banques Populaires entre elles et des Caisses d'Épargne entre elles depuis 2004. Depuis, nous procédons à ce type d'opérations de façon continue. Un des enseignements issus de cette longue expérience, c'est qu'un soin particulier doit être apporté à la continuité des opérations. C'est pourquoi nous séparons les projets d'architecture de ceux touchant à la simplification des SI. Même si tout ce qui est extérieur à la migration elle-même peut continuer à avancer sur sa feuille de route d'améliorations propre, y compris en matière d'architectures.

Comment sécurise-t-on une opération de ce type ?

Cela suppose un grand soin dans la préparation. Du point de vue de la banque, l'opération se déroule en un instant. Le vendredi soir, vous partez d'un état et, le lundi matin, vous basculez dans un autre. Mais, dans l'intervalle, vous avez changé tout ce qui se trouvait sous le capot. La clef de la gestion des risques d'un tel projet, c'est la répétition. Nous connaissons très bien les mécaniques de répétition à conduire dans ce genre d'opérations ; leur durée et leur nombre sont définis par la complexité du projet lui-même. C'est un savoir-faire de la place, et en particulier des groupes bancaires coopératifs qui ont beaucoup vécu ce type de projet. Nous n'effectuerons pas ces migrations seuls ; du fait des volumes, des partenaires seront impliqués. Mais cela se fera sous notre pilotage, nous allons mener de l'ordre d'une dizaine de tests de données complets. Tout simplement parce que c'est un principe convergent, visant à augmenter graduellement votre taux de succès jusqu'à atteindre les 100%.


Le siège du groupe BPCE, à Paris. Selon Laurent Benatar, les économies que doit générer le projet - environ 130 M€ par an - doivent être évaluées à l'aune de la durée de vie planifiée du système mutualisé, soit environ 20 ans. (Photo : BPCE)

Est-ce que le ROI de ce projet, dont les gains sont estimés à environ 130 M€ par an après son achèvement, a été discuté en interne ?

D'abord, dans un groupe coopératif comme le nôtre, un tel projet résulte d'une décision collégiale prise par les 29 établissements bancaires concernés et par le comité de direction générale. Et cette décision s'appuie bien sûr sur la possibilité d'un gain. Mais elle est prise dans le cadre d'un projet que nous menons pour les 20 prochaines années. Les rendements sont donc à l'aune de cette durée-là. Par ailleurs, ces économies ne représentent que le gain immédiat permis par la simplification des systèmes informatiques. Elles n'incluent pas d'autres bénéfices, comme ceux issus de notre capacité à aller plus rapidement sur le marché avec de nouvelles offres.

La réalisation du projet est-elle confiée à BPCE Solutions Informatiques (BPCE SI) ou avez-vous dédié une équipe spécifique, accompagnée par des ESN du marché ?

Les activités informatiques de développement de la banque de détail, des services financiers spécialisés et de l'assurance ont été rapprochées dans BPCE Solutions Informatiques il y a maintenant deux ans. Par ailleurs, une autre entité, BPCE IT, regroupe l'infrastructure et l'exploitation, commune non seulement aux Banques Populaires et aux Caisses d'Épargne, mais aussi à la banque de grande clientèle et à la gestion d'actifs. Ce sont là des fondations solides.

Dans le cadre de ce projet, nous allons prochainement structurer une organisation, notamment sur la partie pilotage. Et, comme ce n'est pas un projet purement IT puisqu'il inclura également un volet d'accompagnement des équipes, il sera conduit par BPCE. Concernant la partie informatique, des équipes dédiées seront mobilisées au sein de BPCE SI, la plupart d'entre elles étant déjà en place. Nous allons renforcer ces équipes pour gérer les éventuels écarts de fonctionnement entre les deux solutions et préparer les migrations. Le recours aux partenaires extérieurs se concentrera sur trois aspects : le soutien au pilotage global du projet, la migration des données - un sujet très pointu nécessitant des équipes spécialisées en conversion de données - et le renfort aux équipes spécialisées pour concevoir les évolutions des systèmes , par exemple dans des domaines tels que la comptabilité, la gestion de crédit, la gestion de l'épargne, etc.

Quelle est la prochaine échéance majeure du projet ?

Elle sera centrée sur le choix et l'organisation de la banque pilote. Ce rendez-vous majeur aura lieu un peu plus tard dans l'année, en étudiant le statut des évolutions à effectuer dans les systèmes des Caisses d'Épargne. Cette banque pilote devra nous servir d'appartement-témoin, et ce, de manière très approfondie. Car nous avons délibérément décidé de passer beaucoup de temps sur cette banque pilote pour mener un travail de préparation très poussé, avec un accompagnement largement renforcé par rapport aux opérations industrielles de migration qui auront lieu par la suite.

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